Les normes actuelles limitant l’exposition de la population aux champs électromagnétiques suivent les recommandations internationales le l’OMS (Organisation mondiale de la Santé). Une instance qui entretient des liens étroits avec d’autres commissions internationales inféodées à l’industrie de la télécommunication.
Les rayonnements électromagnétiques sont classés en deux catégories, bien distinctes. Il y a les rayonnements ionisants, c’est-à-dire les rayonnements radioactifs, connus depuis les années 1930 comme potentiellement dangereux pour les êtres vivants.
Il y a aussi, les rayonnements qui véhiculent moins d’énergie et sont donc incapables d’ioniser la matière, dits non-ionisants, donc a priori nettement moins dangereux (rayonnements lumineux, infra-rouges et radioélectriques).
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis, qui avaient investi d’énormes moyens dans le projet Manhattan (nom de code du projet de recherche qui produisit la première bombe atomique) ont compris l’intérêt d’exploiter l’énergie nucléaire d’une part et la nécessité de prendre en compte les nouveaux risques radioactifs encourus par l’armée et les institutions de recherche d’autre part. Ainsi, dès 1950, une Commission internationale d’experts, qui devait servir de référence incontestée en matière de risques dus à la radioactivité, fut mise sur pied : la CIPR ou Commission internationale de protection contre la radioactivité.
En 1952, le président Eisenhower lance le programme « Atoms for Peace » qui vise à valoriser l’exploitation de l’énergie nucléaire domestiquée à des fins purement civiles. Il n’était pas judicieux à l’époque de s’interroger sur les risques éventuels liés à la dissémination de radioisotopes dans l’environnement et à la contamination interne qui pourrait provoquer des dommages graves. La plupart des membres de la CIPR soit travaillaient directement avec l’industrie nucléaire militaire soit recevaient l’essentiel du financement de leurs travaux de celle-ci. Ils se sont accommodés du « secret défense » à propos des survivants d’Hiroshima et Nagasaki. Ils ont ignoré volontairement le problème des mineurs d’uranium soumis aux émanations de radon déclarées inoffensives par l’industrie.
Ils n’ont jamais remis en cause le modèle de risque, hérité des années 1950, élaboré en méconnaissance totale des effets de proximité provoqués par des radioisotopes qui se fixent sur des organescibles et interagissent avec l’ADN. La multiplication des données publiées au cours des dernières décennies, plus particulièrement depuis les années 1990 après la catastrophe de Tchernobyl, n’a pas ébranlé les certitudes des experts, cautionnés au plus haut niveau par le couple OMS-AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique).
Les dernières recommandations de la CIPR datent de 2007. Elles sont à la base des valeurs-limites de radioprotection en vigueur partout dans le monde, y compris en Europe dans le cadre de l’intouchable Traité Euratom. Ces valeurs-limites sont obsolètes comme l’ont démontré les scientifiques indépendants regroupés au sein du Comité européen sur le risque de l’irradiation et cela depuis 2003.
Le parallèle avec la problématique des rayonnements non ionisants est flagrant. Même climat euphorique pour accueillir les bienfaits de la « fée électricité », même logique industrielle pour cadenasser les débats sur les risques et nuisances potentiels, mêmes interférences avec le secret défense pour occulter des résultats d’études préoccupants. Mais surtout, le constat s’impose à nouveau : la mainmise des experts et praticiens des sciences dures, physiciens et ingénieurs, est totale sur la définition de ce qui est ou n’est pas acceptable pour la santé. Le choix du modèle de risque et la définition des valeurs-limites d’exposition aux rayonnements non ionisants échappent au débat politique, confisqué par les experts.
L’ICNIRP, ou Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants, est la petite cousine de la CIPR, évoquée ci-avant. Elle est composée essentiellement d’experts issus des milieux industriels. Fondée en 1992, elle publie depuis lors des lignes directrices à destination des Nations Unies, de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et des gouvernements. En 1998, confrontée au déploiement généralisé d’installations de téléphonie sans fil en Europe, la Commission européenne publie un projet de recommandation calqué sur les propositions de l’ICNIRP. Le Conseil des Ministres de la Santé adopte en juillet 1999 ce projet tel quel (recommandation 1999/519/CE) malgré les critiques et amendements du parlement européen. Celui-ci avait fait remarquer que le principe de précaution, pourtant inscrit dans le Traité européen, était totalement ignoré.
Le fondement scientifique, des valeurs-limites retenues, établit que pour l’exposition aux champs de fréquences très basses ou extrêmement basses, il s’agit d’éviter l’induction de courants électriques dans l’organisme. Pour les hyperfréquences (300 MHz à 300 GHz), seuls les effets thermiques sont pris en compte ; en d’autres termes, une exposition qui entraîne un échauffement inférieur à 0,01°C est acceptable et considéré comme inoffensif.
En conséquence, pour apprécier le risque biologique et le niveau d’exposition acceptable pour les champs d’extrêmement basses fréquences, c’est le champ magnétique qui est le paramètre pertinent. Pour 50 Hz, la valeur-limite du champ magnétique à ne pas dépasser est de 100 μtesla (ou 1 gauss). Pour les hyperfréquences, le débit d’absorption spécifique (DAS), c’est-à-dire la quantité d’énergie absorbée en une seconde par kg de tissu du corps humain, doit rester inférieur à 0,8W/kg dans le cas où le corps entier est exposé, 2 W/kg pour la tête et le tronc et 4 W/kg pour les extrémités ; toutes ces valeurs sont moyennées sur 6 minutes.
Les valeurs-seuils en immission (c’est-à-dire la puissance reçue en un lieu donné pour une fréquence ou une gamme de fréquences) dans la gamme des micro-ondes (hyperfréquences) sont les suivantes :
Densité de puissance incidente | |
900 Mhz (GSM) | 450 µW / cm² (ou 41,6 V/m) |
1900 Mhz (DECT) | 950 µW / cm² (ou 59,8 V/m) |
2000 Mhz (UMTS, WiFi, LTE) | 1000 µW / cm² (ou 61,4 V/m) |
Ces recommandations ont été docilement transposées en législations nationales par les parlements nationaux dans les différents pays européens. La Belgique, par un arrêté royal du 29 avril 2001, s’est écartée de cette recommandation en fixant comme valeur-limite 112,6 μW/cm² pour la fréquence GSM de 900 MHz, soit une valeur 4 fois plus faible. Cet arrêté royal a été invalidé par le Conseil d’État à la suite des recours intentés par l’ASBL Teslabel et par Georges Trussart, Daniel Comblin et Paul Lannoye. Il a reçu le coup de grâce de la Cour constitutionnelle lorsqu’elle a confié la compétence en la matière aux Régions (arrêt du 15 janvier 2009).
C’est ainsi que la Région bruxelloise a intégré la recommandation du Conseil supérieur de la Santé en Belgique, émise en 2001, en adoptant le 1 mars 2007 une ordonnance fixant à 2,4 μW/ cm² (soit 3 V/m pour une fréquence de 900 MHz) la valeur-seuil à ne pas dépasser par l’ensemble des irradiations mesurées en un lieu donné (norme d’immission) pour les ondes pulsées de fréquences comprises entre 0,1 MHz et 300 GHz. Cette valeur-seuil est certes nettement plus sévère que celle préconisée par l’ICNIRP mais elle n’en est pas moins 25 fois plus élevée que le seuil d’apparition de désordres biologiques et de troubles de la santé. En outre, elle a été modifiée à la hausse, le 31 octobre 2013, sous pression des opérateurs, pour faciliter le fonctionnement de la technologie de quatrième génération (LTE) ou 4G qui utilise la fréquence de 2600 MHz. La valeur-seuil à Bruxelles est maintenant de 9,6 μW/cm² (soit 6 V/m pour la fréquence de 900 MHz), donc 4 fois plus élevée !
Que savait-on en 1998 sur les effets biologiques provoqués par les rayonnements non ionisants à des niveaux d’exposition inférieurs au seuil d’effets thermiques ? Ce sont des chercheurs russes qui furent parmi les premiers à étudier, au cours des années 1950, les effets biologiques des hyperfréquences, espérant trouver dans les résultats de ces recherches des applications militaires [1].
Le syndrome des micro-ondes ou maladie des hyperfréquences, chez les travailleurs et parmi les militaires exposés pendant plusieurs années à de faibles niveaux de puissance est décrit clairement, et ce dès les années 1960, par des chercheurs des pays de l’Est [2].
Les troubles regroupés sous ce terme sont les suivants : fatigue chronique, irritabilité, céphalées, nausées, anorexie, dépression ; modifications de la fréquence cardiaque, variations de la pression artérielle avec hypotension ou hyper-tension ; somnolence, insomnies, difficultés de concentration, troubles sensoriels ; troubles dermatologiques (allergies cutanées, eczéma, psoriasis) ; modifications de la formule sanguine (taux élevé de lymphocytes) ; perturbations de
l’électroencéphalogramme ; atteintes aux organes des sens (vision, ouïe, odorat) [3].
Longtemps décriée par la communauté scientifique internationale, la réalité de ce syndrome est cependant confirmée en 1998 par une publication américaine [4] qui précise le lien entre la maladie et l’exposition à des hyperfréquences pulsées du
même type que celles générées par la téléphonie mobile. Remarquons que la plupart des symptômes décrits ci-dessus sont précisément ceux ressentis par les sujets électrohypersensibles.
Ces résultats ont été réétudiés en 1995 par V. Goldsmith (Israël) et par Liakouris en 1998 et ont confirmé une augmentation du risque de cancer (leucémie et cancer de l’utérus). Mais, au-delà de ces controverses exploitées par tous ceux qui ont intérêt à entretenir le doute sur la réalité des dommages à la santé de l’exposition aux rayonnements non ionisants à des niveaux d’irradiation très faibles, de nombreuses études étaient déjà disponibles en 1999 rapportant des effets biologiques significatifs.
Il va de soi qu’une exposition à des ondes électromagnétiques de très basses fréquences comme le 50Hz de transport et de la distribution d’électricité ne devrait, selon la vision et le modèle de l’ICNIRP, entraîner aucun effet biologique sur l’organisme humain. En effet, les champs électriques et magnétiques sont trop faibles pour provoquer le moindre échauffement des tissus ou pour induire des courants électriques dans l’organisme. Pourtant, des études pionnières avaient déjà mis en évidence l’accroissement du risque de leucémie chez les enfants exposés aux rayonnements ELF (extrêmement basses fréquences) des lignes à haute tension ou de transformateurs de puissance. On savait aussi que l’exposition à des ELF perturbe l’équilibre sérotonine/mélatonine en réduisant la production de mélatonine, hormone qui joue un rôle capital dans les rythmes biologiques animaux et humains, plus particulièrement le rythme circadien. C’est aussi un antioxydant puissant. La réduction de sa production est impliquée dans les maladies produites par les radicaux libres : cancer ; vieillissement prématuré, maladies neurologiques, attaques cardiaques.
Les travaux de laboratoire de Ross Adey et de Carl Blackman publiés dans les années 1990 ont mis en évidence une voie biophysique entre l’absorption par résonance de très faibles champs ELF dans le cerveau, l’altération de l’homéostasie cellulaire par les ions calcium oscillant à des fréquences ELF dans les neurones et autres cellules pour réguler les fonctions cellulaires de base, comme la neurotransmission et la communication cellulaire. On touche
ici au cœur du problème. À aucun moment n’est pris en considération par les experts de l’ICNIRP le fait que les êtres vivants, émetteurs-récepteurs d’ondes électromagnétiques,
puissent être profondément perturbés dans leur fonctionnement intime et leur santé. Faut-il rappeler que le cerveau humain émet des signaux qui couvrent une gamme de fréquences allant de 0,5 à 30 hz ? Que le cerveau soit agressé par des signaux de l’environnement ambiant de fréquences proches ou identiques est une hypothèse qu’il eut été judicieux de prendre en considération. Cette hypothèse est d’autant plus importante à propos de la téléphonie mobile que les hyperfréquences émises et reçues sont pulsées en très basses fréquences. La sensibilité aux rayonnements des portables se manifesterait ainsi, comme le suggérait déjà G.J Hyland [5] sous deux aspects, c’est-à-dire vis-à vis de la fréquence porteuse (hyperfréquence) ainsi que de certaines fréquences de pulsation qui caractérisent le signal.
L’existence d’effets non thermiques pourrait s’expliquer par la capacité de l’organisme à reconnaître certaines fréquences. Ainsi, plus que la puissance transmise, ce serait la fréquence qui serait le paramètre clé. Ce phénomène d’interaction par résonance avec les structures intimes du cerveau aurait dû alerter les experts de l’ICNIRP, de l’OMS et de la Commission européenne. Il n’en a rien été.
Vingt ans plus tard, les connaissances relatives aux risques de la pollution électromagnétique se sont largement enrichies. Les études épidémiologiques, les études in-vitro et in vivo se comptent par milliers et forment un corpus scientifique sur lequel le législateur peut s’appuyer. On sait notamment que le concept de taux d’absorption spécifique adopté pour les normes de sécurité n’est pas suffisant pour définir les limites en matière de risques de santé. D’autres paramètres, comme la fréquence et la durée d’exposition doivent être pris en compte. En outre, l’existence d’effets génotoxiques, neurologiques et reprotoxiques à des niveaux d’exposition nettement en-deçà des valeurs-limites en vigueur est démontrée. Enfin, on sait que les enfants sont plus vulnérables. Des éléments concordants de preuve montrent qu’une exposition aiguë du fœtus et du nouveau-né a des conséquences particulièrement dommageables selon le stade de développement au cours duquel il y a exposition. Les dommages à la santé peuvent se manifester des décennies plus tard.
L’ICNIRP, contre toute évidence scientifique, continue à jouer le rôle que l’industrie et les milieux d’affaires attendent d’elle. Elle campe sur sa position de 1998, avec la caution de l’OMS. En 1999, il fallait déjà appliquer le principe de précaution qui, faut-il le rappeler, justifie des actions de politique publique dans les situations d’incertitude pour éviter des menaces sérieuses pour la santé ou l’environnement.
En 2001, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe les champs magnétiques de fréquences extrêmement basses comme peut-être cancérigènes pour l’homme. Il déclare que le risque de leucémie infantile serait doublé pour une exposition à un champ magnétique de 0,4 μT.
En septembre 2007, l’Agence européenne de l’environnement, sur base des travaux du BioInitiative Working Group déclare : « Les preuves actuelles, même limitées sont suffisamment fortes pour mettre en question la base scientifique des normes actuelles ».
Le 27 mai 2011, le Conseil de l’Europe adopte une résolution en ce sens.
Le 31 mai 2011, le Centre international de Recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’OMS, classe les champs électromagnétiques de radiofréquences comme « peut-être cancérigènes pour l’homme » (catégorie 2B).
Le 11 juillet 2018, l’ICNIRP a actualisé ses propositions de valeurs-guides pour limiter l’exposition aux champs électromagnétiques (100 kHz à 300 Ghz). Ces valeurs-guides ne protègent que contre les effets thermiques pour des expositions intenses et de courte durée.
Le 1 novembre 2018, 164 scientifiques et médecins, appuyés par 95 ONG’s, ont lancé un appel solennel à tous les gouvernements, aux Nations-Unies et à l’OMS pour qu’ils rejettent les propositions de l’ICNIRP, qu’ils considèrent comme dangereuses pour la santé et l’environnement.
[2] Z-V GORDON, « Biological effect of microwaves in occupational hygiene », 1966, Izd. Med., Leningrad (TT 70-50087, NASA TT vF-633, 1970).
[3] A.G. JOHNSON LIAKOURIS, « Radiofrequency sickness in the Lilienfeld study. An effect of modulated microwaves ; Arch Environ ». Health 53 ; 236-238 ; 1998.
[4] J.R GOLDSMITH, « Epidemiological evidences of radiofrequency radiation (microwave) effects on health in military broadcasting and occupational studies » ; Int J Occup Environ Health ; 1995 Jan ; 1(1) : 47-57.
[5] G. HYLAND, Actes du colloque international Téléphonie mobile : effets potentiels sur la santé des ondes e.m de haute fréquence, 29 juin 2000, éd. Marco Pietteur, 2001.