Mathieu Sonck — 12 mai 2011
Les Partenariats Public Privé (PPP) ont bonne presse. Méfions-nous de ces montages dont on ignore les conséquences en termes budgétaires, démocratiques et sociaux.
Contrairement à ce qu’on peut entendre, les PPP n’offrent pas de solution magique au problème de financement des infrastructures. En réalité, les pouvoirs publics n’ont aucun problème à emprunter de l’argent. En outre, ils empruntent à un taux qui est toujours meilleur que celui qu’obtiendrait la plus solide des entreprises privées car les autorités publiques ont un risque de défaut de paiement qui est moindre. Les critères européens limitent l’endettement public, mais n’interdisent aucunement de prioriser les services d’eau par rapport à d’autres investissements moins essentiels (avions de chasse, circuits de Formule 1...).
Les PPP sont chers
De plus, l’implication d’un partenaire privé dans le financement d’un service public implique forcé-ment la nécessité de rencontrer les intérêts de toutes les parties. Celui de l’entrepreneur privé est de maximaliser et de maintenir son profit, une réalité qui augmente le coût du service pour l’usager (on estime par exemple le surcoût du privé dans l’eau en France autour de 15 %).
Enfin, certains montages de PPP dénotent du peu d’expérience des pouvoirs publics, voire de leur incapacité à obtenir un accord équilibré : les contrats utilisés sont des contrats-types élaborés par d’énormes entreprises multinationales dont le cœur de métier est l’ingénierie des contrats et la relation aux élus, mais négociés par des élus locaux n’ayant pas toujours les moyens techniques et humains de comprendre la portée de ce qu’ils signent. Le « partenariat » est donc souvent le résultat d’une négociation complètement déséquilibrée.
Les PPP sont des pièges à électeurs
Les PPP permettent aux élus de montrer à leurs électeurs qu’ils réalisent de nombreux projets mais sans que cela se voie immédiatement dans leurs comptes. En effet, dans la plupart des cas, l’investissement initial est apporté par le secteur privé (une entreprise adossée à des banques commerciales) et n’apparaît par conséquent pas dans les comptes publics (seuls apparaissent les premiers remboursements). En revanche, le coût total du projet pour les contribuables, une fois le remboursement effectué, est dans tous les cas largement supérieur à celui qu’il aurait été si le projet avait été financé par le secteur public lui-même...
Les risques sont rarement bien partagés
On avance souvent que dans un PPP le partenaire privé prend une partie des risques, qui sont uniquement supportés par le public dans une formule traditionnelle. Dans le cas de la station d’épuration, on voit que la situation n’est pas si simple.
Lorsqu’un problème « imprévu » apparaît qui pourrait mettre en péril le maintien du taux de profit de l’exploitant — dans le cas de la STEP Nord, la nécessité de construire des installations de dessablage pour pouvoir faire fonctionner son système expérimental d’oxydation des boues par voie humide, et à défaut de conduire les boues en Allemagne pour incinération pour satisfaire son obligation de résultat — on se retrouve dans un cas de figure de nouvelle négociation commerciale où l’allocation du risque devient un enjeu. De manière générale, lorsque l’exploitant, souvent constitué pour l’occasion en consortium, ce qui limite la responsabilité financière de ses actionnaires, n’est plus capable de remplir ses obligations, le partenaire public n’a plus d’autre choix que de laisser le consortium faire faillite et de trouver un repreneur, ou de changer les règles du jeu en cours et de mettre la main au portefeuille, ce que la Région a déjà fait de nombreuses fois dans le dossier Aquiris. [1]
Le PPP n’est en général flexible que dans un seul sens
Les PPP font l’objet de contrats extrêmement complexes qui tentent de prévoir tous les cas de figures possibles et imaginables — ce qui est par définition impossible. Les cahiers des charges sont lourds, et pourtant constellés de failles et de clauses de renégociation obscures (on utilise dans le jargon du métier l’expression « faire suer un contrat », c’est-à-dire introduire à coup de renégociations successives des possibilités de profits supplémentaires). Une fois le contrat signé, il est très difficile de s’en défaire. Et, encore une fois, les élus s’engagent toujours pour une période beaucoup plus longue que leur mandat.
Le PPP n’est jamais transparent
Quel est le citoyen qui a eu l’occasion de trouver sur Internet le contrat Aquiris ? Les raisons de ce manque de transparence sont-elles à chercher dans des considérations juridico-commerciales du type « il faut préserver le secret commercial ou technique du partenaire privé » ou est-il plus à chercher dans le fait que les PPP sont souvent l’objet d’une collusion d’intérêt telle qu’elle n’est pas avouable publiquement ? Le contrat qui liait la ville de Berlin à Veolia est ainsi resté secret de 1999 à octobre 2010, lorsqu’une mobilisation citoyenne en faveur de la publication du contrat aboutit à la publication de celui-ci dans la presse (où il apparut que la ville de Berlin garantissait contractuellement des profits importants à l’entreprise).
Le PPP ne favorise pas forcément la concurrence
Si les vertus supposées de la concurrence sont le prétexte de la libéralisation de nombreux services publics, il n’est pas rare non plus de constater des ententes et des comportements de cartel entre les entreprises du secteur. Les sièges sociaux de Suez et Veolia en France ont ainsi été récemment perquisitionnés par la Commission Européenne dans le cadre d’une enquête sur des collusions supposées. De manière générale, la concurrence dans le domaine de l’eau est limitée à l’obtention du marché, les systèmes d’eau étant un monopole naturel (il n’y a qu’une seule canalisation par habitation)... Autant dire que la concurrence se limite à obtenir les bonnes grâces des élus concernés.
Le titre est emprunté à un article éponyme de Pierre J. Hamel, chercheur et enseignant à l’Institut national de la recherche scientifique.
Les acteurs C’est l’intercommunale HYDROBRU, anciennement IBDE, qui assure la distribution de l’eau à Bruxelles. En 2009, Hydrobru fournissait près de 300 000 abonnés pour un chiffre d’affaire de près de 120 millions d’euros [2]. Hydrobru est entièrement contrôlé par les communes bruxelloises. VIVAQUA, entreprise publique à caractère industriel [3], produit l’eau (en la captant principalement dans les nappes aquifères wallonnes) et la livre à Hydrobru. Vivaqua exploite également la station d’épuration Sud de Bruxelles et assure pour le compte d’HYDROBRU les missions relatives à la conception, la réalisation et l’exploitation des réseaux d’égouttage. Vivaqua est une entreprise intercommunale de type transrégional rassemblant 38 villes et communes, dont les 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale. Elle possède le statut de société coopérative à responsabilité limitée (SCRL). Son chiffre d’affaire (tous clients confondus) est de 250 millions d’euros. Le rapport annuel d’Hydrobru nous apprend que Vivaqua facture environ 48 millions d’euros pour livrer à Bruxelles l’eau nécessaire à la vie de ses habitants, entreprises et travailleurs. AQUIRIS, filiale du groupe international privé VEOLIA, est née suite à un appel d’offre de la Région de Bruxelles-Capitale, pour concevoir, construire et exploiter durant 20 ans la station d’épuration de Bruxelles-Nord [4]. La Société Bruxelloise de gestion des eaux (SBGE) est une société anonyme de droit public dont l’actionnaire majoritaire est la Région bruxelloise. Elle est principalement chargée de l’épuration des eaux et gère à ce titre les contrats de la station sud (Vivaqua) et nord (Aquiris). Le remboursement des infrastructures de la station Nord et son exploitation est de l’ordre de 40 millions d’euros sur un budget de 50 millions d’euros. La SBGE tire principalement ses revenus d’une taxe sur l’assainissement payée par Hydrobru et d’un financement direct de la Région. |
[1] Pour la dernière en date, voir le rapport de la Cour des Comptes de septembre 2009, à la page 3 : « La Cour observe cependant que l’intervention financière de la Région pour assurer la continuité de la concession et pour éviter une procédure judiciaire va au-delà du cadre contractuel initial issu de la mise en concurrence du marché de concession. »
[2] Hydrobru, rapport annuel 2009.
[3] Les données concernant Vivaqua sont tirées du site internet de l’entreprise www.vivaqua.be.
[4] www.aquiris.be.