Début du confinement, le message martelé était clair : « prenez soin de vous, restez chez vous ». Pourtant, alors même que l’injonction à rester « chez soi » s’imposait, la question du logement restait absente du débat public, médiatique et politique.
L’évidence même de nos inégalités en matière de logement est criante depuis des années : à Bruxelles, 4 000 personnes au moins sont sans logement, des dizaines de milliers de ménages sont mal logés. Encore faut-il s’en rappeler, encore faut-il y prêter attention.
Avec le confinement, rapidement, les « petits parcs » des quartiers denses furent fermés. Trop risqués. L’espace public : interdit, sauf en cas d’extrême « nécessité ».
Rapidement, les banques annoncèrent qu’un report des remboursements des prêts immobiliers allait être rendu possible pour les propriétaires occupants, une bonne chose pour les personnes qui ont vu leurs revenus baisser ou disparaître.
Moins rapidement, les locataires du secteur public ont également eu l’occasion de reporter une part de leur loyer.
Mais les oublié·e·s du confinement ont été les locataires du secteur privé, les personnes sans papiers et sans abri. Nous parlerons ici des locataires du privé, qui représentent à Bruxelles 50 % des ménages. Ni plus, ni moins. Certains vivent dignement et n’ont pas de problèmes d’argent, mais la majorité est dans une situation financière difficile. Et dans les quartiers centraux où ces locataires sont concentré·e·s, les appartements sont plus petits, ont moins d’espace extérieur, et sont souvent en piteux état.
Quoi qu’il en soit, finalement, lentement, la question des locataires pauvres a fini par émerger. La réponse qui fut donnée est la suivante : 214 euros, un « one shot » pour soutenir ces ménages… soutenir leur capacité à survivre à cette crise ? Non, soutenir le paiement de leur loyer, et donc leurs bailleurs pour que, eux, survivent à la crise ou puissent rembourser leur prêt aux banques.
Notre point ici n’est pas de dire que la mesure n’aurait pas dû être prise, mais nous voudrions qu’il soit possible de discuter de l’injustice criante que représente une telle démarche. Pour au moins trois raisons.
Finalement, tout cela nous renvoie à la question suivante : qui paie la crise ? Parfois, être schématique, regarder les grands mouvements d’argent, cela permet de se rendre compte de la logique qui se cache derrière un système.
En temps normal, hors « crise sanitaire » ou « crise économique », il y a des personnes qui perçoivent un revenu, déclaré ou pas, pour leur travail, et/ou qui reçoivent des allocations de la sécurité sociale ou d’organismes publics, et qui louent un logement à un bailleur.
Une partie de l’argent qu’elles gagnent servira donc à payer un propriétaire privé. Quelqu’un·e qui possède quelque chose sans l’utiliser pour soi.
Avec la crise (Covid puis économique), les salaires seront partiellement remplacés par des transferts d’argent public, et des caisses de sécurité sociale. En d’autres termes, de l’argent qui vient des heures de travail et de la collectivité, sera transféré sur les comptes en banque (privés) de petits ou grands propriétaires. Vu que nombreux parmi ces propriétaires sont occupés à rembourser un crédit, une partie de tout cet argent termine dans les caisses des banques, qui sont finalement les grandes gagnantes de cette histoire. Ces banques gagnent doublement sur votre crédit : une première fois parce que vous payez des intérêts, une deuxième fois parce qu’elle met votre crédit en bourse (c’est la titrisation qui profite aux investisseurs, les autres grands gagnants).
En mettant la priorité sur le paiement du loyer, c’est donc toute cette pyramide qu’on maintient. Et surtout, c’est le haut de la pyramide qui se maintient : les gros propriétaires, et les banques. Si c’est la crise, et si nous souhaitons vivre dans une société plus équitable, nous ne devons pas tou·te·s perdre 30 % de nos revenus ou de notre capital. Certains ont énormément, d’autres presque rien. C’est à ceux qui ont le plus de perdre le plus.
La propriété privée des logements et du sol implique qu’il y ait un marché de l’immobilier, et donc une spéculation – alimentée par des banques et autres gros investisseurs – qui a des effets sur le prix des biens qui y sont échangés : les logements. Et c’est le marché, la concurrence entre les acteurs, la spéculation sur un bien de première nécessité, qui fait que tout le monde n’est pas bien logé alors que d’autres s’enrichissent. Et c’est choquant et dangereux pour l’ensemble de la société que des personnes ne puissent pas rester chez elles en cette période de confinement.
Si certaines personnes deviennent propriétaires pour se garantir une bonne pension, ou parce que leurs revenus sont trop bas, c’est que le système de pension tel qu’il existe et l’inégalité des revenus sont le problème. Si elles ne savent pas vivre sans les loyers qu’elles perçoivent, elles pourraient demander de l’argent à l’État. Placer les locataires pauvres dans une situation de subordination et de demande est un choix politique anti-démocratique. En somme, il s’agit d’inverser la charge de la preuve : puisque la mesure soutien la propriété, c’est au propriétaire à faire la demande.
D’une façon générale, si des personnes pauvres en viennent à dépendre des loyers payés par des personnes encore plus pauvres qu’elles, c’est qu’il y a un problème et pour le résoudre, il faut raisonner non pas en termes de propriété, mais de solidarité.
Nous avons tou·te·s besoin de nous sentir en sécurité, un peu rassuré·e·s dans nos vies, notre logement, nos relations.
Le déconfinement est engagé, et les justices de paix ont rouvert… bientôt, le moratoire sur les expulsions se terminera, tout autant que le faible dispositif d’accueil des personnes sans-abri et les « hôtels » qui ont accueilli des personnes sans abris seront vidés. Concrètement, avec la crise économique et l’impossibilité de payer dans laquelle vont se retrouver un nombre croissant de personnes, sans solutions de logement et de relogement structurelles, et sans interdiction pure et simple des expulsions, des centaines de personnes vont être purement et simplement mises à la rue. Et se retrouver sans toit. Tout ça parce qu’on fait primer le paiement des loyers au bénéfice des propriétaires, plutôt que de mettre ceux qui le peuvent à contribution, en leur imposant un abandon partiel ou total des loyers qu’ils exigent.
Nous disons que cela n’est pas acceptable. Et nous pouvons agir là où nous sommes : parlons-en, soutenons-nous en cas de défaut ou de grève de paiement, interposons-nous lors des expulsions (locatives ou par des banques), aidons à négocier les loyers, soyons solidaires plutôt que concurrent·e·s. Bref, refaisons du logement un droit et une matière collective !
Chargée de mission de 2018 à 2021.