Sac jaune, sac bleu, sac vert, sac orange, à Bruxelles, le tri de nos déchets s’est installé dans nos quotidiens. D’écologiquement conseillé dans les années 90, il devient moralement obligatoire dès 2010. Mais comment cela se déroulait-il auparavant ?
Nos détritus valsaient-ils tous au sac noir puis tout droit à la décharge ou à l’incinérateur ? Ou bien, au contraire, existait-il des filières de tri parallèles, qu’elles soient formelles ou informelles ? Et si c’est bien le cas, comment ces filières ont-elles évolué ? Un mardi de février 2022, trois ferrailleurs, Djago, le fils, Carmela, la mère, et Alex, le père, remontent le couloir de bus de la chaussée de Mons, chacun poussant une charrette à bras. Leurs véhicules débordent d’objets métalliques collectés : poussettes dépareillées, portières de voiture, four électrique, séchoir à vêtements, diverses pièces mécaniques…
En 1962, pour un sujet télévisé, Selim Sasson interviewait quatre hommes : trois chiffonniers et un négociant sédentaire pour un petit sujet de six minutes : Le Chiffonnier des Marolles [1]. Entre ces deux instantanés, soixante ans sont passés.
Leur véhicule déborde d’objets métalliques collectés : poussettes dépareillées, portières de voiture, four électrique, séchoir à vêtements, diverses pièces mécaniques…
En 1962, ces voddemannen, chiffonniers en bruxellois, sillonnaient encore les rues de Bruxelles avec des charrettes à bras pour racheter métaux, loques ou papier au porte-à-porte. Tout y passait : vieux poêles, ustensiles de cuisine, bottins téléphoniques, journaux, vieux vêtements et vieux os. Les habitant·es leur vendaient leurs rebuts, leurs encombrants contre quelques pièces, et ces ambulants les revendaient ensuite au poids à un grossiste tenant boutique, le plus souvent, dans les Marolles, quartier historique de la récupération. Dans le sujet de Selim Sasson, certains semblent entièrement indépendants tandis que d’autres paraissent travailler directement pour le marchand tenant boutique.
D’après leur témoignage, leurs revenus dépendaient des cours capricieux du métal ou du papier, menaçant la rentabilité de leur collecte : « Avant-guerre, 1 kg de métal se vendait 10 centimes, mais avec 11 centimes, vous aviez un pain. Récemment, le cours du métal lors de la guerre de Corée est monté à 5 Fr, pour redescendre, au moment du tournage à 60 centimes… Le voddeman précise qu’un pain, c’est 25 Fr, maintenant. » Enfin, ils se plaignaient de la concurrence avec les « œuvres » qui, équipées de camions, commençaient à venir chercher les encombrants… mais gratuitement !
L’échange commercial proposé par le vod deman était modeste… mais rendait un service utile, surtout au temps où peu de ménages disposaient d’une voiture individuelle : la population pouvait se débarrasser ainsi d’objets cassés plutôt que les jeter à la rue. Ces récupérateurs limitaient les dépôts dans l’espace public et ils alimentaient artisans, fabriques voire l’industrie de matière première à réutiliser.
Contrairement à celle de leurs équivalents parisiens, l’activité des chiffonniers bruxellois est peu documentée en Belgique, en particulier leur présence à partir des années 70.
« Avez-vous des souvenirs des chiffonniers à Bruxelles ? », cette question lancée sur les réseaux sociaux a permis de rassembler quelques informations. Au cri de « Ei gien vodden en bien » – « qui a des loques et des os ? » –, ou « marchands de loques », nous apprenons qu’ils circulaient encore une fois par semaine jusqu’à la fin des années 70 ou au début des années 80. Si pas mal d’entre eux rejoignaient les Marolles, ils écoulaient aussi leurs marchandises dans des dépôts situés non loin de la place de la Duchesse (Molenbeek), ou rue Scheutveld (Anderlecht, quartier Aumale). Sur l’Anderlechtoise (groupe Facebook), Nicole De Neve écrit : « Dans les années 70 et 80 j’ai connu un monsieur qui faisait cela pour arrondir sa petite pension. C’était à Cureghem et il revendait aux maroquiniers pour remplir les sacs à main. » Cathy Lousbeq se rappelle également : « J’ai connu quand j’habitais à Bruxelles. À l’époque, j’avais 9 ans, j’en ai 70. On vendait les vieux jour naux et les loques à un monsieur avec une charrette à bras pour 1 franc le kilo. »
Mais, le voddeman n’était pas le seul à collecter les déchets : par exemple, les scouts récupéraient épisodiquement de vieux journaux et annuaires téléphoniques pour financer une partie de leurs camps en les revendant aux négociants de papier. Le principe n’est pas uniquement bruxellois, Patrick Wouters se rappelle que sa sœur, pour se faire de l’argent de poche, avait rassemblé tous les vieux papiers de l’hôtel familial de Louvain et « en avait tiré 180 Fr, pour près de 200 kg ». Et la ferraille ? Elle était aussi ramassée. Toujours selon Patrick, « dans les années 75-80, un ferrailleur sillonnait encore les rues d’Auderghem, le samedi matin. Il avait doté son camion d’un haut-parleur qui diffu sait un message enregistré. Je l’ai encore dans l’oreille : “Allôallô, iiiici les ménagères. Nous achetons : vieux zinc, vieux plomb, vieux cuivre, vieilles lessiveuses, vieilles machines à laver, tououout auplushautdesprix” (on entendait la ponctuation). On pouvait suivre à l’oreille sa progression dans le quartier. »
Gabrielle Lefèvre, une bénévole d’Oxfam, se souvient qu’à la fin des années 70 « on récoltait les journaux pour Oxfam et l’opération Terre qui les vendaient aux papeteries et avec cet argent finançaient des opérations de solidarité avec le Sud ».
À la lecture des rapports accompagnant les plans régionaux de gestion des déchets, on apprend que du temps de « l’agglo » – rassemblement de plusieurs communes bruxelloises précédant la Région bruxelloise – l’intercommunale de ramassage de déchets organisait des collectes sélectives porte à porte pour le papier, le verre et les vieux vêtements, en partie en partenariat avec l’association Terre. « De 1973 à 1985, l’aggloméra tion a procédé à une collecte hebdomadaire à jour fixe, au porte-à-porte, du papier et du verre. En 1990, la région réac tive la collecte des verres via des bulles et la collecte de papier et de vêtements en partenariat avec l’asbl Terre » (Plan de prévention et de gestion des déchets 1998-2002 adopté le 9.7.1998).
Toutefois, en 1985, la collecte au porte-àporte est abandonnée. À cette époque, c’est le tout au bac qui prime ; tous les déchets valsent sans distinction au sac noir en direction de l’incinérateur. En totalité ? Non. Le père de Laurent G., éboueur dans les années 80, récupérait les papiers posés à côté des sacs lors des collectes pour les revendre à un négociant et arrondir ses fins de mois. Ses collègues faisaient pareil. Même expérience chez Pierre Bermans, habitant : « Je sais qu’à la maison on ficelait les vieux jour naux par paquet et que les éboueurs du mestbak (dépôt d’immondices) les mettaient sur le côté du camion pour les revendre. » La pratique semblait donc courante et acceptée, voire soutenue par la population. Si le voddeman se faisait rare, le tri contre rétribution se maintenait de manière relativement informelle, mais cette fois pour compléter les revenus des éboueurs de la ville.
Il faudra encore attendre une dizaine d’années pour que le tri des papiers et de certains PMC se réinstaure petit à petit, commune par commune entre 1992 et 1996. Le tri sera d’abord conseillé, les détritus devant être déposés dans les sacs jaunes et bleus, ramassés en même temps que le tout-venant. Le tri ne deviendra obligatoire pour le papier, et ensuite pour le plastique, qu’en 2010, soit près de quatorze ans après son instauration ! Aujourd’hui, les ménages bruxellois sont contraints à trier leurs poubelles en trois catégories : végétaux, papier carton et PMC (plastiques, emballages métalliques et cartons à boisson). Le tri des déchets organiques – aujourd’hui conseillé – sera également rendu obligatoire dès 2023.
Aujourd’hui, Les Petits Riens, mais aussi d’autres ONG comme Oxfam ou l’asbl Terre sont insérés dans le réseau des entreprises d’économie sociale, agissant dans le cercle vertueux de la collecte - réception - tri - réparation voire même transformation et distribution d’objets de seconde main.
Depuis plus de trente ans, la rentabilité du modèle économique basé sur la consommation de masse est menacée à la fois par une surproduction de déchets, devenue ingérable environnementalement, mais surtout par la progressive raréfaction des matières premières (Monsaigeon, 2017). En sus, les États tentent de résorber le chômage des ouvriers et des personnes les moins formées – en raison de la délocalisation du secteur de la production vers l’international. Le secteur de l’économie sociale du traitement des déchets participe donc à une forme de solution à ces problèmes. « En France, l’inscription sociale des activités de réemploi a été réactivée via le pro cessus de création du secteur qui a conduit à structurer ce dernier comme s’il y avait une analogie entre requalification des objets et requalification des individus » (Que faire de nos restes, collectif, p.31). Il s’agirait donc d’un triplé gagnant, d’une triple réinsertion sur le marché : une réinsertion d’objets devenus encombrants environnementalement, coûteux à faire disparaître, un apport non négligeable de matière première « secondaire » et le retour vers l’emploi des classes populaires difficilement « activables » sur le marché du travail, et ce à moindre prix via des subventions publiques ou des emplois aidés.
Mais certains échappent encore à ces programmes d’employabilité. C’est comme ça que nous revenons à Djago, Alex et Carmela ; des hommes et des femmes, souvent de la communauté rom de Roumanie et de Bulgarie, qui continuent à sillonner les rues de Bruxelles, tantôt avec des charrettes à bras, tantôt en camionnettes. Ils y chargent principalement des objets en métal.
Certains échappent encore à ces programmes d’employabilité. C’est comme ça que nous revenons à Djago, Alex et Carmela ; des hommes et des femmes, souvent de la communauté rom de Roumanie et de Bulgarie.
Emiliya Savkova est travailleuse sociale à la Cellule de relations interculturelles pour primoarrivants de la Commune d’Anderlecht (Cripa) et auparavant au Foyer, une association molenbeekoise soutenant les communautés roms. Ellemême d’origine rom bulgare, cette médiatrice interculturelle travaille depuis de nombreuses années avec les ferrailleurs de sa communauté. « Il y a longtemps que les Roms roumains et bulgares font ce travail, pas seulement à Cureghem, mais un peu par tout à Bruxelles. Au départ, beaucoup utilisaient des char rettes. Maintenant, il n’y a plus que les Roms roumains qui les emploient. » Ce métier – que l’on peut aisément relier aux métiers de subsistance souvent pratiqués par les « primo-arrivants » – est particulier à une partie de la communauté rom. Ils ne se sont pas inventés ferrailleurs en Belgique : « En Bulgarie, ils traitaient déjà la ferraille. C’était leur métier, leur expérience. Ils savent reconnaître un métal qui va être récupérable, un métal qui vaut cher. »
Elle précise pour les Roms bulgares : « Ils font ce travail depuis dix ou quinze ans, mais avec des camion nettes. » Pour beaucoup, il s’agit d’un métier de premier ancrage, un moyen immédiat de subvenir aux besoins de la famille. Avant l’entrée de la Bulgarie dans la CEE, il fallait décrocher un titre de séjour lié, par exemple, à un statut de réfugié pour obtenir un permis de travail. « C’était difficile de se faire engager, même en connaissant la langue. » Par ailleurs, « en 2005, il y avait beaucoup de ferraille à récupérer et aucun ne parlait le français. Il y avait peu de contrôle et le métier était plutôt bien vu : oui, ils font bien, ils ramassent les déchets. À ce moment-là, un homme pouvait conduire un camion et en donner un second à un chauffeur. Beaucoup, beaucoup de gens récoltaient en 2005. Il y en a bien moins aujourd’hui, notamment parce qu’il y a moins de ferraille à ramasser et parce que le cours du métal varie trop. »
Par ailleurs, c’est un métier difficile et parfois criminalisé, une activité dont la rentabilité varie selon la demande et la valeur de la matière récupérée. Une partie du métal récupéré est écoulée par de gros ferrailleurs – par exemple Tribel à Forest, ou AG Metals à Beersel. C’est dans ces mêmes entreprises que les particuliers qui rénovent leurs maisons revendent le métal (tuyauterie, poutrelle, etc.), plutôt que de le déposer à la déchetterie. Les récupérateurs professionnels y déposent également le fruit de leurs collectes. Désormais, l’argent obtenu doit être versé sur un compte en banque, ce qui est une façon de chercher à limiter la partie informelle de l’activité. Aujourd’hui, selon Emylia : « Je dirais que sur dix, deux seulement ont leur propre société. Depuis peut-être cinq ou six ans, le métier a évolué, peut-être », supposet-elle, « parce qu’ils ont commencé à parler français. Du coup, ils font leur publicité sur Internet. Les gens qui veulent se débarrasser de déchets métalliques gratuitement les appellent. C’est plus facile pour les ferrailleurs qui préfèrent se rendre immédiatement chez les gens : “Nous, on a des adresses, comme ça, c’est plus facile, on ne doit plus chercher dans la rue, aujourd’hui, je trouve ou je ne trouve pas…” » La recherche reste discrète, alors qu’en Allemagne, ses compatriotes ferrailleurs équipent leurs camionnettes de haut-parleurs – à l’instar de ce qui se pratiquait avant en Belgique.
Il y a donc moins de ferrailleurs bulgares aujourd’hui et ceux qui restent professionnalisent – et formalisent – davantage leur activité. Cette formalisation correspond au parcours classique d’intégration des personnes d’origine immigrée : « Oui, c’était une première étape. Les hommes, ils ont commencé avec la ferraille, les femmes plu tôt dans les titres-services, donc de manière plus formelle, avec un contrat de travail. Mais avec le temps, comme beau coup avaient envie d’acheter une maison, ils sont passés à autre chose. Avec des revenus de la ferraille, tu ne peux pas aller facilement à la banque, vu qu’ils proviennent d’une activité informelle. »
Les bradeurs comme les chalands partagent un parcours commun, marqué par la précarité et souvent un parcours d’immigration.
La récupération et revente des brols n’a évidemment pas disparu, et possède encore des lieux de vente institués. Ainsi, Bruxelles compte un marché aux puces très bien approvisonné et très fréquenté, y compris par les touristes. Depuis 1873, bientôt 150 ans donc, il s’installe quotidiennement sur la place du Jeu de Balle dans l’ex-quartier de prédilection des vodde mannen. Les échoppes spécialisées attirant les collectionneurs qui y négocient des pièces rares y côtoient les récoltes des vide-greniers, présentées à même les boîtes en carton qui les ont déménagées depuis la maison à vider jusqu’aux pavés de la place. Il y a près de 200 vendeurs abonnés sur le marché du Jeu de Balle, mais aussi quelques « volants ». Cette activité est l’épicentre d’un système économique beaucoup plus large et complexe : la longue fermeture du marché en 2020 a eu des répercussions sur toute la fréquentation du quartier et de ses autres commerces (Le Pavé dans les Marolles, 2020).
Moins connues, bien que très fréquentées, les trois ou quatre rangées de la halle des abattoirs d’Anderlecht abritent également une brocante chaque vendredi, samedi et dimanche. Paul Thielemans (Abattoir SA) explique que la gestionnaire du marché autorise le paiement d’un emplacement à la journée pour la brocante, alors que les autres étals se louent plutôt à l’année. Les stands – le plus souvent sur couvertures ou bâches déposées à même le sol – sont tenus par des habitués, mais aussi par des vendeurs plus irréguliers. Les prix pratiqués correspondent à ceux des produits usuellement proposés sur ce grand marché généraliste : accessibles aux clients qui le fréquentent, à savoir essentiellement des personnes ayant de faibles revenus. Les bradeurs comme les chalands partagent un parcours commun, marqué par la précarité et souvent un parcours d’immigration. On y croise aussi pas mal de retraités, à l’image de cette mercière qui tente d’écouler les restes de son fonds de commerce sur divers marchés-brocantes.
Enfin, aux beaux jours, brocantes et videgreniers animent les week-ends de nombreux quartiers. Ils permettent aux riverains de se délester des objets qui les encombrent, mais aussi aux ambulants professionnels ou semiprofessionnels d’exposer leurs stocks.
Du marché aux puces à la brocante se dessine déjà une formalisation graduelle de l’activité, formalisation visible, notamment, par la carte de marchand avec abonnement au simple paiement d’un emplacement auprès d’un organisateur d’une brocante ponctuelle. Mais, à la marge de ces marchés institués, existe également toute une économie de la vente à la sauvette.
Comme à Paris, aux côtés de ces marchés encadrés, s’organisent des marchés à la sauvette d’objets de seconde main.
La Commune d’Anderlecht tente par exemple de maîtriser celui qui se déroule en marge du marché des abattoirs, autour de la station de métro Clemenceau. Les grands jours, il s’étale même sur une partie de l’îlot Jorez, une place minérale, peu appropriée par les habitant·es. Chaussures et vêtements usagés, câbles, vieux GSM, ceintures… sont présentés sur des couvertures à même le sol, qui se transforment rapidement en baluchons en cas de descente policière. Une bonne trentaine de fripiers y travaillent – essentiellement des hommes récemment arrivés sur le territoire (Maghreb, Moyen-Orient, Afrique subsaharienne, pays de l’Est). Ils côtoient un trafic de cigarettes d’importation qui se tenait auparavant en maraude sur le site des abattoirs.
Régulièrement, leur présence fait l’objet de plaintes des riverains et ils sont chassés, pour un temps seulement, par la police. Il en était de même pour le marché à la sauvette sur un trottoir de la rue de Liverpool, à quelques pâtés de maisons de là. Le marché a été dispersé à la faveur des travaux d’un futur complexe associatif, financé par un programme de revitalisation urbaine (CQD Compas).
À l’instar du biffin parisien (V. Milliot, Petites histoires de trottoir…), le voddeman bruxellois sillonne les rues de la ville, récupérant ce que ses résidents délaissent : des modestes papiers journaux, vêtements usés, aux métaux et objets réparables. Il pouvait vendre ses plus belles pièces au marché aux puces, ou revendre sa collecte chez des grossistes, ou directement chez des artisans.
Du temps où les fabriques existaient encore en pleine ville, les vieux métaux, les vieux papiers étaient ramassés localement et, souvent, transformés localement.
Les courts témoignages que nous avons rassemblés ici permettent d’esquisser les mécanismes d’un système économique mêlant producteurs de déchets, ramasseurs, négociants et entreprises de transformation. Revenu principal pour les uns, cette activité servait de revenu complémentaire ou de remplacement pour les autres. Il s’agissait d’un métier de subsistance – informel, mais structuré – organique dans le cadre d’une société encore fortement industrialisée. La population revendait ses déchets de valeur, qui étaient transportés pour être transformés, et les populations les plus pauvres en tiraient un revenu.
Cependant, les chiffonniers restent présents dans l’espace public jusqu’à la fin des années 70, milieu des années 80. La collecte sélective est ensuite assurée par les services de ramassage public – tantôt formellement – puis informellement par les éboueurs eux-mêmes lorsque le « tout au bac » primait.
Or la présence du secteur industriel à Bruxelles reflue dès les années 80. Cette diminution de l’industrie en ville entraîna vraisemblablement dans son sillage celle des récupérateurs de matières.
Le tri existait donc bien avant l’instauration des sacs multicolores ; la fonction du voddeman a été remplacée par l’action conjointe des pouvoirs publics gérant la collecte des déchets ménagers et par un secteur caritatif qui organise désormais comme des bassins d’emplois autour du tri, de la réparation, de la transformation, voire du recyclage des déchets.
Toutefois, même sans haut-parleurs, des camionnettes parcourent toujours les rues de la capitale à la recherche de ferraille. Les Roms bulgares et roumains connaissaient le métier et le pratiquent comme premier moyen pour assurer la subsistance de leur famille, à leur arrivée en Belgique. Quelques-uns ont ouvert une société, d’autres ont changé d’activité pour un emploi salarié. Enfin, une partie des objets que nous laissons sur les trottoirs va alimenter des marchés à la sauvette, en marge des marchés institués.
Le tri existait bien avant l’instauration des sacs multicolores.
[1] disponible sur le site de la Sonuma : https://www.sonuma. be/archive/les-chiffonniers-des-marolles