Claire Scohier – 17 octobre 2016
Ce mardi 18 octobre, la Commission de concertation de la commune d’Anderlecht se penchera sur le Plan particulier d’affectation du sol (PPAS) censé cadrer le devenir du bassin de Biestebroeck, ce territoire unique de 47 hectares situé de part et d’autre du canal à hauteur du Pont de Cureghem. Pour les associations, force est de constater que le projet de PPAS, à ce stade, fait pencher la barque du côté des desiderata des promoteurs au détriment du potentiel de ce foncier précieux.
Précieux et unique, parce que c’est le seul endroit du versant de la partie sud du canal qui est doté d’un bassin giratoire pour les péniches et de quais dotés des caractéristiques nécessaires à une zone de déchargement. Précieux et unique aussi, car c’est un des rares secteurs du territoire régional dédié aux activités productives susceptible d’offrir des emplois peu qualifiés aux Bruxellois. Pour le Comité de Biestebroeck, Inter-Environnement Bruxelles, Bruxelles-Fabriques (IEB), le Centre de Rénovation Urbaine (CRU), l’Union des locataires d’Anderlecht-Cureghem (ULAC), le Rassemblement pour le Droit à l’Habitat (RBDH) et la CSC Bruxelles, le projet de PPAS qui est sur la table ne tient pas compte de ces caractéristiques, faisant la part belle aux seuls desiderata des promoteurs.
Depuis 2010, les fantasmes immobiliers planent sur le destin du bassin de Biestebroeck. Plusieurs promoteurs immobiliers désireux de créer des water-fronts (ensemble de logements bénéficiant de vues sur le canal, pensez à la tour Up Site) ont jeté leur dévolu sur plusieurs hectares dans le périmètre (Atenor, promoteur de la précitée tour Up Site, est propriétaire de 4 hectares, et la nébuleuse immobilière Rivand est propriétaire du terrain jouxtant les quais en rive droite et du dénommé îlot Shell en rive gauche, également 4 hectares au total).
La pression foncière s’est accrue sur ce territoire dès le début des discussions autour du PRAS démographique et va s’accentuer encore davantage aujourd’hui avec ce projet de PPAS qui confirment la volonté de modifier les affectations de la zone. En effet, jusqu’il y a peu, l’ensemble de la rive droite à Anderlecht était affectée en « zone d’industrie urbaine » (ZIU). Le PRAS, en 2012, a fait passer 30 hectares de la zone en ZEMU (zone d’entreprises en milieu urbain) en vue d’y autoriser la création de logements sur les terrains bordant le canal, et ce malgré l’avis contraire de la Commission Régionale de Développement et du Plan marchandises qui préconisaient à cet endroit un espace dédié à un Port-Sud. C’est ce changement d’affectation du sol qui a constitué le cheval de Troie pour les projets spéculatifs de divers promoteurs, avec un risque bien réel de condamner définitivement toute capacité portuaire à venir dans le sud de Bruxelles ainsi que la préservation d’une zone d’activités productives.
Une occasion manquée au détriment des besoins réels en emplois et en logements
L’adoption du PPAS était l’occasion de serrer la vis là où elle pouvait encore l’être. Ainsi, le Plan canal préconisait notamment un redéploiement des activités portuaires, lesquelles à terme sont susceptibles de décharger nos voiries des trop nombreux poids lourds qui y sévissent. Mais le scénario final retenu dans le projet de PPAS porte seulement à 3 200 m² l’activité portuaire sur les 608 000 m² en projet soit moins de 1% des affectations. Le logement se taille, par contre, la part du lion avec 68 % de celles-ci. On rétorquera que c’est légitime au vu du besoin criant en logements des Bruxellois mais c’est oublier :
1. que « compte tenu de la propriété entièrement privée des parcelles visées par le PPAS, le logement neuf sera produit à des prix de marché, peu accessible à une partie importante de la population » [1].
2. que l’expérience montre que le développement important de logements à proximité d’activités productives et de transport aura pour effet de générer des conflits d’usages qui presque inévitablement se résoudront à terme par la disparition progressive des activités productives [2].
Le 15 septembre 2016, le Conseil économique et social de la région a fait savoir qu’il craignait sérieusement que le PPAS provoque un départ des entreprises d’ores et déjà présentes sur le site ou à proximité en raison de leur incompatibilité avec la fonction logement. Ceci est d’autant plus regrettable que le rapport d’incidences environnementales (RIE) signale, dans le même temps, que CityDev a plus de 100 demandes d’entreprises en cours dans le secteur de l’économie productive souhaitant s’implanter à Anderlecht et que le commerce de gros représente 25% de l’emploi communal à Anderlecht, secteur en lien avec une dimension logistique adaptée à la connectivité fluviale, ferroviaire et routière de ce territoire. Enfin, ces secteurs utilisent à 70 % de la main d’œuvre peu qualifiée adaptée au profil des habitants de la région contrairement au secteur tertiaire (30%) massivement présent aujourd’hui.
Même inadéquation du côté du logement. Les associations rappellent que la part de logements sociaux est très faible dans le périmètre. Ceci est constaté dans le diagnostic du Contrat de Quartier Biestebroeck. Or, les revenus moyens par habitant y sont inférieurs de plus de 20% à la moyenne régionale. Vu le peu de foncier publique dans la zone, le rapport d’incidences préconisait de négocier des charges d’urbanisme en logements encadrés et conventionnés. Or, le projet de PPAS ne se saisit même pas de cette option et affecte les charges d’urbanisme uniquement aux équipements scolaires et à l’espace public. De logement social, il n’en n’est pas question. A quoi sert de construire 3 800 logements s’ils sont inaccessibles à la bourse de la grande majorité des habitants de la ville ? Et si le projet prévoit bien deux écoles, pas la moindre crèche à l’horizon.
Des densités irréalistes au vu de l’état des sols, des effets de vent et d’ombre
On l’a dit, le PPAS prévoit des densités permettant un développement de 600 000 m² de projet. Les densités prévues vont d’un P/S [3] de 2,9 à 5. Pour rappel, pour les nouveaux quartiers, Bruxelles Environnement préconise des P/S de 1,3. A titre comparatif, c’est le P/S prévu pour le projet NEO au Heysel. Un P/S de 3 permet déjà un programme d’une très forte densité. Il est évident que les densités prévues visent à donner satisfaction à l’appétit des promoteurs immobiliers, mais ce au détriment des qualités urbaines du projet.
En effet, des densités importantes en logements exigeront inévitablement un certain nombre d’emplacements de parking. Or, le contexte géologique et hydrogéologique est peu favorable à la construction d’infrastructures souterraines. La nappe alluviale est globalement proche de la surface à cet endroit si bien que la construction d’infrastructures en sous-sol nécessitera la plupart du temps de rabattre la nappe, ce qui induit un risque de tassement dans une zone tourbeuse.
Le PPAS s’entête par ailleurs à vouloir construire ce qu’il nomme des « émergences » (entendez des tourettes de 14 à 20 étages) en tête de pont, là où les effets venteux se font le plus sentir. Le RIE établit en effet que la tête de Biestebroeck représente un véritable couloir potentiellement accélérateur pour le vent et est implanté dans l’axe des vents dominants [4].
Sans compter que de tels gabarits placeront à l’ombre une partie de la journée le parc Cricks, plusieurs îlots de logements ou les cours d’école [5].
600 000 m² de projets englués dans les bouchons !
Qui dit densité, dit également accroissement de la circulation automobile, surtout si l’on est dans une zone très mal desservie en transport en commun. Seul le bus 78 dessert la rive droite (4 bus par heure par sens en moyenne). Malgré ce constat, le RIE ne fait que très peu de recommandations fermes et se limite à des suggestions pour améliorer le transport public. Or, il est évident que les superficies en projet envisagées nécessiteraient la création d’une gare RER et d’une ligne de tram performante. Ni l’une ni l’autre ne sont pourtant envisagées que ce soit par la SNCB ou par la STIB.
À l’heure actuelle, les principaux axes passant par le périmètre du PPAS « sont relativement chargés aux heures de pointe, voire proches de la saturation ». Le RIE rappelle à juste titre que le trafic généré par l’urbanisation envisagée sera directement « lié à la plus forte densité en logement et à la superficie dédiée aux activités du type BtoB et tertiaire », tandis que les activités portuaires et productives « sont moins génératrices de déplacements en voiture » [6]. Une raison supplémentaire de rééquilibrer la répartition des fonctions dans la zone au profit de ces dernières.
La Marina en tête de proue
Et pour couronner le tout, la Commune d’Anderlecht vient de mettre à l’enquête publique un projet immobilier massif de 218 logements flanqués d’une marina pour 40 yachts sur un des terrains directement concerné par le périmètre du PPAS (l’îlot Shell). Comment expliquer qu’un tel projet soit mis à l’enquête deux semaines avant que le projet de PPAS ne passe en Commission de concertation ?
Au vu de tout ceci, les associations demandent une refonte complète du projet de PPAS qui prennent mieux en considération les spécificités d’un des rares secteurs encore adaptés à l’activité portuaire et productive en région bruxelloise. Le PPAS devrait opter pour une typologie spatiale plus favorable à l’installation des activités productives. Elles demandent que l’instruction des projets essentiellement caractérisés par le logement soient gelés aussi longtemps que des prescriptions plus encadrantes n’auront pas été adoptées. Conformément à la philosophie de la ZEMU et pour privilégier les activités productives, elles demandent aussi que la part du logements soit plafonné à 40% des superficies de plancher. Elles demandent pour finir des mesures claires pour assurer que 30% du logement construit dans le périmètre soit public dont la moitié en social.
[1] Voir le Rapport d’incidences environnementales du PPAS, p. 85 du chap. socio-économique.
[2] En 1997, on recensait 5 722 412 m² de bâtiments consacrés à l’activité productive. En 2011, ce chiffre chute à 4 730 000 m², soit une perte nette de 1 000 000 m² en 15 ans dont 800 000 m² rien que dans la zone centrale du canal. Cette disparition s’explique essentiellement par la reconversion de ces superficies en d’autres fonctions, dont 45 % en logements.
[3] Le calcul du P/S est le rapport de la superficie plancher ramenée sur la superficie au sol. C’est l’indicateur qui permet de qualifier la densité de construction à l’échelle d’une parcelle.
[4] RIE, p. 8, chap. 5. Tous ces éléments sont également pointés dans l’avis rendus par le Conseil de l’environnement.
[5] RIE, p. 41, chap. 5.
[6] RIE, p. 59, chap. 2.