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Le quartier Nord : entre « progrès » ferroviaire et spéculation immobilière

Ce dossier a été réalisé par Mohamed Benzaouia, Lucie Carton, Sylvie Eyberg, François Hubert, Almos Mihaly, Nicolas Prignot, Claire Scohier et Emmanuel Tête, en collaboration avec le comité de quartier Midi et les habitants de la rue du Progrès — 20 février 2011

On le sait, le quartier Nord a connu bien des vicissitudes dont la plus douloureuse reste indubitablement celle liée au Plan Manhattan responsable de plus de 11 000 expulsions d’habitants de leur quartier. Passé révolu ? Pas tout à fait. Aujourd’hui encore, des habitants luttent derrière la gare du Nord pour préserver leur logement.

Les traumatismes du quartier Nord

Un quartier modelé par le rail

Bruxelles a été formée et modelée par le rail mais à une époque où le bâti était moins dense et où le territoire présentait encore un caractère très rural. Tout a démarré avec la création de la première gare de chemin de fer inaugurée en 1835 à l’Allée Verte. Celle-ci fut rapidement saturée. Ainsi la gare de l’Allée Verte fut remplacée en 1841 par celle du Nord, alors implantée place Rogier. En 1871, la liaison de la gare du Nord et du Midi est assurée par la ceinture ouest à travers Molenbeek, évitant une jonction centrale qui aurait couper la ville en deux en provoquant l’exode massif d’une population modeste.

De 1850 à 1890, le quartier va connaître une véritable explosion démographique et muer en fonction des développements ferroviaires, accueillant entrepôts et industries directement liés à la présence du chemin de fer. On pense notamment à l’entreprise Aubert-Blaton qui s’installa en 1865 et présentait ses productions dans sa cours face au chemin de fer et au regard des voyageurs.

La rue du Progrès va subir l’impact de l’élargissement de la zone ferroviaire au gré de l’évolution du chemin de fer et verra son bâti amputé à de nombreuses reprises. La rue fut d’ailleurs ainsi dénommée pour rappeler l’impressionnante extension et évolution qu’a connues le quartier suite à la construction de la gare du Nord. Après avoir accueilli pas mal d’activités industrielles au 19e siècle, début du 20e, le quartier se stabilise et accueille de plus en plus de logements.

En 1929, à l’occasion des Congrès internationaux d’architecture Moderne, l’architecte Victor Bourgeois propose un projet de modernisation totale pour le quartier Nord se composant de plus de 40 barres d’immeubles. Le projet suppose la démolition intégrale de ce quartier vivant et populaire mais jugé vétuste pour y faire un centre d’affaires entouré de commerces et de logements.

Les saignées de la Jonction Nord-Midi

C’est à la même époque que la Belgique décide d’entamer les travaux de la Jonction Nord-Midi (1911-1952) [1] alors que ceux-ci ne s’imposaient plus. En effet, l’électrification du réseau supprimait la plupart des inconvénients inhérents aux gares en impasse [2]. Bruxelles est une des seules villes d’Europe à disposer d’une jonction centrale.

Les travaux provoqueront une véritable saignée dans les tissus urbains centraux accompagnée de l’exode de 13 000 personnes. Technique éprouvée, à Bruxelles et ailleurs, pour « assainir » des quartiers populaires jugés insalubres. L’impact des travaux sera cependant plus limité au quartier Nord que dans le centre même si le déplacement de la gare vers le Nord ainsi que la surélévation et l’élargissement des voies ferroviaires aura comme conséquence de couper le quartier en deux. Deux tunnels routiers seront d’ailleurs construits rue du Progrès pour permettre le passage routier en dessous du chemin de fer.

La gare du Nord montre la voie du progrès

La nouvelle gare du Nord allait être le fer de lance d’une orgueilleuse opération urbanistique. Après la deuxième guerre mondiale, le plan de Victor Bourgeois pour le quartier est exhumé des tiroirs et devient le plan Manhattan qui sera adopté en 1967 sous la houlette de l’échevin Vanden Boeynants : 70 immeubles tours reliés par un réseau de passerelles et de jardins publics à 13 mètres de haut. Les premières expropriations auront lieu en 1967 et les travaux démarreront en 1973 avec la tour du WTC.

On remarquera qu’à l’époque ni la presse ni le politique ne se montrèrent critiques à l’égard d’un projet qui pourtant entraînait l’expulsion de plus de 11 000 habitants de leurs quartiers. Comme le souligne Albert Martens, c’est un conglomérat de promoteurs privés qui parvint à imposer ses vues aux autorités politiques et aux médias [3].

Suite à la crise, le projet sera revu à la baisse pour aboutir dans les années 80. Ce chantier de modernisation va surtout entraîner le déclin économique du quartier et l’apparition d’une population immigrée à la recherche de logements bon marché. Quant aux programmes de construction de logements sociaux, ils prirent tellement de retard qu’ils ne permirent pas le relogement des personnes expulsées du quartier malgré le forte mobilisation d’associations et d’habitants. Seuls 15% des habitants furent relogés dans le quartier et un quart des logements prévus reconstruits. Par contre, dès 1987, l’embellie économique entraînera la relance de la construction des tours de bureaux le long des boulevards Albert II et Simon Bolivar.

2011 : la dernière des tours de bureaux construites dans cet ensemble technocratique, la tour Zénith, est toujours vide.

Le projet du Quadrilatère Nord : quelques trains en plus mais 200 habitants en moins

Quarante ans après les expulsions du quartier Nord, à la frontière des communes de Schaerbeek et Bruxelles-Ville, accotée aux voies de chemin de fer dans le prolongement de la gare du Nord, une petite rue tranquille... mais pas tant que ça. Voilà 5 ans que les 200 habitants qui y vivent tremblent dans l’incertitude des conséquences d’un projet ferroviaire : un viaduc de plus de 9 mètres qui entraînerait la démolition de toutes leurs habitations.

Le Quadrilatère Nord est une des portes d’entrée ferroviaire de Bruxelles située à l’une des extrémités de la Jonction Nord-Midi. Il constitue un des nœuds d’accès qui distribue et répartit les trains sur les six voies de la Jonction, laquelle voit passer environ 1200 trains par jour. On le sait, coincée dans le tissu dense de la ville, la Jonction Nord-Midi craque de partout. Pour répondre à cet engorgement tout en poursuivant l’amélioration de l’offre ferroviaire, divers projets ont vu le jour ces dernières années telles la construction du tunnel Schuman-Josaphat [4] et la réalisation du Diabolo [5]. A la rue du Progrès, c’est le cisaillement entre une voie lente (la ligne 50 Dendermonde) et une voie rapide (la ligne 36N Liège-Cologne) qui freine les objectifs de performance de la SNCB. Pour y porter remède, une des solutions consiste à faire passer la voie rapide sur un viaduc au-dessus de la voie lente.

Un projet de rail qui raie les habitants

Selon Infrabel, ce résultat ne peut être atteint sans démolir une trentaine d’habitations de la rue du Progrès, soit un pan entier de la rue, habité par 85 ménages, soit plus de 200 habitants dont une bonne partie sont installés dans le quartier depuis plus de 10 ans.

C’est dans le courant de l’année 2005 que les habitants entendirent pour la première fois parler du projet. Quelques soirées d’informations sont alors organisées par la commune de Schaerbeek pour informer les habitants des conséquences que celui-ci risque de faire peser sur leur logement. Les habitants se mobilisent et expriment leur colère. La commune et les associations les soutiennent. Les mois passent, un cahier des charges est établi en vue de l’élaboration du rapport qui devra analyser l’impact environnemental du projet.

Le 21 avril 2006, la Commission de concertation rend un avis favorable sur le projet de cahier des charges en vue de l’étude d’incidences du projet et un comité d’accompagnement composé des communes concernées (la commune de Schaerbeek et de Bruxelles-Ville) et des administrations régionales compétentes est institué, comité auquel IEB et le BRAL sont invités à titre d’observateurs. Ce comité se réunit pour la première fois le 2 juin 2006. Lors de cette première rencontre, Infrabel présente le projet de base ainsi que quelques alternatives en balayant rapidement la seule alternative permettant pourtant d’éviter les expropriations, l’alternative OF5. Celle-ci consiste en la création d’un viaduc en intérieur de voie comme il en existe déjà, notamment à la gare du Midi, plutôt qu’en bordure des voies comme le prévoit le projet de base.

A chacun ses objectifs

Vu la volonté d’Infrabel de défendre son projet de base comme seule solution praticable, il faudra quatre réunions pour que le comité d’accompagnement demande au bureau d’études que l’OF5 fasse l’objet d’une analyse d’impact approfondie au même titre que le projet de base.

Une année s’écoule, pesante d’incertitude pour les habitants. Le bureau d’études revient le 13 décembre 2007 devant le comité d’accompagnement. Jeux de dupe : Infrabel a demandé au bureau d’études d’étudier, outre l’OF5, deux autres alternatives qui avaient pourtant été écartées d’emblée pour leur manque de pertinence. Une façon pour Infrabel d’arguer de sa bonne volonté en noyant le poisson ?

Quatre réunions furent à nouveau nécessaires pour que le bureau d’études puisse répondre aux multiples questions posées par les membres du comité d’accompagnement, souvent peu convaincus de l’argumentaire visant à écarter l’alternative OF5. Le comité invite, à de nombreuses reprises, le bureau à pousser plus avant ses investigations dans un contexte visible de tension avec le demandeur Infrabel. Le bureau d’études se plaint de devoir travailler sur des données anciennes alors qu’il réclame depuis des mois d’Infrabel le nouveau schéma d’exploitation.

Ce sont ces tensions qui mèneront d’ailleurs le chargé d’études à devoir distinguer, dans l’étude d’incidences, son point de vue de celui du demandeur. Ainsi, dans le rapport, on lit qu’Infrabel et le chargé d’études apprécient différemment l’impact de l’alternative OF5 sur la souplesse d’exploitation ferroviaire, élément pourtant central qui justifiera pour partie le rejet de cette alternative. Pour Infrabel, les objectifs de rentabilité, capacité et rapidité doivent être les déterminants de la décision. Ce qui n’empêche pas l’opérateur ferroviaire de se targuer en presse qu’il privilégie les solutions les moins dérangeantes pour les riverains plutôt que les moins onéreuses et qu’il tente de limiter autant que possible les expropriations [6].

Une solution temporaire aux conséquences irréversibles

Au final, l’alternative OF5 sera rejetée aux motifs qu’elle « ne répond pas aux objectifs que l’on est en droit d’attendre d’une nouvelle infrastructure conçue pour minimum 100 ans (...) Dans une vision à long terme et à l’échelle macroscopique du réseau de transport ». Poudre aux yeux quand on sait que quelques mois plus tard, le responsable d’Infrabel, Luc Lallemand, déclarait que la Jonction Nord-Midi était au bord de la saturation et que d’ici 2020, à infrastructure inchangée, on laisserait des milliers de gens sur les quais. Le viaduc prévu pour le Quadrilatère n’est que le sparadrap temporaire pour soigner un mal bien plus profond nécessitant une lourde réflexion suivie de travaux d’envergure coûteux (on parle de 1 milliard d’euros) pour venir à bout de l’asphyxie de la Jonction Nord-Midi. Un sparadrap qui, en attendant, détruit de façon irréversible la moitié d’une rue en en chassant ses habitants.

L’étude d’incidences montre que les conséquences de ces expulsions sont d’autant plus dommageables qu’elles visent un public particulièrement fragile. Les habitants de la rue du Progrès ont un revenu annuel médian de 4 400 euros inférieur à la moyenne régionale [7]. Deux tiers sont des locataires payant des loyers allant de 200 à 500 euros pour des appartements de 1 à 3 chambres. Le marché actuel du logement tant public que privé ne leur laisse aucune chance de retrouver une offre équivalente dans le quartier... à moins bien entendu de reconstruire une surface équivalente en logement dans la zone. Nombre de ces habitants sont installés là depuis plus de 20 ans avec toutes les attaches sociales que cela suppose.

Une esquisse du droit au relogement

La situation fragile des habitants explique sans doute les précautions prises par le comité d’accompagnement dans sa déclaration de clôture du 6 juin 2008 : il reconnaît la pertinence du projet de base mais émet des recommandations pour pallier ses conséquences dommageables notamment l’adoption d’une convention préalable à la délivrance du permis prévoyant la mise sur pied d’un fonds d’accompagnement des locataires et imposant la reconstruction d’une quantité équivalente de logements dans la zone si possible avant le démarrage du chantier, et ce, afin de pouvoir reloger les habitants expulsés.

Cette recommandation découle en fait directement du PRAS dont la prescription 0.12 prévoit très clairement que tout logement supprimé en zone de logement, ce qui est le cas, doit être compensé par la même superficie de logements à créer dans la zone. L’étude d’incidences prévoyait d’ailleurs que le projet inclue la reconstruction d’une superficie affectée au logement au moins égale à la superficie existante, soit l’équivalent de 85 logements, pour une surface d’environ 9 000 m² [8].

Une utilité publique toute relative

Le 12 juin 2008, Infrabel annonce aux habitants, qu’après avoir examiné toutes les alternatives, il a le regret de leur faire savoir que seul le projet entraînant leur expropriation pour cause d’utilité publique est envisageable. Les habitants reçoivent la nouvelle abattus et résignés. A aucun moment, ni la commune ni Infrabel ne les rassurent en faisant état de la possibilité de reconstruire des logements dans le quartier pour les accueillir avant le démarrage du chantier. L’utilité publique du projet règne sans appel. Les habitants doivent se sacrifier pour l’intérêt général.
Pourtant l’utilité publique du projet mérite réflexion. Les travaux du rail les plus récents visent certes à améliorer l’offre ferroviaire mais de façon sélective. La politique de la SNCB vise à contraindre le moins possible l’offre IC/IR (Inter-City et Inter-Régionaux) et surtout internationale. Le schéma d’exploitation s’organise de façon à éviter de gêner les services TGV, et ce au détriment des lignes lentes, notamment les lignes RER, reléguées au rang de composante secondaire de la desserte ferroviaire [9]. La SNCB s’oppose à l’ouverture de nouvelles gares dans Bruxelles au profit des habitants mais tire un profit maximal du RER pour disposer de conditions favorables au développement de son offre longue distance afin d’accroître au maximum sa rentabilité [10]. Le RER est pensé par la SNCB avant tout pour faciliter l’accès et la traversée rapide de Bruxelles par les navetteurs et autres touristes, en oubliant ceux qui habitent la ville.

Le droit au relogement passe à la trappe

Le 24 avril 2009, la Commission de concertation en vue de la délivrance du permis a lieu à la commune de Schaerbeek. Bien que découragés, les habitants sont présents en masse, soutenus par les associations et le comité du quartier Midi lui-même victime des développements liés entre autres aux projets SNCB. La Ville de Bruxelles fait savoir qu’elle s’abstient de se prononcer sur le projet. La Commission postpose son avis au 15 mai. Dix jours plus tôt, la commune de Schaerbeek se prononce en défaveur du projet à moins qu’une kyrielle de conditions ne soient remplies. Elle demande notamment la reconstruction de logements dans la zone. Formule vague puisque rien ne garantit que cette reconstruction ait lieu avant le démarrage du chantier, seule façon de reloger les habitants chassés.

Comme prévu, le 15 mai, la Commission de concertation se prononce. Elle remet un avis favorable conditionné notamment par la signature d’une convention prévoyant la mise en place de mesures d’accompagnement au relogement des habitants (création d’un fonds d’indemnisation, suivi social et administratif des locataires). Mais la demande de reconstruction de logements dans la zone, elle, a totalement disparu !

Signalons que cet avis ne parviendra aux premiers concernés pourtant inscrits à la commission de concertation que 10 jours plus tard et sur leur demande insistante.

Des promesses restées sans lendemain

Depuis plus d’un an, la balle est dans le camp de la Région responsable de la délivrance du permis. Déjà interpellée sur ce dossier en 2006, la Secrétaire d’Etat au Logement Françoise Dupuis avait affirmé haut et fort que la Région défendrait le maintien du même nombre de logements en entamant des négociations avec la SNCB pour que celle-ci compense la démolition des logements actuels en construisant sur d’autres terrains lui appartenant [11]. Interpellée deux ans plus tard, en juin 2008, après la clôture du comité d’accompagnement, Mme Dupuis se contentera d’affirmer que « le fonds de relogement des locataires est une piste qui a bien été proposée à titre de recommandation, compte tenu du contexte social » [12]. Aujourd’hui, aucun signal de l’actuel ministre responsable de la délivrance du permis, Monsieur Emir Kir, ne laisse entrevoir une évolution dans le sens d’une reconstruction pour reloger les habitants dans le quartier.

Du droit au relogement à l’indemnité forfaitaire

De son côté, la commune de Schaerbeek a passé, comme prévu, une convention avec Infrabel pour accompagner les locataires. Mais tour de passe-passe, la convention dite de « relogement » s’est transformée en « convention relative à la gestion des immeubles expropriés de la rue du Progrès et à l’accompagnement des habitants de ces immeubles ». Loin d’un véritable droit au relogement, les locataires devront se contenter d’un accompagnement administratif et financier sans obligation de résultat.

La convention prévoit que les locataires pourront rester au moins jusque fin janvier 2012 et qu’une fois leur départ prévu, ils pourront toucher, grâce à la création d’un fonds par Infrabel, une indemnité variable en fonction du nombre de personnes dans leur ménage et de leur ancienneté dans le quartier. Les locataires peuvent ainsi tabler sur une indemnité allant de 3 000 à 15 000 euros. Ce dernier montant, qui peut sembler coquet au premier abord, ne sera dû qu’aux plus anciens et fondra rapidement comme neige au soleil vu le doublement du prix du loyer auquel ces locataires risquent d’être confrontés. Il eut été plus judicieux, de ce point de vue, que la commune réclame l’application de la règle du différentiel de loyer [13].

Des habitants sous pression

Pendant ce temps, Infrabel est en train de négocier tranquillement au cas par cas le rachat des maisons alors qu’aucun permis n’est encore délivré. Il a, à ce jour, acquis à notre connaissance (aucune publicité n’étant faite sur ces opérations) plus du tiers des habitations de la rue. En cas d’acquisition, les locataires occupants subissent les pressions d’Infrabel et du comité d’acquisition pour signer une convention par laquelle ils renoncent à leur droit moyennant le versement d’une indemnité de 5 000 euros. Pour la plupart des habitants de la rue, ce montant est inférieur à ce que la convention passée entre Infrabel et la commune prévoit. En signant, les locataires s’engagent également à vider les lieux au 30 juin 2011 alors que la convention susdite parle du 31 janvier 2012.

La plupart des habitants, peu au courant de leurs droits et éprouvant, pour la plupart, des difficultés à lire et comprendre ce document, signent et renoncent à leurs droits. D’autant qu’ils ne les connaissent pas dès lors que la commune n’a toujours pas informé les habitants du contenu de la convention qu’elle a passée avec Infrabel.

Il appartient désormais à la Région de prendre ses responsabilités dans ce dossier et de refuser toute délivrance de permis aussi longtemps qu’Infrabel ne se sera pas engagé à reconstruire une surface équivalente en logement dans le quartier, et ce, avant le démarrage du chantier en vue de permettre le relogement des locataires.

Conclusions

La Jonction Nord-Midi fut construite à un moment où elle n’était sans doute plus nécessaire. Coût social : 13 000 habitants expulsés. Le Plan Manhattan a mis plus de 30 ans pour se réaliser partiellement sans jamais remplir ses promesses. Coût social : 11 000 habitants expulsés. Combien de plans et de projets voués au progrès et de quartiers détruits faudra-t-il encore pour que nos dirigeants actent qu’aucun projet d’utilité publique ne justifie l’atteinte ainsi faite au droit au logement ? Les faits sont d’autant plus choquants lorsque l’on voit un parastatal invoquer l’utilité publique alors qu’il développe des pratiques très sélectives dont les conséquences pèsent dommageablement sur ceux qui bénéficient le moins de l’infrastructure dite d’utilité publique.

Ce dossier met aussi en exergue le bras de fer disproportionné entre, d’un côté, un opérateur public supra-régional aux pratiques entrepreneuriales, qui entraîne dans son sillage commune et Région et, de l’autre, une poignée d’habitants mal outillés pour défendre leurs intérêts légitimes. Le poids de l’argument d’expertise technique est tel que tout le monde se convainc que le projet présenté est le seul tenable et que les alternatives, présentant pourtant comme avantage indiscutable le maintien de toute une rue, ne peuvent le concurrencer.

Les acteurs dominants de ces rapports de force auraient sans doute eu plus d’intérêts qu’ils ne le pensent à ouvrir une oreille plus attentive aux habitants et aux associations qui tentent de les soutenir. L’histoire de Bruxelles montre que les combats menés par les habitants ont à plusieurs reprises empêché la destruction de lieux de vie et préservé la fonction sociale des territoires au côté de leurs fonctions économiques.


[1Ces travaux étaient déjà envisagés par le gouvernement belge et la Ville de Bruxelles au milieu du XIXe siècle. Finalement les autorités abandonnèrent le projet pour lui préférer une ceinture ouest transitant par Anderlecht et Molenbeek.

[2Thierry Demey, « Une ville modelée par le rail », in Bruxelles entre en gare, Les Cahiers de la Fonderie, 1998, p. 18.

[3A. Martens, « Dix ans d’expropriations et d’expulsions au Quartier Nord à Bruxelles (1965-1975) : quels héritages ? », Brussels Studies, 5 octobre 2009, p. 7.

[4Tunnel de 1250 mètres permettant de relier la ligne Bruxelles-Ottignies (ligne 161), depuis la gare de Bruxelles-Schuman, à la ligne Hal-Vilvorde près de Meiser (ligne 26).

[5Le projet Diabolo va permettre de raccorder l’aéroport de Bruxelles à la ligne Schaerbeek-Malines (L25) avec la création d’une ligne nouvelle le long de l’autoroute E19.

[6« Infrabel développe une cellule riverains », le Soir, 6 mars 2009.

[7Aries, Etude d’incidences. Projet d’extension de capacité des installations ferroviaires dans le quadrilatère de Bruxelles-Nord, juillet 2008, p.304.

[8Ibidem, p. 271.

[9P. Frenay, « Pour un projet de développement territorial associé au RER bruxellois », Brussels Studies, 2009, p.10.

[10P. Frenay, idem, p. 15.

[11Interpellation de F. Dupuis par D. Grimberghs le 20 février 2006 en Commission d’aménagement du territoire.

[12Interpellation de F. Dupuis par D. Grimberghs le 19 mars 2009 en Commission d’aménagement du territoire.

[13L’idée serait d’instaurer un mécanisme similaire à celui des ADIL (Allocation de déménagement-installation et d’intervention dans le loyer). Le locataire bénéficierait ainsi mensuellement d’une intervention dans son loyer compensant la différence entre son ancien et son nouveau loyer.