Ce dossier a été réalisé par Isabelle Hochart, Thierry Kuyken et Mathieu Sonck — 20 février 2011
C’est à « l’abri » du centre TIR, aux confins de Laeken et de Molenbeek, que la SDRB (Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale) entend développer le projet « Tivoli », un important ensemble mixte de logements et d’entreprises. Vu sa situation et son ampleur, mais vu aussi la politique de production de logements moyens pratiquée par la SDRB, le projet ne manque pas d’attirer l’attention. Voici quelques mots d’explication.
Un terrain actuellement en friche
Depuis de nombreuses années déjà, le vaste îlot situé entre les rues Dieudonné Lefèvre, de Molenbeek, Wautier, Tivoli et Claessens est en friche. Seuls y subsistent une série de logements du côté de la rue Tivoli qui ne sont pas directement concernés par le projet, ainsi qu’un ancien bâtiment de la défunte RTT.
En plein cœur de la zone industrielle du canal, la SDRB, actuellement propriétaire de l’ensemble du site, entend y développer 550 logements ainsi qu’un centre d’entreprises « Greenbiz ». Pour ce faire, elle a introduit une demande de permis de lotir amenant la création de 7 nouveaux îlots et de 3 nouvelles voiries.
La Commission de concertation qui s’est réunie ce 4 janvier 2011 à la Ville de Bruxelles s’est prononcée en faveur du projet, moyennant quelques modifications, essentiellement une révision des gabarits dans
certaines parties du site. Selon IEB, une série de questions subsistent, principalement en matière d’intégration du projet au quartier, de mobilité, mais aussi plus largement en termes de stratégie politique à mener face à la crise du logement et aux besoins criants en la matière, principalement pour les ménages aux revenus les plus faibles.
Un projet durable et intégré au quartier ?
La demande de permis de lotir fait état d’un projet respectant les préceptes du développement durable. En réalité, la SDRB agit avant tout en promoteur qui entend défendre, ou plutôt vendre, son projet.
Tout d’abord, la densité de logement proposée est trop élevée, d’une part au regard de la densité déjà très importante des quartiers avoisinants, et d’autre part parce qu’elle limite le développement sur le site d’espaces publics de qualité à l’usage des habitants actuels de la zone. Ainsi, le découpage du terrain ne permet la création que d’un petit espace public de 750 m² donnant sur la rue de Molenbeek. L’étude d’incidences elle-même pointe le fait que ceci est trop peu au regard du besoin criant en espaces verts dans le quartier.
Deuxièmement, l’essentiel des espaces publics créés consistera en des voiries traversantes classiques. Même si elles seront en principe vouées à la circulation locale, il sera très difficile d’empêcher le trafic de transiter par ces nouvelles rues. L’aménagement proposé est principalement dédié à l’usage de la voiture. Et si le nombre de places de parking (en sous-sol) se situe sous les normes RRU (avec 0,8 emplacement par logement), on ne peut que regretter que l’espace dédié à la voiture est perdu pour le reste des usages que l’on pourrait faire des espaces publics.
L’argument utilisé par le promoteur pour justifier ce choix s’appuie sur la nécessité de proposer un quartier qui s’inscrit dans la logique urbaine des quartiers avoisinants, ou en tout cas dans leur continuité, et ceci par souci d’intégration du projet dans son environnement. Néanmoins, lorsque l’espace public a une vocation essentiellement dévolue aux déplacements motorisés, cela ne permet pas de créer des lieux favorables à leur appropriation par les habitants et cela permet encore moins de susciter la rencontre et l’échange entre les gens. Pour favoriser l’intégration du projet au quartier, il faut amener le quartier au sein du projet. Cela peut se faire entre autres en y créant une place publique conviviale plus large et totalement ouverte sur le quartier existant, de sorte que les personnes qui y habitent s’y rendent tout naturellement.
Mais cette intégration ne se fera pas qu’en appliquant quelques principes de bon aménagement des lieux. Un travail doit être mené avec les habitants actuels du quartier afin de favoriser l’implication de ceux-ci, toutes couches sociales et communautés confondues, ce qui est loin d’être évident. Pour permettre l’appropriation du projet par l’ensemble des riverains, il faut leur permettre au minimum de coproduire l’espace public qui leur sera dévolu.
Pour finir, il faudra également veiller à ce qu’il y ait une forme de cohérence sociale entre les nouveaux et les anciens habitants. Si les futurs occupants des logements Tivoli devaient avoir un profil socio-culturel trop différent de celui du quartier actuel, le risque serait grand qu’aucun contact n’existe jamais entre ces deux groupes et que le site Tivoli ne vive replié sur lui-même. C’est une des raisons qui nous poussent à exiger qu’une part importante (au minimum 30%) des logements qui seront construits soit injectée dans le parc des logements sociaux bruxellois. La SDRB elle-même ne semble d’ailleurs pas opposée à cette idée et a, de ses propres dires, entamé les négociations avec la SLRB (Société de Logement de la Région de Bruxelles-Capitale), l’autorité régionale compétente en la matière.
Des terrains publics mis sur le marché privé
L’autre question que soulève le projet Tivoli, mais plus généralement les projets de la SDRB, est celle de la pertinence de la politique d’aide à l’accès à la petite propriété (logements acquisitifs subsidiés, Fonds du logement, aides à la rénovation,...). En effet, traditionnellement, les politiques publiques d’aide au logement menées en Belgique ont globalement eu tendance à favoriser l’accès à la petite propriété. Le résultat de cette approche se traduit par un faible taux de logements sociaux en particulier à Bruxelles où il atteint à peine 8 à 9 % du parc immobilier.
Ces chiffres ne sont pas sans conséquence sur la crise du logement que connaît notre capitale depuis plusieurs années déjà. Il a été maintes fois mis en évidence que si les pouvoirs publics voulaient vraiment agir et peser sur le marché immobilier, un des facteurs essentiels serait l’importance du parc immobilier qu’ils sont amenés à gérer. En l’absence de régulation des loyers ou de toute autre mesure contraignante pour le marché, seul un parc immobilier public important pourrait avoir un impact modérateur sur les hausses de prix successives que connaît le secteur du logement à Bruxelles. Ceci est d’autant plus important que le loyer payé par les ménages bruxellois, et en particulier par les moins nantis d’entre eux, pèse pour beaucoup dans leur budget et constitue un facteur d’accroissement des inégalités sociales. En choisissant d’utiliser les réserves
foncières et les fonds publics pour soutenir la propriété individuelle, les pouvoirs publics se coupent de leviers importants puisqu’ils perdent à terme tout moyen de contrôle sur les logements ainsi produits.
Plus spécifiquement, il nous semble pour le moins choquant que les personnes qui bénéficient d’un subside public à l’achat d’un bien immobilier puissent, au bout de 10 ans, revendre librement leur bien au prix du marché et ce sans autre forme de contrôle de la part des autorités régionales. En l’état, les pouvoirs publics sont deux fois perdants : non seulement ils perdent la maîtrise du foncier, mais en plus ils contribuent substantiellement aux plus-values captées par ses bénéficiaires.
Une nouvelle manière de produire des logements sociaux
Ces différents éléments mettent clairement en évidence les limites du système. Le projet Tivoli, qui n’en n’est encore qu’au stade du permis de lotir, offre l’occasion de réfléchir à une réforme du « volet logement » de la SDRB. Si l’idée d’intégrer pour partie du logement social dans le projet fait son chemin, l’incertitude règne cependant encore sur la proportion de ces logements par rapport à l’ensemble et quant à leur implantation sur le site. IEB plaide pour que ces logements sociaux soient en tout point équivalents aux autres logements et disséminés dans tous les îlots plutôt que concentrés sur les parcelles les moins bien situées. Une bonne manière de favoriser le lien social, voire de le provoquer, c’est de faire en sorte que chaque immeuble abrite des habitants aux profils socio-économiques différents. Ce genre de politique nécessite un changement important dans les pratiques des sociétés de logements sociaux : il s’agirait ici de gérer des logements sociaux dans le cadre de copropriétés avec des particuliers. Une complication, sans doute, mais aussi une bonne manière de pousser tant les locataires que les SISP à prendre soin de leurs logements.
En conclusion, IEB demande qu’une part substantielle de logements sociaux soient intégrés au projet Tivoli, comme cela devrait être le cas dans tout nouveau projet porté par les pouvoirs publics. Pour combattre la crise du logement à Bruxelles, il est indispensable de garder la maîtrise du foncier.