Inter-Environnement Bruxelles
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Le logement, c’est la (non) santé !

Dès lors que l’on s’intéresse à la santé au sens large – et aux différents déterminants qui font que l’on se sent, ou non, en bonne santé – le problème du logement n’est jamais loin. Cette question est en tout cas revenu chez l’ensemble des interlocuteurs avec qui nous avons échangé durant la préparation de ce dossier. C’est en effet principalement au niveau du logement que se cristallisent les problèmes plus larges de précarité.

Pour Stefania Marsella, chargée de projet à la Fédération des maisons médicales (FMM) et assistante sociale à la maison médicale (MM) Calendula de Ganshoren [1], le logement « c’est un point d’ancrage et ni plus ni moins un facteur de stabilité, car parmi tous les déterminants non médicaux de la santé, le logement est probablement celui qui conditionne le plus d’aspects de la vie ».

Un marché du logement sous tension

Pour tout un chacun, le logement devrait être cet espace vital permettant d’assurer la sécurité ontologique. C’est-à-dire ce lieu offrant la sécurité suffisante pour permettre le développement d’un carcan mental dans lequel peut se déployer et s’épanouir la vie psychique, mais aussi sociale puisque de nombreux droits découlent du fait d’avoir une adresse légale, et donc un logement à soi. Cependant, pour un nombre croissant de Bruxellois·es, le logement ne parvient plus à remplir ces fonctions pourtant élémentaires. Soit parce que les difficultés à boucler les fins de mois et à payer un loyer trop élevé sont sources d’angoisses, soit parce que le logement est suroccupé ou encore parce que l’état général du logement est à ce point dégradé qu’il devient impossible d’y mener des conditions de vie décentes. Cette situation est le résultat de plusieurs décennies de laisser-faire sur un marché du logement largement aux mains du secteur privé. Ce marché sous tension a vu exploser les prix du logement ces vingt dernières années, particulièrement sur le segment le moins cher du marché, là où la compétition entre ménages pauvres est la plus forte.

Tout le monde fait l’expérience de cette augmentation rapide des loyers. En dix ans, les prix moyens des loyers à Bruxelles ont presque doublé, passant de 440 euros en 2010 à 803 euros en 2020 [2]. Cette progression des loyers est beaucoup plus rapide que celle des revenus, ce qui signifie que la part que chaque ménage consacre à son loyer ne fait qu’augmenter dans le temps. Et c’est encore plus frappant pour les familles les plus pauvres. Ainsi, en 2020, pour les 20 % des ménages avec le moins de revenus, la part du budget consacré au logement avait augmenté de 350 % depuis la création de la Région bruxelloise ! Les familles pauvres consacrent donc trois fois plus d’argent de leur budget pour se loger aujourd’hui que ce n’était le cas à la fin des années 1980. C’est un chiffre d’autant plus inquiétant que de tous les pays d’Europe, c’est en Belgique que cette progression de la part du budget consacrée au logement est la plus forte [3].

Quand le logement devient la source de problèmes de santé

Pour de nombreuses familles bruxelloises, non seulement le logement n’est donc plus ce lieu d’épanouissement de la sécurité ontologique, mais il devient lui-même la source de problèmes de santé.

C’est autour de cette question qu’a été créée la maison de Médecine pour le peuple à Molenbeek : « Le logement était une des préoccupations des premiers médecins ici et ça l’est toujours maintenant. On consulte sur place là où habitent les gens et, oui, quand on entre dans un logement où on voit des problèmes qui posent des dangers pour la santé, on essaye de prendre en charge collectivement le problème dans toutes ses dimensions. » C’est un constat que sont amenés à poser les médecins lorsqu’ils traitent régulièrement les mêmes personnes pour des pathologies respiratoires, ou bien qu’une fratrie développe les mêmes problèmes de santé par exemple. Il est parfois nécessaire alors d’aller au-delà du traitement symptomatique pour chercher à améliorer les conditions du logement. Mima De Flores, de la MM des Primeurs à Forest, nous explique avoir régulièrement recours au service des ambulances vertes de l’IBGE :

« Quand il y a quelqu’un dans la famille qui a un problème de santé, on a un outil magique : les ambulances vertes. Ah, je les adore ! Donc, si tu as un enfant qui est tout le temps enrhumé dans la maison, je fais une lettre adressée aux ambulances vertes en demandant une analyse de salubrité du logement parce qu’il y a un problème de santé chez cet enfant qui, il me semble, pourrait être en lien avec l’état du logement. Donc, il faut une prescription ou une lettre de médecin. Ils viennent à domicile avec la batterie d’outils pour faire des prélèvements, et ils te font un rapport de beaucoup de pages où c’est écrit en bas de chacune “ce document ne peut pas être utilisé à des fins judiciaires”. Et après, les résultats c’est parfois incroyable. Regarde, par exemple pour cette jeune fille asthmatique ; “conseil : être le moins possible à l’intérieur du logement” ! Alors ça, tu ne peux pas l’utiliser au tribunal, mais avec un rapport comme ça, notre assistante sociale elle peut contacter le propriétaire et mettre un peu la pression pour changer les choses. Et pour moi ça fait partie de mon boulot. Ou alors je soigne l’asthme et les allergies de cette famille pendant des années quoi ! Bon, il faut qu’il y ait des leviers à partir de là, mais au moins tu as un outil qui va permettre d’interpeller d’autres intervenants. Et je trouve que cette cellule fait un vrai lien entre logement et santé ; mettre en évidence les problèmes de santé qui peuvent, en partie, être produits par l’état du logement. »

Il est parfois nécessaire d’aller au-delà du traitement symptomatique pour chercher à améliorer les conditions du logement.

Une des forces des MM est de pouvoir se donner le temps et les moyens de dépasser le traitement des symptômes. C’est-àdire également de pouvoir mettre au jour les causes des maladies, particulièrement les maladies chroniques. C’est difficile, c’est chronophage, et c’est souvent mettre le doigt dans quelque chose susceptible de nous entraîner bien plus loin que ce que ne l’aurait laissé présager une simple consultation médicale. Mais c’est parfois nécessaire si l’on ne veut pas se condamner à traiter indéfiniment les mêmes pathologies. Donc, comme le dit Mima De Flores, « pour moi ça fait partie de mon boulot ». Et ce qui rend possible de s’attaquer à ces problématiques, c’est de travailler en équipe, avec le relais d’autres professionnels – comme les assistants sociaux – qui travaillent dans bon nombre de maisons médicales, mais aussi en étroite collaboration avec d’autres services, comme les ambulances vertes de l’IBGE, et un réseau associatif plus large.

Quelques succès… malgré un rapport de force inégal

Malgré ces relais, les moyens d’action sur la question du logement restent limités. Pas forcément par défaut de législation encadrant le secteur du logement, mais parce que la question lancinante est la suivante : jusqu’où faut-il intervenir dans la dénonciation de problèmes structurels liés au logement dans un contexte où le marché locatif est tellement tendu qu’il est quasiment impossible de conclure un nouveau bail au même prix qu’un bail plus ancien ? C’est-à-dire que les prix ont tellement augmenté que si une famille est amenée à devoir quitter un logement qu’elle occupe depuis plusieurs années, il est certain qu’elle devra payer plus cher pour le bail de son nouveau logement. Ceci est notamment lié à l’offre faible de logements sociaux (moins de 7 % du parc bruxellois) et au temps d’attente sur les listes pour y accéder, qui est de 10 ans en moyenne. Or, nous l’avons dit déjà, c’est en Belgique que la part des revenus consacrée au logement a le plus augmenté ces dernières années et la situation est telle qu’il est déjà très difficile d’assumer la charge du loyer en l’état. Une augmentation du loyer apparaît donc bien souvent comme une solution intenable.

« Ce que l’on veut à tout prix éviter, c’est que le logement soit déclaré comme insalubre, parce qu’alors ce sont les scellés sur la porte et la famille qui se trouve à la rue », rappelle Mima De Flores. Il faut parvenir à agir, donc, pour améliorer les conditions du logement, mais sans aller jusqu’à une qualification comme logement insalubre qui serait synonyme d’expulsion. Voilà la marge de manœuvre dont dispose le médecin constatant des problèmes structurels avec le logement. Pour l’aider à naviguer sur cette crête étroite, un large réseau associatif existe et c’est une des autres forces des maisons médicales que de parvenir à travailler en bonne intelligence avec d’autres acteurs de la société civile.

Si cette approche peut produire des résultats, il reste extrêmement difficile de négocier au niveau individuel avec les propriétaires privés qui, actuellement, sont clairement en position de force sur le marché du logement bruxellois. Il est facile de faire comprendre au locataire que, s’il n’est pas content, il n’a qu’à partir et que le logement sera reloué rapidement. Même la menace d’insalubrité ne fait pas toujours effet, car si la nécessité de mise en conformité après une déclaration d’insalubrité est bien réelle, la possibilité de revoir largement à la hausse le prix du loyer une fois le logement remis aux normes n’en fait pas forcément un mauvais calcul pour le propriétaire…

Là où les moyens d’action deviennent plus puissants, c’est lorsque plusieurs locataires vivent des conditions identiques face à un même propriétaire. En multipliant les constats et en joignant les plaintes, il devient possible d’exercer une pression réelle. C’est ce que nous explique Hanne Bosselaers, médecin à Médecine pour le peuple à Molenbeek : « On essaie de renforcer les gens pour qu’ils aillent voir leurs voisins, qu’on puisse se battre ensemble pour une meilleure situation. On a même vu, depuis la crise Covid, une famille qui avait des punaises de lit dans un logement social et, parce que ça a traîné, il y a eu huit logements sociaux infectés dans ce même bloc. On a conseillé à la dame d’aller voir ses voisins pour réclamer une solution collective. Finalement, en mettant la pression, un service est intervenu pour traiter le problème. Du coup, tu sais faire ce travail de créer un collectif, d’essayer de trouver des forces autour des gens pour qu’ils puissent réagir collectivement. »

Une victoire donc, ici, contre le Logement molenbeekois en charge des logements sociaux de la commune. Mais une victoire aussi pour ces habitants amenés à s’épauler et à s’organiser pour revendiquer des conditions de vie décentes. Avec toujours la question de savoir dans quelle mesure c’est au médecin, et aux maisons médicales, de prendre en charge ces questions de logement qui sont à la fois si centrales pour la santé des patient·es et qui, en même temps, devraient être un droit garanti à tous sans que le médecin n’ait à batailler pour le faire respecter.