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Le contrat de quartier durable des Marolles expliqué à ma grand-mère

Gwenaël Breës – 29 novembre 2017

Conçu pour s’étaler sur plusieurs années (en général de 4 à 7 ans), un Contrat de quartier est théoriquement « conclu entre la Région, la commune et les habitants d’un quartier bruxellois ». Il se base sur le travail préparatoire d’une année zéro, censée durer 10 mois top chrono, qui est amputée à son départ de plusieurs mois de mise en place et à sa fin de plusieurs mois de négociations politiques et de procédures administratives. Sans compter les vacances… Comment les habitants peuvent-ils intervenir dans un projet si complexe, dans un laps de temps si court ?

Nous avons essayé de résumer, « le plus simplement possible », les objectifs et la mécanique d’un Contrat de quartier, son jargon, son timing, ses instances… Vous avez la migraine rien que d’y penser ? Ne passez pas trop vite votre chemin : ces quelques minutes de lecture à priori peu excitante vous permettront (on l’espère) d’y voir plus clair dans ce schmilblick qui va avoir des conséquences concrètes et « durables » dans nos vies.

Marolles, année zéro

Les autorités expliquent que les Contrats de quartier doivent partir « des besoins, des souhaits et des priorités » des habitants, ceux-ci étant censés être « consultés avant toute décision et encouragés à participer activement aux projets de changements ». En toute logique, la participation des habitants devrait donc passer par une première phase d’information et de pédagogie (qu’est-ce qu’un Contrat de quartier, qui est responsable de quoi, les différentes phases, les budgets en jeu, comment les habitants peuvent intervenir…), avant de mettre en place des dispositifs adéquats pour s’adresser à tous les types de populations, et faire émerger leurs souhaits et leurs besoins. Encore faudrait-il en avoir le temps.

Dans le cas Marolles, l’année zéro a démarré en mai 2017 par la désignation d’un bureau d’études, même si ce n’est qu’en juin que le Contrat de quartier a commencé à être annoncé aux habitants. Pour respecter les délais fixés par l’ordonnance régionale, le bureau d’études devait élaborer un pré-diagnostic pour fin septembre, puis une première liste de projets pour le mois de novembre, afin que la Ville de Bruxelles puisse s’en emparer en décembre et l’adopter ou le remodeler à sa sauce sous forme d’un programme de base. Lequel doit ensuite passer en enquête publique et être enfin approuvé par la Région avant le 31 mars 2018.

Dans des délais si serrés, il reste peu de place pour la réflexion et la participation citoyenne, et le moindre raté devient irrécupérable. Or, les ratés ne manquent pas. Ainsi, la première assemblée générale de quartier dans les Marolles, en juin, n’a été annoncée que quelques jours à l’avance. Puis, deux forums ont été planifiés… cet été, en plein moment de retour de vacances et de rentrée scolaire. Enfin, il y avait moins de 10 habitants, en octobre, aux ateliers censés recueillir l’avis de la population sur le diagnostic du Contrat de quartier (qui va servir de base pour élaborer le programme et définir le budget) : les toutes-boîtes n’avaient pas été distribués… quant à leur apparence, elle aurait tout aussi bien pu être celle d’une affiche d’exposition d’architecture, peu propice à attirer l’attention des habitants sur les enjeux en débat. Face à ce cuisant échec, l’échevin de la Participation citoyenne et de la Revitalisation urbaine avait solennellement annoncé qu’il reprogrammerait ces ateliers dans les semaines suivantes. Il ne l’a pas fait, renvoyant la discussion à une assemblée générale de quartier fin novembre.

Résultat des courses : alors qu’une grande partie des Marolliens n’a probablement pas encore entendu parler de ce Contrat de quartier, ou ne saisit pas encore de quoi il s’agit, le politique en est déjà au choix concret des projets. Ainsi s’écoule l’année zéro, à vitesse V prime. Mais en terme de participation, c’est plutôt un zéro pointé.

Le charabia du Contrat de quartier

1. Quoi, quand, combien ?

• Contrat de quartier durable (CDQ). Programme d’investissement public visant à rénover des périmètres définis « dans des quartiers présentant des difficultés sociales, économiques et urbanistiques ». Chaque année, deux à quatre périmètres sont désignés par la Région sur candidature des communes. Lancés par la Région en 1994, et devenus « durables » en 2010, les CDQ sont à ce jour au nombre de 86 dans tout Bruxelles : 65 sont achevés, 21 encore en cours ou en phase de démarrage. Trois d’entre eux ont concerné directement les Marolles : Tanneurs (2000-2004), Rouppe (2008-2012) et Jonction (2014-2018). Malgré ces 24 années de pratiques et d’expériences diverses, le mécanisme reste obscur pour les habitants et ne fait l’objet d’aucune évaluation démocratique. Le CDQ Marolles est l’un des premiers à être réalisé sur base de la nouvelle ordonnance de 2016 – dans laquelle, c’est révélateur, le mot évaluation apparaît quasi uniquement en référence à des études d’incidences environnementales, mais pas en regard du dispositif lui-même.
• Durée. Le CDQ Marolles doit s’étaler de 2017 à 2024.
• Budget. La Région a alloué un budget de 14 125 000 € pour le CDQ Marolles. La Ville a annoncé qu’elle mettrait au moins la même somme, pour un total qui devrait avoisiner 30 000 000 €. L’ordonnance régionale fixe que 80% du budget doit être consacré aux opérations « briques » (espace public, logement, équipements) et 20% au volet socio-économique (formation, création d’emplois, « insertion socio-professionnelle », « cohésion sociale », « participation citoyenne »…).

2. Qui fait quoi ?

• Région de Bruxelles-Capitale. Elle définit chaque année les périmètres qui feront l’objet d’un CDQ. Elle octroie minimum 95% du budget, à charge pour la commune concernée de mettre au moins les 5% restants. Elle valide le projet de programme présenté par la commune après le travail du bureau d’études. Étrangement, elle exerce peu de contrôle sur la manière dont les communes gèrent les CDQ.
• Ville de Bruxelles. Dans les CDQ se déroulant sur son territoire, elle a l’habitude de doubler la mise budgétaire initiale, afin notamment d’avoir plus de poids vis-à-vis de la Région. Elle décide du programme de base, après réception du diagnostic et du projet de programme établis par le bureau d’études. Elle pilote la « participation » des habitants et les instances censées les représenter : la CoQ et l’AG. Dans le cas des Marolles, c’est l’échevin de la Revitalisation urbaine et de la Participation citoyenne qui est en charge du CDQ.
• Bureau d’études. Suite à un appel d’offres, un bureau d’urbanisme privé (dans le cas du CDQ Marolles : la SPRL City Tools) est mandaté par les pouvoirs publics pour réaliser les étapes de « l’année zéro » : diagnostic, liste de priorités, projet de programme, le tout de manière « participative ». Sa mission arrive à terme au moment où les autorités décident du programme de base, soit le 31 mars 2018 dans ce cas-ci.
• Cellule du Contrat de quartier. Au lancement de « l’année zéro », la commune met en place une cellule devant piloter les différentes phases du CDQ sur le terrain. À sa tête : un chef de projet (seul la première année, avant qu’une équipe soit constituée lors de l’adoption du programme de base) censé avoir les épaules solides, une vision acérée, les yeux en face des trous, les bras longs, un caractère bien trempé, et une série de compétences diverses, pour mener à bien pareille mission. Et si le chef de projet quitte son poste en cours de processus, comme ça vient de se passer dans les équipes des CDQ Marolles (après 5 mois de service) et Jonction (après 3 ans), la Ville engage un remplaçant sans se demander si c’est la définition du poste ou le fonctionnement de la cellule qui posent problème.
• Assemblée générale de quartier (AG). Contrairement à l’imaginaire qu’il véhicule (venu notamment du monde associatif), l’assemblée générale dans un CDQ n’est pas un lieu du pouvoir décisionnel, et encore moins le lieu principal. C’est certes une réunion ouverte à tout le monde, à laquelle tous les habitants du quartier sont censés être invités et pouvoir s’exprimer, mais dans les faits elle est plutôt organisée comme un moment d’information et de communication. C’est la seule instance « participative », avec la CoQ, à se maintenir pendant toute la durée d’un CDQ. Elle doit se dérouler au moins trois fois pendant « l’année zéro », et au moins deux fois par an par la suite (mais attention, certaines AG sont « fusionnées » avec des CoQ !).
• Commission de quartier (CoQ). Censée représenter le quartier et ses habitants tout au long des 7 années de processus, son rôle (purement consultatif) est officiellement de « suggérer et d’émettre des avis » et « des résolutions » sur le contenu et le déroulement du CDQ. Ses membres sont désignés par la commune, sur base des candidatures recueillies lors des AG. L’expérience de 24 années de ce type de commission montre qu’au fil du temps, souvent dès la deuxième année, les habitants désertent ces réunions sans réel intérêt ni enjeu, où leur présence n’est souhaitée que pour la forme. Les associations, quant à elles, y jouent un rôle souvent timide puisqu’elles sont par ailleurs demandeuses de subsides du CDQ. Dans le cas des Marolles, peu d’habitants sont présents dans la CoQ et certaines catégories sociales en sont complètement absentes. Présidée par l’échevin de la Participation citoyenne et de la Revitalisation urbaine (qui y est donc juge et partie), elle fonctionne pour l’instant de manière peu participative : les dates de réunion sont envoyées plic-ploc (parfois tard) aux membres, qui n’ont pas de droit de regard sur les ordres du jour, ni même le temps de réellement débattre…

3. Le planning 2017-2024

2017-2018 : « année zéro »
L’année d’élaboration du diagnostic du quartier, de la définition des priorités et du programme de base du CDQ. Lire ci-dessus « Marolles, année zéro ».
• Diagnostic (octobre 2017). Un document qui analyse sous différents angles (historique, urbanistique, social, économique…) la situation du quartier et qui préfigure les priorités d’intervention. Dans le cas des Marolles, la première version du diagnostic a été publiée en octobre 2017 et est consultable ici.
• Programme de base (décembre 2017). Établi par le bureau d’études, c’est le document détaillant (sous forme de « fiches projets ») l’ensemble des opérations à réaliser potentiellement. À charge pour la commune d’en retenir ce qu’elle souhaite, ou de le modifier à sa guise, avant de soumettre sa version à l’enquête publique puis au gouvernement régional. Dans le cas qui nous occupe, la Ville de Bruxelles va décider du contenu du programme entre décembre 2017 et début janvier 2018… donc maintenant !
• Enquête publique (janvier 2018 ?). Pendant 15 jours au minimum, la commune est tenue de soumettre son projet de programme du CDQ à l’enquête publique (dans le cas des Marolles, cela devrait avoir lieu en janvier 2018). Concrètement, des affiches rouges seront posées dans le périmètre concerné, invitant les habitants (dans un langage technique difficilement compréhensible) à se rendre au Service Urbanisme de la commune pour prendre connaissance du dossier. Toute personne peut envoyer ses remarques et objections par écrit.
• Commission de concertation (février 2018 ?). Au terme de l’enquête publique, la Commission de concertation se réunit (ici, probablement au début du mois de février 2018) pour examiner le projet, les remarques et critiques envoyées par écrit, et entendre toute personne qui en a fait la demande. Composée de représentants de la commune et de différents services de la Région, elle remet un avis qui n’a pas de valeur contraignante. C’est le Collège communal, puis le Gouvernement régional qui décident ensuite d’adapter ou non le programme (avant le 31 mars 2018 dans ce cas-ci).

2018-2022 : phase d’exécution

Devant s’étendre sur 50 mois (2018-2022), cette phase de réalisation des projets commence dans la foulée de l’approbation du programme de base par le gouvernement régional, soit le 31 mars 2018.
• Fiches projets. Parmi les projets identifiés (en même temps que leurs porteurs potentiels) pendant la phase d’élaboration du programme, le bureau d’études fait une sélection qu’il soumet à la commune et présente à la CoQ et à l’AG. Après l’enquête publique et l’approbation par la Région, ces fiches projets font l’objet d’un appel à candidatures. C’est souvent le porteur initial d’une idée (entité publique, association…) qui obtient le subside pour la réaliser, dans un délai de 4 ans.
• Appel aux initiatives citoyennes. En marge de l’appel adressé aux associations, un appel est lancé aux « initiatives citoyennes » : au départ pour des projets s’étalant sur 4 ans, mais aussi chaque année pour des projets plus ponctuels. Dans les Marolles, aucune orientation précise n’est encore donnée à ces subsides. Dans certaines communes, la décision de soutenir tel ou tel projet est confiée à un jury constitué d’habitants. La Ville de Bruxelles préfère décider elle-même.

2022-2024 : phase de mise en œuvre

Censée durer 30 mois (2022-2024), cette phase est consacrée à la finalisation des opérations immobilières (uniquement, le socio-volet économique s’arrête après 4 ans), notamment l’exécution des marchés publics et contrats conclus par les bénéficiaires.
• Modifications. La nouvelle ordonnance est plus souple en matière de modifications du programme de base d’un CDQ tel qu’il a été adopté au terme de « l’année zéro » : elle permet à la commune de solliciter auprès de la Région, entre le 6e et le 30e mois suivant sa décision initiale, jusqu’à 5 modifications du CDQ (y compris des contours du périmètre). A priori, ça paraît une bonne chose… sauf que ces modifications ne doivent curieusement pas être soumises à l’enquête publique, ce qui donne toute latitude aux autorités.