La procédure d’enquête publique et de concertation sur les permis d’urbanisme est une victoire historique des comités de quartier bruxellois depuis les années 70. Elle permet à tout·e citoyen·ne d’être informé·e et entendu·e sur les demandes de permis d’urbanisme qui dérogent aux règlements urbanistiques bruxellois. L’entrée en vigueur des mesures de confinement à la mi-mars aurait dû d’emblée conduire à une suspension d’une procédure impossible à mener dans ce contexte. Laissant les communes gérer les choses à la petite semaine, la Région bruxelloise attendra pourtant le 2 avril pour adopter une ligne de conduite assurant le respect minimum de la démocratie urbaine.
Nous sommes mi-mars. Le gouvernement fédéral fait savoir que les citoyens sont priés de rester chez eux (sauf raisons bien spécifiques) au moins jusqu’au 4 avril. Rapidement le bruit court que les commissions de concertation (déjà annoncées) seront reportées sine die. Mais aucune consigne claire n’est donnée par la Région bruxelloise en ce qui concerne la tenue des enquêtes publiques et leurs éventuelles suspensions ou annulations. Dès lors que le Gouvernement fédéral et le Conseil National de Sécurité invitent les citoyen·ne·s à faire œuvre utile en restant à la maison pour sauver des vies, les seules mesures tenables consistaient pourtant à suspendre et reporter le dispositif de publicité-concertation.
Le 18 mars, Brulocalis, l’association des ville et communes de Bruxelles, communique une première fois sur la question, semblant relayer un embryon de prise de position au niveau de la Région mais sans que cela suivit d’une confirmation officielle plus d’une semaine plus tard. IEB est alerté par de nombreux·ses citoyen·ne·s interpellés de voir se poursuivre des enquêtes publiques sur les sites de plusieurs communes et de la Région et de découvrir des affiches rouges dans l’espace publique annonçant de nouvelles enquêtes alors que nous sommes toutes et tous, momentanément, mis dans la quasi incapacité de prendre connaissance des dossiers concernés.
Dans le chaos ambiant, IEB contacte le 20 mars 2020 chacune des communes bruxelloises ainsi que le Secrétaire d’Etat Pascal Smet, en charge de l’Urbanisme au niveau régional et relève qu’en l’absence de consignes claires données par la Région, certaines communes ont décidé de « suspendre » ou « annulé » la tenue des enquêtes publiques tandis que d’autres communes poursuivent la procédure comme si de rien n’était.
Il était évident que les principes d’accès à l’information ne pouvaient être pleinement garantis : les citoyen·ne·s avaient peu de chances d’être courant du fait même d’une enquête annoncée dans un espace public devenu fantomatique ; elles/ils auraient eu toutes les peines d’avoir accès aux dossiers dès lors que de nombreux services administratifs étaient fermés et que pour nombre des enquêtes mises en ligne sur le site de la Région les documents n’étaient pas disponibles.
Le courrier qu’IEB adressera au Secrétaire d’État Pascal Smet le 20 mars 2020 pour y voir plus clair restera sans réponse. Las, le 1er avril, l’association décide d’envoyer un communiqué de presse pour dénoncer la situation et signifier que personne ne sortira gagnant d’un processus biaisé d’enquête publique :
-* ni les citoyen·ne·s, qui voient leurs droits allègrement bafoués par les autorités ;
-* ni les travailleur·euse·s des administrations qui doivent gérer un flou malsain et risquent de se retrouver face à un embouteillage ingérable de commissions de concertation après les mesures de confinement ;
-* ni les autorités, qui voient leur crédibilité gravement écornée, s’exposant non seulement à une perte de confiance au sein de la population (déjà ébranlée par la procédure des PAD [2] ) mais aussi à voir l’action publique ridiculisée et sujette à recours auprès du Conseil d’Etat, pour cause de manquements flagrants aux dispositions légales en matière urbanistique et
environnementale ;
-* ni les développeurs ou les petits propriétaires, qui verraient les permis délivrés ainsi annulés et seraient en conséquence contraints de supporter des pertes de temps supplémentaires dues à la négligence des autorités et au besoin de réintroduire de nouvelles demandes de permis...
Finalement, la Région adoptera un arrêté le jeudi 2 avril prévoyant la suspension des délais d’enquête publique pour une durée d’un mois avec un effet rétroactif à dater du 16 mars.
Au-delà de la prolongation des délais, se posait également la question des conditions de reprise des enquêtes et commission de concertation après la suspension.
IEB insistait pour que la situation soit la plus respectueuse possible du droit à l’information des citoyens en demandant que pour les enquêtes publiques démarrées avant le début du confinement et se clôturant en cours de période, celles-ci soient annulées et redémarrées entièrement après le confinement de manière à ce que le délais d’enquête soient plein et entiers et non saucissonné. En effet, le fait de ne plus organiser ultérieurement que quelques jours d’enquête publique (contre les 15 jours normalement prévus) constitue une vraie faiblesse en terme de droit et d’accès à l’information. Alors que les citoyen.ne.s lambda travaillent normalement en journée, toute la semaine, et doivent ainsi parvenir à s’organiser pour pouvoir prendre connaissance des dossiers et passer au besoin au service d’urbanisme de leur commune, ne plus laisser que 4-5 jours pour le faire ne peut respecter le principe d’effet utile d’une enquête publique.P
Par ailleurs, pour éviter un goulet d’étranglement nuisible à la démocratie urbaine et à la qualité du travail des administrations, IEB demandait de rééchelonner dans le temps toutes les enquêtes publiques ultérieures au 13 mars 2020. D’ailleurs, le gouvernement envisageait à ce moment de prolonger de 9 mois les délais de traitement des dossiers. Néanmoins, ces requêtes légitimes d’IEB ne furent pas entendues par une Région plus sensible aux sirènes des développeurs qu’aux vertus démocratiques de la lenteur et de la délibération. Chez notre voisin français, la position adoptée dès la mi-mars est nettement plus limpide : annulation de l’enquête publique et sa reprise complète ultérieure.
On l’a vu dans maints domaines, le confinement fut un levier puissant pour organiser la digitalisation Se posait également la question des conditions de réalisation des commissions de concertation qui suivent la clôture de l’enquête publique, lesquelles supposent, en principe, la possibilité d’échanges oraux par un rassemblement physique. Bruxelles Urbanisme Patrimoine (BUP) fit part de sa volonté de réfléchir, en concertation avec le secrétaire d’État à l’urbanisme Pascal Smet, à un « scénario créatif » pour permettre l’opérabilité de ces concertations.
Lors de la 2ème vague de confinement, la Ville de Bruxelles fit ainsi une tentative de commission de concertation qui se tiendrait en mode « virtuel ».IEB. Ces vidéoconférences devaient remplacer les commissions de concertation sur des projets ayant fortement mobilisé en raison du grand nombre d’infractions urbanistiques contenues dans les demandes de permis (Tour Leaselex/rue de la Loi, projet Immobel Lebeau/Sablon). Face à la pression des habitants et des associations, la Ville de Bruxelles fit fort heureusement finalement marche arrière en reportant ces réunions à des dates ultérieures.
Pour IEB , les commissions de concertation constituent l’unique lieu où les habitants peuvent argumenter avec les porteurs de projets et les administrations. Ayant pour vocation de réaliser le « droit pour quiconque d’être entendu », elles permettent ainsi aux personnes qui maîtrisent moins bien l’écrit de formuler oralement leur avis lors de la réunion de la commission. Or, les commissions en ligne ne peuvent pas garantir pas une égalité d’accès de toutes et tous, que cela soit face aux outils (avoir à sa disposition un ordinateur et une connexion valable) et/ou aux usages (connaissance du web, maîtrise des logiciels...) nécessaires pour participer.
Ici aussi, nos voisins français firent preuve d’un plus grand respect des garanties démocratiques. La Commission nationale du débat public (CNDP) fit savoir dans un communiqué dès le 13 mars que « dans la mesure où les débats publics ne sauraient se tenir uniquement sous forme numérique, la Commission adaptera leurs calendriers afin de permettre ultérieurement l’organisation de réunions publiques en présentiel ».
Force est de constater que la Région bruxelloise malmène depuis de nombreuses années les procédures d’enquête publique et de concertation, les réduisant à un moment technique et procédurale vidé de toute son épaisseur démocratique. Les choix posés durant la période de pandémie ne furent jamais que les révélateurs d’un mépris de la démocratie urbaine déjà bien présent.
Aussi nous nous permettons d’insister encore une fois pour que toutes les enquêtes publiques dont les délais légaux ne se seraient pas clôturés au plus tard le 13/03/2020 (soit le vendredi précédent le lundi 16/03) bénéficient à nouveau de délais pleins et entiers (et non pas réduits - ce qu’une mesure de suspension implique normalement).
Inter-Environnement Bruxelles