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Le bureau bruxellois de la planification, nouveau pied-de-nez au PRDD...

Mathieu Sonck – Décembre 2015

Voici un peu plus d’un an, le Gouvernement bruxellois annonçait dans sa déclaration de politique régionale la création de deux structures para-régionales chargées de regrouper tous les acteurs publics du développement territorial. Quelques mois plus tard, le parlement discutait (et votait) les projets d’Ordonnance portant sur la création du Bureau bruxellois de la Planification ainsi que sur la création de la Société d’aménagement urbain.

Alors que le PRDD, dont la révision faisait déjà partie des objectifs du projet de gouvernement de 2009, n’a toujours pas été soumis à l’enquête publique, les réformes annoncées dans ses différentes versions officieuses avancent…

Ainsi, dans la version du PRDD de septembre 2013, on trouvait un chapitre très étoffé sur les intentions du précédent Gouvernement en matière de rationalisation des administrations en charge de la planification urbaine. On y annonçait déjà la création d’un Bureau de Planification, partie d’une réorganisation plus large annonçant la création d’une « plate-forme analyse, planification et administration foncière », destinée à « simplifier les processus de l’action publique, de viser une meilleure coordination de tous les processus informatifs, administratifs, décisionnels, opérationnels et d’évaluation et de monitoring des politiques, ainsi que dans la perspective de doter la Région de structures permettant la mise en œuvre efficace, rapide et transversale des actions prioritaires du PRDD en matière de développement territorial ».

Cette proposition reprise dans le PRDD ne fera dorénavant jamais l’objet d’un débat public à l’occasion de l’enquête publique obligatoire sur le PRDD. Elle est désormais coulée dans une Ordonnance sans que la société civile n’ait eu la possibilité de se prononcer...

Voilà donc une injustice que nous réparons partiellement à l’occasion de la présente analyse. Dans ce texte, nous proposons de nous concentrer sur les questions que pose la création du bureau de planification [1].

La valse des acronymes… pour rationaliser, mais pas trop !

Le grand chambardement urbanistique [2] annoncé avec le BBP vise à regrouper tous les acteurs publics prescripteurs de développement territorial. En tout cas, c’était bien l’intention initiale de Rudy Vervoort, Ministre-Président de la Région de Bruxelles Capitale, en charge de la planification du territoire et de l’urbanisme. L’idée était de rassembler dans un souci de cohérence et d’efficacité tous les départements issus des ministères concernés par le développement territorial : aménagement du territoire, mobilité, environnement. Mais le projet s’est vite heurté à l’opposition d’autres ministres qui se seraient vus dépossédés d’une partie de leurs compétences.

Pratiquement, le Bureau bruxellois de la Planification (BBP) aura la tâche de rassembler toute la connaissance du territoire bruxellois et de planifier son développement et rassemblera l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse, la direction Études et Planification de Bruxelles Développement Urbain (BDU), mieux connue sous son ancienne dénomination de l’Administration de l’Aménagement du Territoire et du Logement (AATL), une série d’observatoires thématiques dépendant de BDU (observatoire du logement, observatoire des bureaux, observatoire des activités productives,…), une partie importante de l’Agence de Développement Territoriale (ADT), le bouwmeester et son équipe, la facilitatrice école ainsi que le référent bruxellois du logement [3].

A peine 7 ans, jour pour jour après sa création, l’agence de développement territoriale (ADT) passe donc à la trappe. Créée à l’initiative du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale en remplacement du Secrétariat régional au développement urbain (SRDU), l’ADT avait pour tâche « de faciliter la compréhension du territoire et le développement urbain ». En collaboration avec tous les acteurs publics et privés, l’ADT était censée « comprendre, anticiper, conseiller, fédérer et agir au service de la Région et au profit des habitants et des usagers » [4].

La Société d’aménagement urbain (SAU), de son coté, est le nouveau nom donné à une société de droit public existante, la société d’acquisition foncière (SAF), créée en son temps pour répondre à la volonté du gouvernement de disposer d’un opérateur opérationnel public de développement. La SAU gardera les prérogatives de la SAF qui avait pour tâche principale d’acquérir pour le compte de la Région des terrains en RBC et se verra dotée de nouvelles prérogatives, telles que le droit de préemption, la possibilité de se voir transférer des biens par les différents niveaux de pouvoirs en RBC, etc. La SAU se verra également exonérée de droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe.

Le BBP dans les seules mains du Ministre-Président

Si l’on peut se réjouir de la volonté de cette rationalisation qui pourrait permettre (sans mettre en périls les grands principes de la démocratie urbaine qui tiennent à cœur à IEB) aux développeurs publics et privés de raccourcir le temps nécessaire à la mise en œuvre de leurs projets, notamment en créant un guichet unique auquel s’adresser, on peut s’interroger sur les raisons qui ont justifié le choix d’un organisme d’intérêt public de type A, dont la gestion dépend directement du ministre de tutelle, en l’occurrence le Ministre-Président alors qu’un organisme de type B aurait été placé sous le contrôle d’un organe de gestion placé sous la tutelle de tous les ministres compétents.

Dans son avis, le Conseil d’État ne s’y est d’ailleurs pas trompé en s’interrogeant sur les garanties d’indépendance d’un tel outil, notamment lorsqu’il produira des données statistiques, dont certaines censées permettre d’évaluer les politiques publiques [5]. On peut se poser le même question sur l’indépendance à terme des divers observatoires intégrés dans le BBP.

L’inquiétude suscitée par la concentration de pouvoir du BBP est encore amplifiée lorsqu’on s’intéresse à la place faite dans l’ordonnance à la question de la participation de la population. Cette tâche, initialement confiée à l’ADT mais qui n’a jamais vraiment été mise en œuvre, ne fait manifestement pas partie des tâches prioritaires du BBP.

Exit la Commission Régionale de Développement ?

L’ordonnance prévoit la création d’un comité régional de développement territorial (CRDT) chargé de veiller à la bonne collaboration entre administrations dont les services ne sont pas directement intégrés au bureau de planification. On peut s’interroger sur la tâche confiée à ce nouveau comité chargé de donner un avis motivé sur les projets de planification issus du BBP. Ce comité composé à ce stade [6] de représentants du BBP, de l’IBGE (Bruxelles Environnement), de Bruxelles Mobilité, de la STIB, de l’Agence régionale pour la propreté et de Bruxelles Développement urbain constitue une sorte de miroir « administratif » de la Commission Régionale de Développement (CRD) existante rassemblant des représentants issus de la société civile mais aussi de représentants des Communes ou de certaines administrations comme la commission royale des monuments et sites.

Quel sera la mode de fonctionnement du CRDT ? Cette question posée par le Conseil d’État reste sans réponse. Les résultats de ses délibérations seront-ils rendus publics ? Quelle sera l’articulation entre le CRDT et la CRD ? Qui sera chargé de réconcilier les points de vue dès lors qu’ils pourraient se révéler inconciliables ? Autant de questions sans réponses qui prouvent la relative précipitation avec laquelle le BBP a été créé et le risque d’insécurité juridique que cette réforme pourrait poser.

Pourquoi vider l’administration de sa substance ?

On peut s’interroger sur l’intérêt de confier une mission de service public de type administratif à un organisme d’intérêt public plutôt qu’à une administration.

Quel sera le rôle de Bruxelles Développement Urbain dès lors qu’il aura été amputé d’une partie de ses compétences ? Bien que cette administration, composée de fonctionnaires compétents travaillant malheureusement dans un état de sous-effectifs chronique, peinait déjà à répondre aux besoins, elle restait au moins garante d’une certaine continuité dans la politique de planification. Une continuité qui permettait, entre autre, de confronter le pouvoir de tutelle aux nécessités de penser la planification dans un temps long, évitant, tant que faire se peut, de détricoter le passé par des réformes conjoncturelles parfois plus dictées par un impératif de communication immédiat que par un véritable souci de planification appropriée.

Face à la pénurie de fonctionnaires en charge des dossiers de terrain, on pourrait s’interroger sur la création de ce BBP en constatant que celle-ci ouvre la porte à l’engagement de 6 nouveaux directeurs ou directrices, des postes qui, disent les mauvaises langues, pourraient avoir été créés pour recaser l’un ou l’autre conseiller de cabinet à la recherche de nouvelles perspectives professionnelles.

Une lame de fond pour dérouler le tapis aux promoteurs ?

Il paraît que les lenteurs et lourdeurs de la planification bruxelloise effraient les investisseurs... [7]

Cette question a déjà été abordée dans l’un de nos articles consacrés à la charge de BECI sur la procédure des enquêtes publiques en RBC. Lire l’article « Et si on réparait l’ascenseur social ? »

Depuis son adoption en 2004, le COBAT a été modifié à 18 reprises. Parmi ces différentes réformes, au moins cinq sont liées à la volonté du Gouvernement de simplifier les procédures en vue de faciliter le travail des promoteurs privés comme publics.

Le PRAS a été modifié en 2013, ouvrant largement la voie à la promotion immobilière dans les zones d’industrie urbaine. De plus en plus souvent, des PPAS sont élaborés à la mesure exacte des exigences des promoteurs (imposant par exemple des gabarits minimums là où d’habitude l’on imposait des volumes capables maximum) parfois a posteriori pour régulariser une situation litigieuse. Un règlement régional d’urbanisme zoné a été créé sur mesure pour les besoins de quelques promoteurs alléchés par les perspectives [8] de concentration des activités de la Commission Européenne dans l’axe de la rue de la Loi. Autant de modifications réglementaires qui ont fait l’objet de critiques de la part de la société civile et souvent également de la Commission Régionale de Développement.

Malgré l’ampleur et la fréquence des réformes, aucune d’entre elles n’a permis d’avancer dans les objectifs prioritaires du futur PRDD qui sont pour rappel :

  • une production ambitieuse de logements adaptés,
  • le développement d’équipements et d’un cadre de vie agréable et attractif,
  • le développement de secteurs et de services porteurs d’emplois, d’économie et de formation,
  • l’amélioration de la mobilité comme facteur de développement durable.

En attendant les réformes annoncées du Code Bruxellois pour l’Aménagement du Territoire et du Règlement Régional d’Urbanisme (RRU), la création du BBP s’inscrirait-elle dans la droite ligne de ce qui précède ? Peut-être... ou pas. En tout cas, elle vise sans nul doute à faciliter l’action d’un nouvel acteur : la SAU, promoteur immobilier public qui sera en charge d’urbaniser de grandes friches urbaines propriétés de la Région, telle Josaphat ou Delta, et qui, statut oblige, et volonté du Gouvernement de dé-consolider ses comptes des comptes régionaux, sera obligé de se comporter comme n’importe quel promoteur privé afin de s’assurer au minimum 50 % de recettes propres. Mais cela, c’est une autre histoire que nous aborderons dans une analyse future...

La Région de Bruxelles-Capitale confie des missions d’utilité publique à divers organismes para-régionaux, ainsi qu’à des asbl d’intérêt régional. Petit tour du propriétaire...

Organismes d’intérêt public (OIP) de type A (leur gestion dépend directement de leur ministre de tutelle)

  • Bruxelles-Propreté (Agence bruxelloise pour la Propreté)
  • CIRB (Centre d’Informatique pour la Région bruxelloise)
  • Fonds pour le Financement de la Politique de l’Eau
  • Fonds régional bruxellois de Refinancement des Trésoreries communales
  • IBGE (Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement)
  • SIAMU (Service d’Incendie et d’Aide médicale urgente de la Région de Bruxelles-Capitale)



Organismes d’intérêt public (OIP) de type B (leur conseil d’administration (ou tout autre organe de gestion) est sous la tutelle d’un ou plusieurs ministres compétent(s) dans leur domaine)

  • ORBEM (Office régional bruxellois de l’Emploi compétent pour le placement des demandeurs d’emploi, la formation professionnelle)
  • SLRB (Société du Logement de la Région bruxelloise)
  • Société régionale du Port de Bruxelles



Autres organismes para-régionaux de droit ou d’intérêt public, dans lesquels le conseil d’administration (ou tout autre organe de gestion) inclut des administrateurs désignés par le Gouvernement bruxellois

  • CITYDEV (Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale)
  • SRIB (Société régionale d’Investissement de Bruxelles)
  • STIB (Société des transports intercommunaux de Bruxelles responsable du métro, des trams et bus)



ASBL d’intérêt régional

  • ABEA (Agence bruxelloise de l’Energie)
  • Impulse (Agence bruxelloise pour l’Entreprise)
  • BITC (Bruxelles International - Tourisme & Congrès)
  • OPT (Office de promotion du tourisme de Wallonie et de Bruxelles)
  • Fonds de Garantie de la Région de Bruxelles-Capitale
  • Teleport Bruxelles

[1La société d’aménagement urbain fera l’objet d’une seconde note dans le courant du premier trimestre 2016.

[2Le Soir en ligne, 23 octobre 2014.

[3Le référent du logement est une fonction créée en 2015 pour faciliter la création de logements publics et privés à finalité sociale. Dans le cadre du projet de créer 6 500 logements publics d’ici 2019, il sera le garant de la concertation préalable entre les divers intervenants destinée à améliorer la dynamique de production de nouveaux logements à finalité sociale sur le territoire régional (d’après la dépêche Belga du 21 mai 2015).

[5Rapport fait au nom de la commission du Développement Territorial sur le projet d’ordonnance portant création du bureau bruxellois de la Planification (réf. A191/2-2014/2015).

[6Le gouvernement se laissant la liberté de compléter sa composition plus tard.

[7Rapport fait au nom de la commission du Développement Territorial sur le projet d’ordonnance portant création du bureau bruxellois de la Planification (réf. A191/2-2014/2015).

[8Des perspectives qui ont fondu comme neige au soleil depuis, ce qui n’empêche pas les promoteurs de profiter du nouveau cadre réglementaire pour alimenter la valse des bureaux vides et à l’obsolescence programmée.