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Le Congo et le chocolat : repères historiques

Le Marché de Sainte-Catherine et le Vismet (Marché aux poissons) étaient au début du vingtième siècle connus comme « Le Ventre de Bruxelles ». Dans ce quartier, on commercialisait aussi certains produits coloniaux de « notre » Congo : surtout les bananes, qui étaient dans le temps un produit de luxe, et le cacao. Il y avait aussi le café du Congo et le tabac, mais c’est surtout le cacao congolais qui a influencé le goût des Belges pour le chocolat.

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Quand le premier cacao est arrivé d’Amérique latine on en faisait une boisson. La consommation sous forme de bâton est plus récente. La préparation du breuvage se faisait avec des morceaux d’un grand bloc de chocolat qu’on laissait fondre dans du lait. Cette boisson était très chic et seuls les plus riches pouvaient se la permettre. À Bruxelles on buvait le chocolat dès la période autrichienne, presque exclusivement à la Cour. Charles-Alexandre de Lorraine, le gouverneur-général des Pays-Bas autrichiens, en buvait chaque jour au petit-déjeuner.

En 1749, une livre de chocolat coûtait 50 sous – une livre bruxelloise valait 467 g – et un ouvrier qualifié gagnait 9 sous par jour. Il devait donc travailler cinq jours pour acheter éventuellement une livre de chocolat. Les gens moins aisés buvaient un breuvage fait de pelures de cacao, grillées et mélangées dans du lait avec du sucre et de la cannelle, qu’on appelait ’Petit Café’.

Le livre de cuisine bruxellois « La Cuisinière Bourgeoise » ne mentionne pas la boisson de chocolat, mais parlait bien de certaines pâtisseries dans lesquelles on mettait un peu de poudre de chocolat : biscuits et crème au chocolat.

Plus tard, le cacao nous parvenait d’Afrique de l’Ouest, surtout du Ghana qui portait alors le nom de Gold Coast, d’où la marque Côte d’Or. Pendant la deuxième guerre mondiale, la firme Alimenta qui produit alors le chocolat Côte d’Or sort sur le marché belge un bâton sous le nom de Congobar. C’est de l’Afrique de l’Ouest qu’on va importer les cacaoyers au Congo.

La fin du dix-neuvième siècle, début vingtième siècle, connut une forte augmentation de la consommation du chocolat aux États-Unis et en Europe. De plus, les socialistes faisaient la promotion du chocolat avec comme slogan « Le plus agréable remède contre l’alcoolisme ». Il fallut donc développer la culture du cacao dans d’autres colonies, dont l’État Indépendant du Congo. À partir de l’année 1895 instruction est donnée à tous les postes coloniaux au Congo de commencer des plantages de cacaoyers. Les plantations étaient situées en général près de la côte, dans le Mayombe.

Le chocolat devint alors à la mode et ce produit du Congo servait à améliorer l’image de la colonie. Dans la grande exposition coloniale de Tervueren, en 1897, le cacao reçut une place d’honneur dans la section « Le Salon des grandes cultures ». La section était élaborée par M. Delacre. Il était chocolatier depuis 1893 à Bruxelles. Il produisait les biscuits au chocolat. La marque Delacre existe toujours.

Le roi Léopold II était un grand amateur de chocolat. Sa fille, la princesse Stéphanie écrit dans ses mémoires (« Ich sollte Kaiserin werden ») que son père mangeait au petit-déjeuner non seulement des couques au chocolat – Schokoladebäckereien –, mais aussi une dizaine de pralines.

Les premières grandes plantations de cacaoyer étaient l’œuvre de la famille d’Ursel. Ils ont fondé en 1896 la compagnie Urselia. Pour faciliter l’exportation du cacao, un deuxième chemin de fer fut construit au Congo (le premier était celui de Matadi à Kinshasa) : les Chemins de fer vicinaux du Mayombe.

En 1898, un certain Auguste Jacques gérait les plantations d’Urselia. Auparavant, Jacques avait été sous-officier dans la Force Publique, dans l’armée coloniale, et avait participé à la répression de la révolte anti-coloniale de 1893- 1894. En 1904, il commence sa propre plantation. Il était surnommé Le Roi du Mayombe. Un autre Jacques, Antoine Jacques, avait commencé en 1896 une usine de chocolat dans la région de Verviers. La marque existe encore.

La production de cacao au Mayombe a connu un boom en 1910. À ce moment, il existait 18 marques de cacao, dont Jacques. Après 1910, la production diminue, mais reste quand même suffisamment importante pour maintenir le prix du cacao ouest-africain à un niveau pas trop cher. Avec comme effet que les chocolatiers bruxellois pouvaient, pour un prix raisonnable, utiliser plus de cacao dans la fabrication du chocolat belge, ce qui lui a donné son goût très prononcé.

En 1910, l’année donc de la plus grande production de cacao au Congo, un Ottoman Grec, Leonidas Kerstekides, reçoit à l’exposition universelle de Bruxelles la médaille de bronze pour son chocolat. En 1912, il se marie avec la gantoise Jeanne Teerlinck et un an plus tard, en 1913, Léonidas reçoit la médaille d’or à l’Exposition Universelle de Gand. En 1924, il déménage à Bruxelles, au Vieux Marché au Grains, et il établit son usine dans la rue Devaux (entre Sainte-Catherine et le grand boulevard central).

Il décide de vendre ses chocolats aux bourgeois qui se promènent sur les grands boulevards de la même façon qu’on vend les frites au peuple, à comptoir ouvert directement sur la rue. [1] Ses magasins existent encore.

Sources principales

  • Lutgarde SWAELEN, « Chocolade en de Zuidelijke Nederlanden », Bruxelles, 1996.
  • Jean-Luc VELLUT, « Cacao in de politieke economie van de oude Belgische Kongo », Bruxelles, 1996.
  • « Bonbons, Pralines, Esquimaux, Chocolats », Cahier de la Fonderie n°11, Bruxelles, 1991.
  • « Guide de la section de l’État Indépendant du Congo », Tervuren, 1897, p. 462-465.

[1Pâtisserie Centrale Leonidas. L’appellation ’pralines Leonidas’ date seulement de 1937. Originellement des praslines étaient des amandes caramélisées du XVIIIe siècle, inventé par le cuisinier du duc César du Praslin, d’où leur nom.

Bruxelles, ville congolaise