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La vacance des bureaux : fatalité ou dysfonctionnement ?

L’inoccupation des bureaux pèse lourdement sur Bruxelles. Face visible de ce marché : l’offre de 733 000 m2 immédiatement disponibles pour la location ou l’achat. Face cachée : 1 230 000 m2 non-commercialisés qui élèvent le taux de la vacance en région bruxelloise à 18%. Coup de projecteur sur les différentes réalités et processus d’un phénomène que le secteur immobilier semble ignorer.

Depuis 2007, l’Observatoire des bureaux (AATL) en collaboration avec Inventimmo (SDRB) recense les surfaces de bureaux vacants à Bruxelles. Ce travail fournit des statistiques actualisées sur l’évolution de la vacance.

Une conjoncture faite de
contradictions

Du point de vue conjoncturel, plusieurs phénomènes contradictoires se sont manifestés depuis le début de la crise. Inventimmo constate que le taux de vacance s’est réduit entre 2007 et 2008 (baisse de 9,8 % à 8,9 %). Signe que la consommation de surfaces de bureaux a été plus importante que la production.

Malgré la crise, les quartiers qui ont enregistré les plus fortes prises d’occupation (quartier européen et Centre) sont aussi ceux où les loyers sont les plus élevés et qui correspondent aux lieux de décision. Un marché à deux vitesses se dessine dans lequel les entreprises ou institutions les plus fortunées s’autorisent des lieux les plus prestigieux et les plus modernes.

Par contre, le décentralisé (2e couronne), qui est en concurrence avec la périphérie et qui souffre d’une localisation peu favorisée en transports publics, doit baisser ses prix pour essayer dans certains quartiers de contrer le phénomène de vacance.

Si l’on se tourne vers le futur, une baisse de prise d’occupation se confirme pour 2009, elle pourrait même atteindre dans les grands immeubles 20% selon les spécialistes. Ces signes avant-coureurs de la récession déclencheront, avec un temps de retard, l’abandon de la plupart des surfaces annoncées pour 2010 qui ne seront pas construites ou seront différées comme par exemple le projet Wielemans-Ceuppens.

Une inflation structurelle ?

Caractérisé par le court terme, le conjoncturel ne permet pas de prévisions consistantes. C’est pourquoi, nous allons nous tourner vers les tendances structurelles du marché. Afin d’analyser la vacance sur la durée, l’Observatoire des bureaux a commandité une recherche au BRAT en 1994 et 2008 pour quantifier toutes les surfaces de bureaux vides et déterminer leurs caractéristiques.

Cette approche a permis de distinguer deux catégories de surfaces inoccupées
selon qu’elles sont disponibles ou non sur le marché. En 2008, l’offre commercialisée
compte 733 000 m2. Mais 1 230 000 m² n’apparaissent pas sur le marché. Selon ce
calcul, la vacance générale s’élève à près de 2 millions de m², soit 18% de la totalité
des surfaces de bureaux comprises dans des immeubles de plus de 1000 m2.

La vacance cachée représente près des deux tiers des surfaces inoccupées qui ne
sont pas disponibles pour plusieurs raisons :

  • surfaces dont l’occupant est connu mais n’a pas encore emménagé ;
  • surfaces en cours de rénovation (ou reconstruction) ;
  • surfaces en attente de rénovation et au devenir incertain soit déjà dotées d’un permis ou qui ne font pas encore l’objet d’un projet.
  • Et enfin, la vacance commercialisée : surfaces disponibles sur le marché.

La catégorie des surfaces vacantes sans projet est la plus problématique. Elle est en croissance et compte 481 000 m2 en 2008. Les causes principales reposent sur une localisation devenue moins intéressante du point de vue de la mobilité, une stratégie d’attente du propriétaire (qui juge que le marché n’est pas assez porteur), une incertitude sur le maintien même de l’utilisation en tant que bureau, les problèmes de gestion et de réduction des besoins de surfaces.

Ces données ont été confrontées aux chiffres d’une étude similaire menée par le BRAT en 1994. On observe que la vacance disponible est restée stable (autour de 700 000 m2) et ceci dans un parc de bureaux qui s’est accru de 37%. La vacance non disponible a été multipliée par 2 en 15 ans (600 000 m2 en 94 et 1,2 millions de m2 en 2008). La différence la plus spectaculaire concerne les surfaces de bureaux en cours de rénovation qui sont 8 fois plus importantes en 2008.

La rénovation des grands bâtiments

La rénovation des grands bâtiments a introduit un nouveau processus dans le domaine de la vacance. L’immobilisation des surfaces en rénovation implique le déménagement provisoire ou définitif des occupants. Avec pour corollaire que tout déménagement d’une entreprise déjà installée à Bruxelles implique la libération d’environ la même surface de bureaux qui resteront momentanément vacants.

L’Observatoire des bureaux décrit ce processus : « Dans un marché où la location domine, il existe un ballet permanent d’emménagements et de déménagements, un ballet de départs et de prises en occupation imparfaitement synchronisé est à l’origine de périodes de vacance plus ou moins longues. » [1].

Le recours croissant à la rénovation qui s’est développé depuis 1990 a augmenté les stocks de surfaces inoccupées pendant les délais de chantier et de remise sur le marché. La rénovation du Berlaymont marque symboliquement le démarrage de cette tendance. Pour Ph. Winssinger et ses collaborateurs, le décollage des prises en occupation se situe en 1992 : « Le coup d’envoi est donné par un take up exceptionnel de 642 000 m2 (lié notamment au déménagement des 3000 fonctionnaires du Berlaymont en vue de sa rénovation). Par la suite le take up présentera une moyenne de 560 000 m2 entre 1992 et 2006 ! Ceci alors que la moyenne depuis 1970 était de l’ordre de 190 000 m2 et que l’absorption nette conserve une moyenne de 230 000 m2. » [2].

Un écart s’est donc installé entre les occupations projetées et les occupations réelles. On constate que depuis 1990 une suroffre de plusieurs centaines de milliers de m2 se maintient sur le marché. Ce nombre important est dû à la difficulté de cerner avec précision les besoins réels à une échéance donnée. Le manque de synchronisme est mesuré par les indicateurs des surfaces prises en occupation (take up) et de l’accroissement des surfaces réellement occupées (absorption nette). Philippe Winssinger et ses collaborateurs poursuivent : « Il est important de souligner que l’absorption nette peut donc présenter un décalage avec le take up. En effet, ce dernier prend en considération les transactions au moment de la signature d’un contrat alors que plusieurs mois, voire plusieurs années peuvent parfois s’écouler avant la prise d’occupation effective des locaux et sa prise en compte dans l’absorption nette » [3].

Tributaires de la crise économique mondiale, les dynamiques immobilières se ralentissent. Selon Michel De Beule, qui présentait le numéro spécial de l’Observatoire des bureaux, « Il semble que la crise actuelle des bureaux ait une nature plus structurelle, la tertiarisation de l’économie aurait atteint un seuil, et qu’il faille s’attendre, à l’instar des délocalisations industrielles, à des délocalisations du tertiaire d’exécution. Par ailleurs, les modes d’organisation du travail amènent aujourd’hui une forte diminution de la surface moyenne occupée par emploi ».

Quel avenir pour les bureaux vacants ?

La résorption des surfaces excédentaires est une priorité par rapport à la production de biens neufs. Après la fuite en avant des années de prospérité, le secteur immobilier doit mieux anticiper la demande pour arrêter la suroffre qui aliment la vacance. L’Observatoire des bureaux a déjà pour fonction d’annoncer les surfaces qui sortiront du pipe line du marché après l’octroi d’un permis d’urbanisme. Par sa nouvelle mission, l’Observatoire des bureaux récolte dans le domaine de la vacance des statistiques sur les surfaces prises en occupation et la demande nette. Il sera à même d’observer les tendances sur des périodes longues et de prévoir l’évolution de la demande.

La transformation des pratiques en usage dans le milieu immobilier est nécessaire car le coût d’une approche spéculative est très lourd pour le tissu urbain. Et tout particulièrement, les achats pour investissement sans destinataire précis sont des réalisations à hauts risques. La parade consisterait à valoriser la construction sur mesure et pour des occupants formellement identifiés.

Il conviendrait aussi de résister aux effets de mode et de pratiquer la construction durable au sens premier du terme : c’est-à-dire construire des édifices dont la qualité, la solidité et les équipements permettent de multiplier par 3 la durée de vie des constructions actuelles (20 ans). Enfin, pour réguler l’offre de bureaux et canaliser la demande, il existe des instruments réglementaires (ZIR et zones leviers) qui déterminent des zones d’occupation prioritaires. On compte sur le 3e PRD pour leur mise en œuvre car seul le développement motivé de ces zones permettra d’éviter la dispersion des bureaux dans d’autres quartiers.


[1Observatoire des bureaux et de la vacance, n°23, 2009, p.24.

[2Numéro spécial de l’Observatoire des bureaux, Bruxelles, ses bureaux, ses employés, p.124.

[3Ibidem, p.123.