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La saga de l’îlot Van Maerlant

Mathieu Sonck — 15 mars 2012

L’îlot en question se situe en bordure de la rue éponyme et de la chaussée d’Etterbeek. Exproprié dans les années 60 pour raison d’utilité publique (l’État avait décidé d’élargir la chaussée d’Etterbeek, un projet abandonné par la suite) et démoli en 1971, l’îlot fut finalement revendu à prix d’or (près de 18 millions d’euros alors que le prix de départ était fixé à 5 millions d’euros) en 2007 par l’État fédéral à un promoteur irlandais.

L’histoire du l’ïlot Van Maerlant est remarquablement racontée dans un article de Hilde Geens que le lecteur intéressé pourra trouver sur le site du Bral [1]. À ce stade, il est important de savoir que la vente publique de 2007 était assortie de conditions bétonnées dans le cahiers de charge de celle-ci. La condition la plus importante étant que la moitié du futur projet (évalué dans ce document à 18 700m²) devrait concerner la construction de logements moyens au tarif de la Société Régionale de Développement Bruxelloise (SDRB).

Un premier permis est délivré en 2009 : un projet qui tordait déjà l’esprit de l’accord puisque s’il prévoyait bien 9 350m² de logements moyens, il poussait la surface totale à plus de 24 000m².
Entre-temps, l’heureux investisseur Irlandais, qui a dépensé une fortune pour le terrain, a fait faillite.

Le terrain est alors racheté au curateur pour une somme inconnue par Allfin, un promoteur immobilier très actif à Bruxelles [2], qui dépose en 2011 une nouvelle demande et obtient son permis malgré de fortes oppositions des riverains et associations en commission de concertation.

Un projet qui surfe sur la vague du PRAS démographique

Le nouveau projet se distingue de l’ancien principalement par une densité plus forte de logements :

2009 2011 Augmentation
Superficie totale (m²) 24 000 30 825 Près de 7 000 m²
Studios / 1 ch 75 110 46,00% en plus
2 ch 75 85 13,00% en plus
3 ch 70 77 10,00% en plus

Les logements conventionnés deviennent largement minoritaires avec une proportion de 30%.

L’annonce du boom démographique semble être une excellente opportunité pour le promoteur d’augmenter substantiellement le profit qu’il peut tirer de son projet. IEB tient à rappeler que la nature du boom démographique plaide pour la construction en masse de logements sociaux. Nous appelons donc les porteurs du projet à agir pour la collectivité en consacrant une partie de ses profits à répondre réellement au boom démographique.

Car il faut préciser que le projet de 2009, présenté à l’enquête publique bien après la crise financière, était déjà rentable, les représentants d’Allfin à la commission de concertation l’ayant publiquement confirmé à l’occasion de la commission de concertation.

Quel profit pour quelle redistribution ?

Il convient à ce stade d’évaluer l’ordre de grandeur du profit généré par le projet.

Les prix de vente d’un appartement neuf dans le quartier sont les suivants [3] :

Studios / 1 ch (de 48m² à 75m²) : 4600€/m²
2 ch (de 81m² à 95m²) : 3900€/m²
3 ch (de 100m² à 150m²) : 3500€/m²
Prix moyen pour le mix envisagé par le promoteur : 4000€/m²

Le projet de 2010 étant déjà rentable, nous considérons qu’il reprend la totalité de l’incidence du foncier. Le bénéfice généré par les 52 appartements supplémentaires est donc exonéré de l’incidence foncière et contribue à 100% à l’augmentation de la marge du projet. Le prix à la construction a été évalué selon le promoteur à 1 250€/m². Nous (sur)-évaluons les frais de commercialisation à 3% du prix de vente soit 120€/m².

On peut donc en déduire que la marge moyenne des logements supplémentaires est de : 4 000€/m² – 1 370€/m² = 2 630€/m².

La plus-value attendue de l’augmentation du nombre des appartements est donc approximativement de 5 325m² x 2 630€/m² = 14 millions d’euros ! Il est piquant de constater la réaction abasourdie des porteurs du projet à l’annonce de ces chiffres. Et ceux-ci de répondre, du tac au tac, « mais c’est impossible, cela voudrait dire que nous générerions une marge par appartement de l’ordre de 300 000€ par appartement supplémentaire ! ». Ben oui...

Le prix de construction de logements sociaux (passifs !) bien conçus est de 1 350€/m² (hors foncier) [4]. Le potentiel de logements sociaux possible en captant la plus-value serait d’environ 11 150 m² soit environ 150 logements présentant un mix allant du studio à l’appartement de 4 chambres !

Voilà des chiffres propres à donner le vertige : les 52 logements supplémentaires de ce projet vont générer une plus-value qui permettrait de construire 150 logements sociaux passifs !

Lors de la commission de concertation, IEB a proposé de ramener les 52 logements supplémentaires vendus au prix du marché à 13 logements. Ceux-ci auraient généré une plus-value permettant la construction de 37 logements sociaux.

Environnement : zéro pointé !

Le lecteur attentif l’aura remarqué, alors que nous parlons de logements sociaux au standard passif, le porteur du projet prévoit juste de respecter la législation en vigueur en matière de performance énergétique des bâtiments (K35 pour les logements et K45 pour les bureaux). Cette règlementation est complètement obsolète : rappelons que la déclaration gouvernementale prévoit que tout logement sera passif à l’horizon 2015 ! Rappelons également que le schéma directeur du quartier européen et le Projet Urbain-Loi plaident pour que le futur quartier européen soit un quartier « zéro carbone ». Les techniques à mettre en œuvre pour atteindre du standard passif sont maintenant maitrisées et ne représentent qu’un surcoût marginal que les marges plantureuses du projet peuvent absorber sans problèmes. Tant qu’à construire, autant le faire pour du long terme, en tenant compte du prix croissant de l’énergie.

L’étude d’incidence pointe les risques de surchauffe pour expliquer la faible isolation des bureaux. Il suffit pourtant de protéger les ouvertures du soleil et de prévoir un système de ventilation double flux efficace pour répondre à ce problème. L’air conditionné n’est pas nécessaire. Il devrait d’ailleurs être interdit ! De plus, l’éventuelle surchauffe des bureaux en hiver pourrait être récupérée pour alimenter les besoins en chauffage des logements.

L’étude d’incidence élude par ailleurs un phénomène physique bien connu des riverains de bâtiments hauts : les vents induits par la tour peuvent être très importants. La vitesse du vent est généralement croissante avec l’altitude. Lorsque ceux-ci buttent sur une tour, ils créent des tourbillons à ses pieds, créant un inconfort important pour les utilisateurs des espaces publics attenants.

Cet effet porte un nom, l’effet « Venturi » qui s’il n’est pas nié par l’auteur de l’étude d’incidence, a été écarté de fait au prétexte qu’une étude technique de l’effet venturi est « généralement fort coûteuse » !

Une bourde qui rentre en totale contradiction avec le droit de l’environnement et qui pointe par ailleurs un certain retard de la Région Bruxelloise dans une prise en compte systématique de cette problématique. Notons à cet égard que les Pays-Bas ont légiféré en la matière, obligeant les porteurs de projets à évaluer très sérieusement les effets micro-climatiques induits par les tours sur leur environnement direct et en encadrant l’acceptation de bâtiments hauts par des normes de vents maximum admissibles.

Le RRU, quel RRU ?

Le projet en question présente des gabarits largement supérieurs à ceux autorisés par le règlement régional d’urbanisme (RRU). Pour rappel, le RRU stipule dans son article 8 que la hauteur des constructions ne peut pas dépasser la moyenne des hauteurs des constructions sises sur les terrains qui entourent le terrain considéré, même si cet ensemble de terrains est traversé par une ou des voiries.

Le projet propose une tour de 25 étages quand le bâtiment le plus haut dans le voisinage fait 10 étages, le gabarit moyen étant lui de 6 étages !

Le permis délivré motive peu cette incroyable dérogation au RRU, se contentant de considérations esthétiques ventant un « signal urbanistique » permettant un « jeu de perspectives » et de « redéploiement du logement » dans un quartier urbanistique.

Un recours contre du logement ?

Alors qu’Allfin a déjà vendu son projet à un investisseur [5], les considérations qui précèdent ont amené IEB à déposer un recours contre ce projet. Un recours qui ne s’oppose pas au logement (comme d’aucun pourrait le penser) diablement nécessaire dans la Région, mais bien contre un urbanisme sauvage, qui fait fi des lois et règlements, au profit exclusif de quelques uns et au détriment de tous les autres...


[2Selon son site internet, la vision d’Allfin est empruntée au magnat immobilier New Yorkais Donald Trump : « Tant que vous pouvez voir, voyez grand. »

[3Source : www.leopoldvillage.com.