La police occupe désormais une place considérable dans le débat public, chose dont cette institution se serait sans doute bien passée. De dérapage en bavure, la confiance en les forces de l’ordre est mise à mal auprès d’un nombre croissant de personnes et de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer un problème structurel et systémique. La dénonciation des « pommes pourries » ne suffit plus. À travers ce dossier, notre volonté est notamment de relier ces faits au territoire sur lequel ils se déroulent.
Nous sommes en février 2021, nous bouclons un journal sur le lien entre la ville et la police. « Mais quel rapport avec l’environnement ? », se demanderont sans doute certain·es. Pourquoi une fédération de comités et de groupes d’habitant·es comme la nôtre éditerait un numéro de sa publication sur un tel sujet ? L’environnement, comme nous l’entendons chez IEB, est à la fois social, écologique, économique, politique, culturel, urbanistique… L’environnement, ce sont aussi les personnes qui y habitent, et leurs corps. Des corps marqués par une violence institutionnelle, systémique, qui semble s’amplifier. Des corps qui se déplacent dans un environnement sécurisé, contrôlé, filmé. Lorsque nous avons commencé ce projet, Adil était décédé quelques mois plus tôt, et nous venions d’assister à l’action violente de la police à la fin de la manifestation du 13 septembre organisée par la Santé en lutte. Cela prend du temps de faire un journal, le temps qu’Ibrahima et Ylies meurent eux aussi, et que d’autres manifestations aient lieu et soient elles aussi réprimées. La question que nous nous sommes posée et que nous avons posée aux personnes qui ont collaboré à ce Bruxelles en mouvements pourrait être naïvement résumée comme telle : « Que fait la police en ville ? Que fait la police à la ville ? » Ce numéro s’appuie sur des apports extérieurs à IEB, des personnes dont les actions et les questionnements voisinent les nôtres et se complètent.
Une grande partie des articles que nous vous proposons s’intéresse particulièrement aux quartiers populaires de Bruxelles. Des espaces dans lesquels les actions de la police, et la surveillance en général, révèlent un classisme, un racisme et un sexisme structurels. À Cureghem, après les émeutes des années 1990, la vision de quartiers populaires dangereux – devant être tenus – s’est traduite par la mise en en place de politiques policières répressives et de politiques urbanistiques qui de facto visent et s’exercent aux dépens des jeunes issus des milieux populaires. Lire p. 4-7 À quelques kilomètres de là, à Saint-Gilles, Latifa du Collectif des madres nous fait prendre conscience des impacts psychologiques et sociaux de ces politiques et comportements policiers. Lire p. 8-9 Le rôle de la police, dans une ville comme Bruxelles, dans un centre-ville touristique et des quartiers en gentrification, c’est aussi faire respecter une impression d’ordre, de garantir une certaine paix aux nouveaux habitant·es et de nouveaux usages avec lesquels la présence de sans-abri, mais aussi des sans-papiers, colle mal. Pour dégager ces indésirables, les règlements mis en œuvre à l’ère Covid semblent particulièrement utiles. Une habitante qui a pris la défense d’un sans-abri raconte l’absurde machine judiciaire dans laquelle elle se trouve désormais. Lire p. 10 & 11 En dépit du droit de manifester, la police s’assure également que les événements dans l’espace public se déroulent en toute sécurité, selon le principe de « Gestion négociée de l’espace public ».
« Que fait la police en ville ? Que fait la police à la ville ? »
Ce principe et ses implications ont fait l’objet d’un travail académique ici vulgarisé. Lire p. 12-13 Pour diverses raisons, certain·es refusent de jouer le jeu de la manifestation déclarée, ce fut le cas cet été à Saint-Gilles à la suite d’une violente agression sexiste sur deux jeunes femmes. Le Collecti.e.f 8 maars revient sur cet événement, ainsi que sur le sexisme inhérent au maintien d’un ordre, sexiste lui aussi. Lire p. 14-16 Dans l’urbanisme aussi le poliçage se déploie : sur les places, sur les murs, dans les réverbères… les technologies de la surveillance et l’intégration des conceptions sécuritaires dans l’espace public s’inscrivent dans nos villes jusque dans les moindres détails. La police, main dans la main avec la technopolice… Lire p. 18-19 & 20-22 Retour à Cureghem, près du parc de la Rosée, à deux pas des bureaux d’IEB. C’est sur le témoignage de travailleur·euses sociaux qui connaissaient bien Ibrahima que s’achève ce numéro de Bruxelles en mouvements. Ils resituent dans leur quotidien professionnel ce deux poidsdeux mesures auquel il et elle font face au quotidien. De l’arbitraire, une collection de petites et grandes agressions qui rappellent à certain·es que la ville n’est pas pour eux. Lire p. 23 Les violences policières existent depuis longtemps, elles semblent désormais s’inviter aussi dans la vie des personnes blanches et issues de la classe moyenne qui sont ainsi amenées à découvrir ce que les habitant·es des quartiers populaires subissent depuis longtemps.
Nous aurions pu traiter encore de nombreux sujets au sein de ce journal, qui n’est en rien exhaustif, simplement notre pierre à l’édifice d’un travail critique dans lequel d’autres sont engagé·es de tout cœur et de tout corps, une manière de tisser des liens entre différentes pratiques. Tous ces sujets nous auraient probablement renvoyés à ce constat : la police maintient l’ordre existant, son action est à l’image de celui-ci. En corollaire, la répression vise les manifestations des « problèmes sociaux », pas leur cause. À l’ère du néolibéralisme, d’un accroissement de la pauvreté et d’une réduction continue des redistributions sociales (sous forme de services publics notamment), il n’y a sans doute rien d’étonnant à les voir se multiplier.