Dans les années 80, l’extension du métro bruxellois, limité jusqu’alors
à certains quartiers de la ville, allait permettre un développement
inédit à Bruxelles des tags et des graffs. Mais cette extension
géographique des tags n’allait pas être sans conséquences dans une
société où la propreté est perçue comme un signe indispensable à la
stabilité, l’ordre et la sécurité.
Depuis le début des années 90, le nombre d’articles parus dans la presse à propos du sort à réserver aux tags et donc aux tagueurs a lui aussi pris beaucoup d’ampleur. Le ton avait changé. Devenu malgré lui une sorte de
porte-parole de la délinquance urbaine, le tag n’a plus cessé d’être cité par la presse [1], la STIB et les pouvoirs publics pour justifier les décisions qu’ils souhaitaient entreprendre au nom du sentiment d’insécurité de la population. « Le tag n’est pas un délit mineur. C’est aussi grave qu’un
vol à la tire ou qu’un vol à l’étalage » déclarait Xavier de Donnea, bourgmestre alors de Bruxelles-Ville [2]. Comme si la disparition du tag était la solution aux problèmes d’insécurité !
La force et la fragilité du tag est qu’il touche à des notions beaucoup plus objectives que celle d’un vague sentiment d’insécurité : l’espace public et la propriété privée... Le tag revendique une autre lecture de l’espace et du territoire. Il n’est pas question d’appropriation mais de visibilité. Mais dans une société où l’espace public, l’image et la visibilité sont de potentielles sources de profit, le tag a peu de chances d’être reconnu et valorisé en tant que mode d’expression. Personne ou presque pourtant ne s’émeut devant la
multiplication des panneaux publicitaires dans la ville au cours de ces dernières années. Et tant pis si seuls les messages commerciaux ont droit de cité !
Cette visibilité du tag pose d’autant plus problème qu’elle apparaît comme un signe trop évident de l’impuissance des autorités à contrôler l’espace public, ce qui explique sans doute en partie l’origine du comportement radical dont les pouvoirs publics et la STIB ont fait preuve à l’encontre des
tagueurs dès le début des années 90.
En effet, les moyens financiers [3], matériels et humains engagés pour lutter contre les tags vont alors prendre des proportions totalement démesurées : engagement de
nouveaux agents de sécurité et création d’une brigade anti-tag, installation d’un réseau de caméras de télésurveillance très perfectionnées, achat de nouveaux matériels plus résistants, création d’un répertoire des tags et de leur localisation. Désormais la STIB se porte également dans tous les cas partie civile exigeant le remboursement des frais encourus pour le
nettoyage des tags. La Ville de Bruxelles a également augmenté son budget anti-tag. En 1998, celui-ci atteignait la somme de 45 millions de francs belges.
Légalement, le tag, en tant qu’inscription non réglementée est interdit sur la
voie publique et susceptible de valoir à ses auteurs jusqu’à un an de prison mais également de faramineuses amendes. Les remboursements exigés pouvaient atteindre des montants exorbitants comme ce fut le cas par exemple pour un adolescent en 1991 à qui était réclamée la somme de
1 million de francs belges. Les procédures ont encore été davantage renforcées suite à la mouvance sécuritaire suscitée par la mort de Joe Van Holsbeeck. Principalement visés par cette nouvelle vague de répression, les délits mineurs. Jusque-là seules les inscriptions sur les immeubles publics
étaient susceptibles d’être poursuivies au pénal mais désormais les graffitis visant les immeubles privés entrent également dans le champ des incivilités et peuvent être sanctionnés pénalement soit sous la forme d’une amende de 26 à 200 euros (multipliés par les centimes additionnels) soit d’une
peine de un à six mois de prison. Et jusqu’à un an en cas de récidive [4].
Autant d’argent dépensé, de pratiques de traque presque dignes du grand banditisme sans parler de la sévérité des peines encourues sont difficilement compréhensibles et certainement extrêmement plus dommageables pour le tagueur qu’un tag ne le sera jamais pour notre sécurité.
Mais alors qu’est-ce qui peut expliquer une telle démesure ? Rien si ce n’est la possibilité pour les pouvoirs publics d’identifier, répertorier et ficher une partie de la population et de mettre en place toute une série de moyens de pression à son égard.
[1] Les titres catastrophistes utilisés par la presse ont renforcé le
sentiment d’insécurité et stygmatisé les tags : « Les bombeurs sauvages ne désarment pas » dans La Libre Belgique du 25 janvier 1991. « Les taggers descendent sur la ville » dans La Dernière Heure du 4 juin 1992. « Bruxelles a déclaré la guerre aux tags » dans Le Soir du 12 juillet 1996.
[2] La Libre Belgique, Nicole
Burette, 27 février 1997.
[3] En 2006, le nettoyage des graffitis avait coûté 1 039 000 euros (La Dernière Heure du 29 octobre 2008, Nawal Bensalem).
[4] La Libre Belgique, « La chasse aux tagueurs est ouverte », 24 août
2006.