Afin de soutenir notre parti pris d’aller vers une gestion territorialisée de l’eau ancrée au sein des bassins versants de notre ville, croisons notre regard avec celui de Pierre Vanderstraeten, sociologue, architecte et urbaniste.
Pourriez-vous nous expliquer les raisons qui vous amènent au constat que la géographie de Bruxelles a été oubliée dans les pratiques et dans l’imaginaire des gens ?
Au préalable, je voudrai resituer la question des échelles d’analyse qui me semble importante quand on parle des bassins versants. Tout d’abord, je pense que les premiers bassins aux-quels on devrait pouvoir se référer, sont ceux de la Méditerranée, la mer du Nord et la Baltique. Ils forment des grands bassins de développement et d’échanges économiques, sociaux et culturels. Si on considère la grande ligne de partage des eaux entre le nord et le sud de l’Europe, le développement de nos villes s’est inscrit dans le contexte de l’histoire de la ligue hanséatique entre le XIIe et le XVIIe siècle. Cette première échelle, très macro, permet de comparer des villes entre elles et d’étudier leur appartenance commune à des modèles de développement.
La deuxième échelle relève des territoires écosystémiques des villes. Cette échelle a été progressivement perdue de vue au cours de la période industrielle et revient au devant de la scène aujourd’hui à travers des visions prospectives sur de nouvelles alliances entre les villes, l’agriculture et l’industrie. Il s’agit là d’une réflexion sur le métabolisme urbain.
La troisième échelle est celle du territoire urbain proprement dit. Elle permet notamment de s’intéresser à l’évolution des structures de la ville. On peut ainsi observer que lorsque Bruxelles grandit au XIXe, les espaces structurants qu’ont été jusque là les vallées perdent de leur importance au profit d’une extension de la structure radioconcentrique centrale autour de nouvelles grandes artères (rue de la Loi, avenue Louise...) et d’infrastructures ferroviaires (la rocade de la ligne de contournement de l’Ouest, entre autres). D’imposants travaux de remblayage sont venus y gommer la logique préexistante des vallées.
Peut-on aller jusqu’à dire que c’est au moment de crises que réapparaît cette géographie oubliée ?
Je pense que la lecture doit se faire à plusieurs niveaux. Il y a effectivement des crises, notamment lors de la gestion des crues. Mais, de manière générale, il y a une lame de fond qui conduit à l’émergence de nouveaux paradigmes de pensée sur le dialogue Ville – Nature, dans lequel les vallées doivent retrouver une place prépondérante. Il faut repenser ce dialogue, l’intégrer et qualifier les sites urbains à partir d’enjeux de développe-ment plus précis tels que la régulation climatique, la gestion des eaux de pluie, la protection et la valorisation de la biodiversité, la promotion de la mobilité active, la récréation ou encore les identités paysagères.
Est-ce que ce mouvement de retour vers la géographie oubliée des bassins versants passe nécessairement par la restauration de leur état d’origine ou bien peut-on faire avec l’artificialité du tissu urbain ?
A travers la revalorisation des vallées, je pense qu’une des grandes options consiste à concevoir une structure polycentrique pour Bruxelles. De manière schématique, je dirais que Bruxelles pâtit du fait qu’elle compte trop de quartiers et pas assez de centres. Plus précisément, en rapport avec la géographie, le modèle polycentrique, support d’une ville des distances courtes, peut utilement prendre appui sur l’existence des vallées, en intégrant les relations entre des centres anciens de communes, en respectant les pentes et les parcours des piétons et des cyclistes et en valorisant les pénétrantes naturelles. Dans l’imaginaire de nombreux acteurs bruxellois, Bruxelles reste très radioconcentrique. Or, ce modèle de ville n’est pertinent et performant que jusqu’à une certaine taille. A un moment donné de la croissance urbaine, il faut pouvoir intégrer la ville dans une nouvelle cohérence structurelle.
En suivant ce modèle de ville polycentrique, le réseau de transports en commun viendrait-il épouser le relief des bassins versants ?
Si la conception d’un réseau polycentrique renforcerait des relations périphérie-périphérie, notamment entre des centres communaux appartenant aux mêmes vallées, il serait utile pour penser les transports en commun de se départir de la conception des réseaux au profit de celle des nœuds et de leur logique de localisation. Pouvoir rejoindre rapidement un centre d’activités quotidiennes bien situé qui serait en outre un point de départ pour des promenades piétonnes et cyclistes liant ville et campagne rencontrerait globalement des enjeux de qualité de vie urbaine. Ainsi, la structure étoilée des plans de villes telles que Copenhague et Amsterdam prennent en compte ces enjeux de récréation proche.
Quel est le potentiel des bassins versants au regard de la gestion de la biodiversité en ville ?
Les enjeux de la biodiversité dépendent de la réussite d’un maillage vert et bleu, plus encore que de la taille des réservoirs et des poches écologiques qu’il relie. La notion de Plan climat enjoint de considérer les vallées comme vecteur spatial privilégié pour conduire les vents, rafraîchir, ventiler et ainsi constituer le support adéquat pour les continuités écologiques. La plupart des vallées bruxelloises sont orientées dans le sens des vents dominants, à commencer par la vallée de la Senne.
Le bassin versant, en tant qu’unité géographique transcendant les limites administratives, pourrait-il contribuer à l’émergence du polycentrisme ?
Oui, dans la mesure où on le pense globalement. Si on établissait une carte de Bruxelles permettant d’identifier clairement les centralités et leur hiérarchie en rapport avec les bassins versants, on aurait là un outil de mobilisation intéressant. Autour d’un bassin versant, se révèlent de nombreux enjeux intercommunaux à partir desquels il est pertinent de construire des projets d’écocitoyenneté.
Pensez-vous que le contrat de nouvelles rivières urbaines pourrait créer une forme de solidarité de bassin versant ?
Dans le modèle d’Ecopolis formulé par Tjallinghii, l’écomobilité et l’écologie forment une structure double et indissociable. Il s’agirait donc de dépasser les enjeux propres à l’eau pour aller vers la notion de bassin de vie. Il faudrait dès lors chercher le plus possible de transversalités avec d’autres enjeux tels que la mobilité, les équipements, l’intégration sociale, etc. Le maillage écologique est le premier dessin de la ville en creux sur base duquel se structurent les proximités des établissements humains.
Entretien réalisé par
François Lebecq