Pour combler un déficit financier chronique, une municipalité d’un pays que l’on devine se situer au centre de la nouvelle Europe décide de vendre et de confier la gestion du centre-ville historique à une société privée qui la convertit en parc touristique. A l’instar de nombreux habitants, le héros du roman, écrivain à succès, dépasse rapidement ses premières réticences, séduit par les avantages offerts par « La Compagnie ».
Il recevra une indemnité doublant son salaire, bénéficiera du statut VIP avec une flopée d’avantages dont une couverture santé totale.
En échange, il devra se plier aux règles de Town Park : se comporter de manière irréprochable à l’égard des visiteurs, accepter de jouer quelques heures par semaine le figurant dans des journées à thème, etc. En cas de résistance, il perdra des points, au risque à terme de perdre son statut.
A « l’extérieur », les nouvelles sont alarmantes. La privatisation du centre-ville n’a servi qu’à éponger la dette et les promesses de redonner vie aux quartiers périphériques se sont révélées factices. Une raison de plus de se réjouir de pou-voir vivre à l’abri dans cette gigantesque « gated community ».
On l’imagine, l’affaire se délite peu à peu. Aux premières joies insouciantes se substituent rapidement les déveines logiques issues des impératifs de rentabilité de toute société privée. Les bâtiments historiques de Town Park se dégradent, on rogne sur les frais de personnel et le narrateur perd rapidement son statut de VIP.
Toute ressemblance avec les actuelles et futures politiques publiques bruxelloises serait bien évidemment fortuite.
Quoique... Faut-il rappeler qu’il y a sur terre d’honorables professeurs d’université qui vantent le modèle de la privatisation totale des gestions municipales. Sam Tabushi, thuriféraire du partenariat public-privé (PPP) fut même invité à l’occasion d’un des séminaires de midi « de passage en ville » organisés par l’Agence de Développement territorial (ADT) [1], nous rappelant opportunément que Town Park existe déjà. C’est Sandy Springs, une ville de près de 100 000 habitants située dans la banlieue d’Atlanta. Selon l’orateur, cette ville idéale donne un exemple éclatant de PPP qui a permis de virer les fonctionnaires surnuméraires en toute flexibilité [2] : « the private sector is (definitely) killing the normal way of managing a city » !
Mathieu Sonck
Benoit Duteurtre, La cité heureuse, Fayard, 2007.
[1] Pour plus d’info, lire : L’ADT met « ippon » la social-démocratie...
[2] Une citation de l’invité de l’ADT : « you can fire them in such an easy way ! ».