Le retour des grands centres commerciaux est le fruit de la concurrence sauvage que se livre la promotion immobilière face à la perte de vitesse du marché de bureaux. Les promoteurs font miroiter la relance de centres-villes, lancent leur business et passent à autre chose.
Le centre commercial est devenu en quelques années un nouveau produit d’investissement dès lors que les certificats placés en bourse pour ce type de projet produisent un rendement plus intéressant que d’autres placements traditionnels.
Selon Christian Lasserre « Une des raisons du succès du shopping-center, en tant qu’outil d’investissement aujourd’hui, c’est que les investissements en immeubles de bureaux, ont été extrêmement décevants ces 20 dernières années et que donc il faut trouver autre chose. (...) C’est le même type de personnes et parfois les mêmes personnes » [1].
Une bulle qui gonfle
Pour l’auteur du Schéma de développement commercial de la Région bruxelloise, Jean-Luc Calonger, le centre commercial est devenu un pur produit financier. Le promoteur calcule le montant total des loyers pour déterminer le prix de revente du centre au futur acquéreur. « À partir des années 2000, les investisseurs (de l’immobilier commercial) ont été de plus en plus nombreux à suivre une logique financière. Celle-ci consistait à valoriser leurs murs à partir des loyers qu’ils sont susceptibles de générer dans le futur » [2].
La valeur du loyer fluctue en fonction du taux d’intérêt et du loyer. Si les taux d’intérêt sont bas, comme c’est le cas actuellement, l’incitant pour faire un centre commercial est plus élevé.
La logique financière vient supplanter la logique commerciale, le promoteur prend le pas sur le commerçant. Les projets sont donc davantage guidés par un calcul financier à court terme que par la pertinence de l’offre. Une fois l’infrastructure vendue, peu importe au développeur la rentabilité ultérieure. Avec pour danger de rentrer dans un phénomène de bulle spéculative, à l’instar de ce qu’on a pu observer sur d’autres marchés immobiliers comme le marché du bureau. Le marché gonfle, gonfle sans aucun lien avec la capacité locale de consommation.
Au profit de certaines poches
Le développement des centres commerciaux est aujourd’hui aux mains de grands groupes, actifs en Europe, voire au-delà, des sociétés spécialisées dans le développement immobilier comme Unibail-Rodamco qui a remporté le marché pour la première phase du projet NEO [3], ou Klépierre, son concurrent évincé de ce même marché. Ces entreprises sont des sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC) qui redistribuent à leurs actionnaires au moins 85% des loyers perçus et 50% des plus-values réalisées, en échange d’une exonération d’impôt sur les sociétés [4].
La valeur des murs sert ensuite aux SIC à garantir de nouveaux appels de fonds pour la réalisation de nouvelles opérations. Une fuite en avant infinie ! Les développeurs comme Unibail ou Klépierre encaissent chacun près d’un milliard d’euros de loyers annuels grâce à leurs centres commerciaux. Les décideurs politiques les accueillent à bras ouvert au nom de l’attractivité territoriale et du marketing urbain. Pour eux, ces nouveaux centres commerciaux dernier cri deviennent des « lieux de vie innovants » prenant l’apparence des shopping malls à l’américaine. La pilule s’avale avec d’autant plus de facilité que ces nouveaux centres se dotent de toitures vertes surplombant leur armature bétonnée et trient les nombreux déchets qu’ils génèrent et agrémentent leur immense parking voitures de quelques racks de vélos.
Pour combien de temps encore ?
À côté de ces nouveaux centres commerciaux « innovants » et « inédits », les centres-villes se portent de plus en plus mal et le taux de vacance des commerces y est en hausse comme le démontre, chiffre à l’appui, le récent Atlas du commerce en Wallonie [5]. à l’échelle de la Belgique, 7,5% de la surface commerciale était inoccupée en 2008 contre 12,10% à l’heure actuelle. Beaucoup de projets ont été initiés avant la crise de 2008. Mais de nouveaux ont été lancés depuis et le marché montre aujourd’hui de sérieux signes de faiblesse. Alors qu’ils produisaient encore, il y a quelques années, un rendement supérieur à 10%, les investisseurs doivent se contenter actuellement d’un petit 6% et encore. Alors que le chiffre d’affaires moyen des centres progressait d’environ 3% par an, en 2012, il a stagné et, en 2013, il a baissé de 0,6%.
En 2012, Benjamin Wayens, professeur à l’ULB, lors de la journée de l’Agence de développement territorial au nom provocateur « Is the shoppingmall dead ? » nous mettait déjà en garde : « Face à une logique exclusivement entrepreneuriale, nos pouvoirs publics avancent à l’aveuglette : le centre commercial est devenu un modèle de placement de produits financiers en l’absence de toute demande de la part des retailers et des consommateurs. Seule la demande des investisseurs est entendue. Les autorités plient face aux miroirs aux alouettes de la création de l’emploi et se retrouvent avec des temples de la consommation difficilement reconvertibles et un risque bien réel de cannibalisation entre enseignes commerciales. Pourquoi développer autant de surfaces commerciales dans un marché déjà mature ? »
[1] « Le centre commercial, objet d’un nouvel engouement », in Economie, 30 juillet 2013.
[2] Pascal Madry, « Le commerce entre dans sa bulle », in Etudes foncières, n° 151, mai-juin 2011.
[3] Voir l’article sur NEO dans le présent dossier.
[4] Pascal Madry, op. cit.
[5] La Région Wallonne compte 32 000 points de vente dont 13% sont actuellement inactifs.