La banane a pris son temps pour arriver à Bruxelles. Elle est originaire d’Asie du Sud-Est et elle s’est répandue vers l’Inde, la Chine, et en Indo-Chine. Quand les Arabes ont fondé leur empire mondial ils ont introduit la banane dans la Péninsule Arabe, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Déjà au neuvième siècle, ces mêmes Arabes l’ont introduite en Andalousie, surtout dans la région autour de Grenade. Quand les Espagnols et les Portugais ont conquis l’Andalousie ils ont repris la culture de la banane et, plus tard ont introduit le fruit en Amérique Latine. Mais la production industrielle de la banane n’a commencé qu’en 1871, au Costa Rica.
Les Arabes ont diffusé la culture de la banane en Afrique de l’Est, de l’Éthiopie à Zanzibar. Partant de la côte Est elle est arrivée jusqu’à la côte occidentale. La variante Africaine était plutôt petite, la longueur d’un doigt. Banãn est un des mots arabes pour doigt et dans le jargon des commerçants de bananes, une banane s’appelle encore ’un doigt’ et une grappe se dit ’une main’. [1]
La Banane Congolaise
En 1893 l’armée coloniale belge, La Force Publique, fait la conquête de la partie orientale du Congo où les Arabes de Zanzibar et les Swahili avaient leur capitale, Kasongo. Sydney Hinde, capitaine de la Force Publique décrit la ville de Kasongo dans son livre « The Fall of the Congo Arabs » (1897). Il note : “the gardens were luxurious and well planted… bananas abounded at every turn.” Les Zanzibari stimulaient déjà la culture de la banane, car celle-ci était assez simple et le fruit avait beaucoup d’utilisations : la bière de banane avec laquelle on fabriquait aussi du sucre et du vinaigre, et la confection de savon à partir des cendres des pelures. De plus, le jus est un excellent antiseptique.
Les Belges désiraient importer les bananes congolaises, mais ne savaient pas comment les transporter sans les abîmer. Le catalogue de l’Exposition Universelle de 1897 à Tervuren remarque à ce sujet : « Quand le trajet du Congo à Anvers se fera rapidement et sans escales, il sera possible d’importer des régimes de bananes comme fruit comestible ; déjà il nous en vient parfois de Madère, mais leur prix élevé en fait un dessert de luxe. » [2]
La Banane Congolaise arrive à Bruxelles
Dès les années 1920, les premières bananes arrivent à Bruxelles. Elles ne sont pas encore mûres et les importateurs les font mûrir dans leurs entrepôts. Néanmoins, le prix reste très élevé. L’écrivain flamand Willem Elsschot nous donne un exemple dans son roman « Het Been » (1938), où il décrit une vente publique : pendant les enchères une dame ne participe pas, mais mange quatre bananes et à la fin elle fait la plus haute offre. Avec la scène des bananes, l’auteur suggère à ses lecteurs que la dame a du fric.
En 1956, le Congo possède 17 936 hectares de plantations de bananes, une production annuelle de 40 942 tonnes dont 38 905 tonnes pour l’exportation pour une valeur de 77 739 000 francs.
Les importateurs bruxellois se trouvaient surtout autour du Marché aux Grains et du Vismet. Un des plus vieux était la firme Van Damme, fondée en 1928. Au début elle se trouvait sur la Place Sainte-Catherine n°11 (maintenant le restaurant la Belle Maraichère, à côté du restaurant il y a un corridor qui mène à l’ancienne mûrisserie).
Sur le coin de la rue Dansaert et du Vieux Marché au Grains se trouve un bâtiment, datant de 1927, et construit par la firme Gérard Koninckx Frères (GKF) qui importait des bananes du Congo. Les étages supérieurs sont décorés de bananiers, (une œuvre de Paulis et Van Parijs). Les magasins et la mûrisserie se trouvaient sur le boulevard d’Ypres et la façade est également décorée avec des bananes.
Dans les années trente, les bananes arrivaient en grande quantité à Bruxelles et la firme Van Damme déménageait de la place Sainte-Catherine vers le Nouveau Marché aux Grains, n°31. La façade est décorée au niveau du premier étage avec deux têtes d’Africaines entourées de bananes.
Sur le Vismet, on trouve l’ancien bâtiment (en ruine) de l’importateur Spiers (devenu plus tard Chiquita). Spiers était le premier importateur qui commandait ses bananes, non au Congo, mais en Amérique Latine. Des événements étranges eurent lieu : plusieurs ouvriers mourraient. Ils avaient l’habitude des bananes du Congo, pas de celles de l’Amérique, dans lesquelles se trouvaient des araignées toxiques. La direction a ensuite construit une étagère dans le magasin avec des bocaux en verre qui contenaient les différentes sortes d’araignées mortelles pour informer les travailleurs du danger. La firme a déménagé à Anvers par la suite.
[1] Les bananes sont appelées muz en arabe, d’où est dérivé le terme scientifique musa, pour banane.
[2] Guide, « L’État Indépendant du Congo », Bruxelles, 1897, p. 350.