Inter-Environnement Bruxelles
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La ZAD du Keelbeek Libre, en vert et contre tout... béton !

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Le 17 avril 2014, plusieurs centaines de personnes et de nombreuses associations se rassemblent sur le terrain du Keelbeek à Haren pour y planter des patates. Ce vaste espace de nature ou l’État envisage de construire la plus grande prison du pays est occupée et s’est officiellement inaugurée en ZAD (zone à défendre) depuis le 14 décembre 2014.

© François Hubert - Laurence Kahn - 2021

De A à ZAD : histoire du Keelbeek Libre

Fleur bleue qui aurait poussé entre deux fissures de post-modernité, la friche du Keelbeek, à la périphérie de Bruxelles, est digne d’un décor de film d’anticipation. Entourée de routes et de rails, surplombée par le ring, voisine de l’OTAN et de l’aéroport de Zaventem, cette zone verte abrite pourtant une biodiversité exceptionnelle, tant pour la faune que pour la flore. Deux cent espèces végétales, dont certaines très rares, y ont été recensées et de nombreux oiseaux nicheurs et migrateurs font arrêt dans cet espace… Haren est aussi l’un des derniers paysages ruraux en Région Bruxelloise, et le Keelbeek est l’une des dernières zones où il y a encore des terres agricoles cultivables. C’est encore, depuis toujours, une zone de promenade, de jeux et de rencontres pour les habitant(e)s de ce quartier. Quand l’État belge projette d’y construire une maxi-prison, c’est le quartier qui se rebiffe, bientôt rejoint par des associations [1] et autres amoureux de la nature. Car le temps presse. La procédure de construction de la maxi-prison avance très rapidement. La demande de classement a été rejetée par le Gouvernement Régional le 2 octobre 2014. Il est prévu que les travaux commencent au printemps 2015 et que la prison soit ouverte en 2017. Déjà, ce début mars, sans crier gare, les bulldozers ont débarqué et déboisé une parcelle du Keelbeek. Les habitant(e)s et associations amies du Keelbeek Libre restent pacifiques, mais ne désarment pas.

Une mauvaise solution pour une situation carcérale catastrophique

En dehors des constructeurs et des politiques, nombre de voix s’élèvent au cœur même de la magistrature pour s’opposer à ce projet inutile et mortifère. C’est que la Belgique récemment condamnée par la Cour Européenne des droits de l’Homme (qui considère que la surpopulation carcérale est un problème structurel et que la Belgique soumet les personnes détenues à des traitements inhumains et dégradants), étonne par sa politique carcérale : Des prisons surpeuplées alors que 300 cellules sont vides par manque de personnel pénitencier, la construction de cinq nouvelles prisons alors qu’elle banalise le port du bracelet électronique pour vider ces mêmes prisons et au moment où plusieurs pays d’Europe ont déjà mis un terme à leur politique d’enfermement de masse [2]. Ces paradoxes témoignent d’un manque de logique de l’État. Contrairement à leurs affirmations plus de prisons n’est pas la solution et même, construire une nouvelle méga prison semble aberrant. On peut se demander quelles logiques sont poursuivies par l’État et à qui profite le béton ? Et surtout ce projet de prison ne règle en rien les vrais choix de société qui nous font face. Le problème se situe en amont. Construire une nouvelle prison et bétonner des terres potentiellement nourricières sont des choix de société. Les « zadistes » du Keelbeek ne défendent pas seulement l’espace vert des habitant(e)s de Haren, cette lutte s’agrège autour de luttes politiques concrètes.

De ZAD en ZAD. Le saviez-vous ?

En France, une ZAD est d’abord une zone d’aménagement différé (une collectivité locale, un établissement public ou une Société d’économie mixte (SEM) titulaire d’une convention d’aménagement dispose, pour une durée de 6 ans, d’un droit de préemption sur toutes les ventes et cessions à titre onéreux de biens immobiliers ou de droits sociaux). Notre-Dame-des-Landes est une ZAD. Les occupant(e)s de Notre-Dame-des-Landes, plein d’imagination, métamorphosent la Zone d’Aménagement Différé en Zone À Défendre !

« Fermez les prisons, ouvrez les écoles ! »

La méga prison de Haren va contribuer à accroître les injustices. En amont de cette politique carcérale peu de moyens et de ressources sont accordés à l’action sociale en général et à la prévention destinée à soutenir des familles confrontées à des difficultés parfois insurmontables. Prévention qui, si elle était une politique à part entière, éviterait dans bien des cas le basculement dans la délinquance. Alors qu’il n’y a pas plus de criminalité et de délinquance, le nombre de détenus augmente ainsi que la durée d’enfermement [3], comme le détaille l’Institut Emile Vandervelde citant la Ligue des Droits de l’Homme : « L’origine sociale et la disqualification scolaire sont considérées comme deux des facteurs déterminants à la détention. (…) La détention ne fait évidemment qu’aggraver une situation initiale déjà précaire. Elle approfondit la désocialisation et aggrave la marginalisation : les relations familiales se dégradent, le détenu perd son logement et son emploi au point que la prison elle-même peut constituer une cause de récidive. » [4]

La logique qui présidait au moment de la conception et de l’écriture du Masterplan a été progressivement déconstruite par l’analyse et l’observation. Il est temps, 8 ans plus tard, de reconsidérer la situation et de s’inspirer d’autres exemples pour trouver des solutions efficaces et humaines. S’entêter dans une direction que l’on sait mauvaise mènerait immanquablement vers un fiasco financier, social, juridique et démocratique. À l’approche d’un rendez-vous important ces 26 et 27 mars à Bruxelles pour l’avenir du mécanisme de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), 37 organisations européennes parmi les plus actives sur les questions carcérales appellent à un changement de perspective dans le traitement des problèmes endémiques touchant les prisons sur le continent. Pour ces organisations signataires seule une action d’envergure articulée sur les politiques et les pratiques pénales est susceptible de venir à bout de ce problème structurel. La ZAD du Keelbeek défend un espace vert, lieu de promenade des Harenois(e)s et soutient aussi une autre politique sociale, carcérale, respectueuse de l’humain et de la nature. Et au delà, un autre monde possible à réaliser urgemment au vu des enjeux vitaux. Une méga prison viendrait bétonner une surface cultivable d’environ 19 hectares alors que notre capacité de nourrir nos villes en circuits courts est de plus en plus menacée. Alors que tous les jours deux fermes disparaissent en Belgique, les derniers espaces verts de la région de Bruxelles sont progressivement et méthodiquement bétonnés [5]. Les parcs, friches, potagers et les dernières terres arables sont de moins en moins nombreuses à échapper au travail des bulldozers et à l’appétit insatiable des promoteurs immobiliers. Ces projets qui détruisent le bien commun terrestre sont soutenus par des promoteurs uniquement motivés par les profits à court terme, et qui ont, curieusement, le soutien actif du gouvernement bruxellois ainsi que de certains collèges communaux. Malgré les résistances populaires au Keelbeek mais aussi à Ixelles, à la Plaine (ULB), potagers citoyens à Boitsfort, dans le quartier des Tanneurs, à Jette au Bois du Laerbeek, à Uccle au plateau Engeland, partout la même logique est à l’œuvre : sous couvert de pression démographique, de pénurie de logements et d’emplois ou de manque de sécurité les promoteurs imposent des projets qui sacrifient la qualité de vie à court terme et la viabilité des villes à moyen et long terme, au profit du gain immédiat privé et privatif. Pourtant, il y a à Bruxelles 2 millions de mètres carrés de bureaux vides, 15 000 logements vides et l’équivalent potentiel de 5 000 logements dans les étages commerciaux inoccupés.

Des chicons, pas des prisons !

Cette situation est potentiellement dangereuse. Alors que bientôt 50 % de la population mondiale sera citadine, il est vital de prendre conscience de l’importance de la place de la nature en ville. Une ceinture verte autour de Bruxelles est essentielle à l’heure où le réchauffement climatique s’est emballé et s’accélère. Dans son dernier rapport le GIEC [6] prévient que des événements météorologiques extrêmes sont appelés à se multiplier et il n’y a que des actions radicales et urgentes. Se souvient-on de la vague de chaleur de 2003 qui avait tué 70 000 personnes en Europe ? Outre la catastrophe humaine, ce fut aussi l’occasion de réaliser que l’autonomie alimentaire des villes était fragile. Tout au plus 3, 4 jours d’autonomie en île de France… [7] Une ceinture alimentaire autour de Bruxelles n’est donc pas un doux rêve mais une garantie vitale pour la population bruxelloise. En outre la nature offre des services que l’être humain et sa technique ne sont pas capables de remplacer. Réguler la température et l’humidité de l’air, absorber et filtrer l’eau, purifier l’air, polliniser les végétaux, produire à moindre coût des aliments de qualité, autant de réponses à des besoins fondamentaux pour la vie qui sont détruits par le bétonnage des surfaces de terre vivante. Confier ces services aux seules campagnes, c’est dépendre toujours plus d’un système insoutenable qui repose sur les énergies fossiles et qui produit trop d’émissions de gaz à effet de serre. Sécuriser ces espaces verts en ville est pour l’instant indispensables au bien-être des citadins, comme cela a été bien compris à Stockholm, Francfort,… Demain, ce sera indispensable pour vivre en ville. Or, Bruxelles est engagée sur la voie inverse.

ZAD partout !

Le refus des habitant(e)s du Keelbeek et de Haren de supporter un projet non seulement inutile mais dangereux est aussi et d’abord une lutte pour un monde vivant, solidaire et pour une agriculture durable respectueuse de l’environnement. En tirant la sonnette d’alarme ces habitant(e) s, associations et occupant(e)s de la zone du Keelbeek Libre rejoignent une lutte mondiale. Cette urgence est relayée par une conscience de plus en plus aigüe de la nécessité de préserver la nature en général ou un quartier habité et populaire comme c’est le cas de la place du jeu de balle. Non seulement en Belgique mais aussi en France, en Italie, au Brésil, De Notre-Dame des Landes à Sivens, des Zones à Défendre éclosent contre ces travaux titanesques qui enrichissent quelques nantis et détruisent irrémédiablement une faune et une flore déjà trop malmenée. Ces ZAD ont en commun de lutter contre des travaux inutiles et mortifères. Nouvel aéroport plus petit que l’ancien en France, montagne percée pour un train non rentable en Italie, prison d’avance obsolète en Belgique… Les « zadistes » du Keelbeek et de partout ne visent pas seulement à lutter contre du béton, ils remettent en cause une vision du monde où le profit passe avant les gens. Au Keelbeek libre, pour argumenter le désir de ville vivante, une ferme collective pédagogique se développe, un outil politique porté par des habitant(e)s et des membres de différentes associations. Cette vision locale et mondiale est porteuse de sens, et pas de sous. L’urgence à défendre ces zones rend les actions des « zadistes », aussi utopistes et liliputiennes qu’elle soient, sensées et vivifiantes.

Mathilde

Pour en savoir plus : http://haren.luttespaysannes.be.


[1La Méga-prison de Haren s’inscrit dans le cadre d’un Masterplan planifié en 2008 alors que plusieurs pays occidentaux s’orientent vers d’autres choix que la multiplication des prisons.

[2En effet le nombre de condamnés portant un bracelet électronique a explosé en 2014, stabilisant ainsi le nombre de détenus. Selon Statbel.be il y en aurait plus de 1 800 pour à peine 1 070 l’année dernière soit une augmentation d’environ 70%.

[5Comparaison de cartes vues du ciel.

[6GIEC : Groupe d’Experts International sur l’Evolution du Climat.

[7« Solutions locales pour un désordre global », film documentaire de Coline Serreau, avril 2010.