Sacrifiée sur l’autel de l’attractivité touristique, la Galerie Bortier fait actuellement l’objet d’un réaménagement complet au profit de nouveaux établissements HORECA. IEB dénonce un projet mené par la Ville de Bruxelles en toute opacité et sans respect du cadre légal.
Ce jeudi 5 septembre dans la Galerie Bortier, propriété de la Régie foncière de la Ville de Bruxelles, avait lieu le vernissage d’une exposition photo de ce que deviendra la Galerie d’ici quelques semaines. Selon le storytelling ressassé depuis des mois par le nouveau gestionnaire du lieu, Thierry Goor (S.A. Choux de Bruxelles, spécialiste du food market), l’idée est de « développer les nourritures du corps et de l’esprit dans le respect absolu de son histoire ».
La réalité est tout autre et le déséquilibre entre les espaces consacrés aux nourritures du corps et celles de l’esprit est flagrant : huit cellules seront bientôt occupées par des commerces de bouche et seuls trois libraires, devenus alibis culturels, survivent au lifting. Mais pour combien de temps encore ? La partie vitrée de la Galerie, qui n’était plus qu’un trou noir, délaissé par la Régie depuis plus de dix ans, se voit offerte sur un plateau à Filigranes, en guise de café littéraire.
Or la Galerie Bortier, avec ses bouquinistes présents depuis 176 ans, est reprise au PRAS (Plan Régional d’Affectation au Sol) comme « Zone d’équipements d’intérêt collectif ou de service public » où les établissements commerciaux (HORECA ou autres) ne sont admissibles « que s’ils constituent le complément usuel des affectations visées aux 8.1 et 8.2 », à savoir, comme complément usuel des équipements d’intérêt collectif ou du logement, si celui-ci a été admis dans la zone en application de la prescription 8.2. Pour le dire plus simplement : l’Horeca peut, certes, être un complément, mais aucunement l’activité principale d’une telle zone. On est loin du compte ici !
Du reste, le 26 juin 2023, dans un article paru dans la DH sur l’avenir de la Galerie et l’inquiétude des bouquinistes, un membre du cabinet de Lydia Mutyebele, alors échevine en charge de la Régie foncière, déclarait : « Il n’est pas possible d’implémenter un point Horeca sur place, mais nous ne sommes fermés à aucun projet ». Pourtant, nous y voilà !
La nouvelle affectation du lieu n’est pas le seul point qui pose question dans ce dossier. Car après des années d’abandon de la Galerie par la Régie foncière, un appel à manifestation d’intérêt est lancé, en mars 2021, pour deux espaces (concrètement, le 7 et le 12), vides depuis plus de dix ans. Plusieurs candidats remettent alors un projet dont l’ensemble des libraires, soucieux de préserver l’esprit et la cohérence du lieu, qui se réunissent pour la circonstance, rejoints par l’équipe de la Foire du Livre.
Aucun porteur de projet ne reçoit la moindre nouvelle de la Régie foncière et la rumeur commence à circuler d’une possible reprise de l’ensemble de la Galerie pour y loger des activités plus « lucratives », entendez par là, de l’Horeca. Début 2024, la rumeur se confirme et la Régie foncière annonce avoir confié les clés la Galerie à la S.A. Choux de Bruxelles, sans qu’aucun locataire n’ait été consulté et sans qu’aucun appel à projets spécifique n’ait été rendu public puisque, pour rappel, celui de 2021 ne portait que sur deux espaces...
Fin 2023, pressentant la tournure des événements, les libraires avaient lancé une pétition de soutien qui demandait « qu’un véritable appel à projets soit émis, en toute légalité et en toute transparence, en y associant toutes les personnes de terrain concernées ».
Dans cette pétition, les libraires dénonçaient également « être placés depuis des années dans une situation de précarité croissante : loyers trop chers et tarifs arbitraires, baux non renouvelés, cellule laissée à l’abandon pendant plus d’une décennie, grande salle d’exposition non gérée… En bref, aucun investissement au sein des locaux et aucune vision d’ensemble de la part du propriétaire de ce bien public ». Sensibles au sort des libraires de la Galerie, plus de 13.600 personnes avaient signé cette pétition, mais personne, à la Ville de Bruxelles, ne daigna y répondre.
Confrontés à un rapport de force inégal qui ne leur donnait aucune chance, des libraires de la Galerie ont récemment mis en ligne un site, Galerie Bortier, le Passage des Libraires, afin de retracer son histoire, loin des approximations d’un storytelling sur mesure, et de préparer son avenir.
IEB, pour sa part, dénonce la nouvelle affectation de la Galerie Bortier, en violation avec les articles 2, 3, 28, 29 et 188 du CoBAT, de la prescription 8 du PRAS (’Zones d’équipements d’intérêt collectif ou de service public’), ainsi que le manque de transparence qui a conduit à déléguer la gestion de la Galerie à la S.A. Choux de Bruxelles. Une nouvelle dérive de la part de la Ville de Bruxelles et de sa Régie foncière en faveur de projets touristiques et commerciaux (Bourse, Hôtel Continental) au détriment d’équipements d’intérêt collectif.