S’il y a bien une caractéristique immuable du Bruxelles en mouvements, c’est qu’il parle de Bruxelles. Mais l’art de la dispute est également au cœur de son ADN. Aussi, tandis que juillettistes et aoûtiens se croisent sur les plages, nous avions envie de franchir les anneaux du ring et de ramener dans nos valises des récits de luttes urbaines d’ailleurs, tout en veillant à ce qu’elles fassent bien écho à celles que nous vivons chez nous.
À priori, le littoral méditerranéen présente peu de similitudes avec les abords du canal de Willebroek. Pourtant, Marseille et Bruxelles ont plus de points communs que ce que l’on pourrait imaginer de prime abord. Ces villes ont en effet une démographie et des profils sociologiques comparables. Toutes deux subissent des « revitalisations » de leurs centres-ville, entraînant gentrification et déplacements de population. La politique de logement social y est étrangement analogue avec, de part et d’autre, un nombre insignifiant de logements créés chaque année malgré des besoins énormes et des budgets disponibles. De la place marseillaise de la Plaine à Biestebroeck, la résistance à l’embourgeoisement et à la touristification est bien présente.
Notre prochaine escale nous emmène à Istanbul et revient sur les luttes de 2013 autour de la place Taksim et du parc Gezi. D’un combat pour la préservation d’un espace vert dans un quartier dense et populaire, la mobilisation, étendue à la Turquie entière, est devenue le symbole de l’opposition à l’autoritarisme gouvernemental.
Poursuivons notre voyage vers la Grèce et le quartier emblématique d’Exarcheia à Athènes. Là encore, les ressemblances avec Bruxelles sont nombreuses. Ainsi, la place centrale du quartier – lieu de rassemblement important – est menacée de disparition par la création d’une bouche de métro reliant Exárcheia aux sites touristiques athéniens. Comme à Schaerbeek, cette nouvelle ligne de métro trouve une forte opposition parmi les habitant·es qui craignent, entre autres, l’exclusion des résidents actuels de leurs quartiers.
De passage en Autriche, nous prenons connaissance dans les faubourgs viennois d’un projet autoroutier conséquent menaçant une réserve naturelle. Un plan anachronique, en complète contradiction avec les engagements climatiques actuels, et trouvant écho dans l’élargissement prévu du ring bruxellois, au grand dam du bois du Laerbeek.
S’il est une lutte que nous ne pouvions nous empêcher d’aborder, c’est celle portée par les militant·es du droit au logement de Berlin. En 2020, les Berlinois·es obtiennent un gel des loyers, une victoire souvent citée en exemple par les défenseur·euses de la cause. Ce gel est cependant abrogé en 2021 par la Cour constitutionnelle allemande. La mobilisation des habitant·es ne s’enlise pas pour autant et porte aujourd’hui sur l’expropriation et la socialisation de quelque 240 000 logements détenus par les grands groupes immobiliers. À Bruxelles et partout ailleurs où les locataires cherchent à se mobiliser, cette campagne trouve des échos très favorables.
En Espagne, grande victime de la crise hypothécaire de 2008 et en proie à une touristification galopante, on voit se multiplier les mouvements de solidarité entre habitant·es, ainsi que d’opposition au phénomène Air’BnB. Ce numéro, rapporte une brassée d’exemples glanés dans les rues valenciennes et madrilènes.
Hors d’Europe aussi, des populations œuvrent pour la mise en place de politiques inspirantes. Ainsi le Rojava, région kurde autonome de Syrie, mérite toute notre attention, tant le projet révolutionnaire qui s’y construit est unique au Moyen-Orient et dans le monde. Des assemblées de quartier, appelées « communes », y sont à la base d’une construction démocratique radicale et féministe permettant de replacer la pratique du politique dans les mains des citoyen·nes. Sous la menace permanente d’une invasion turque et d’attaques de l’État islamique, le Rojava expérimente pourtant un projet de société hors du commun.
Enfin, le dernier article nous emmène de l’autre côté de l’Atlantique pour nous faire connaître l’histoire des Young Lords de New York, un groupe d’étudiant·es révolutionnaires américain·es d’origine portoricaine dénonçant leurs conditions de vie exécrables et l’abandon de leur quartier par les autorités. Tout au long de leur parcours, les Young Lords ont revendiqué le contrôle des institutions jugées défaillantes, trouvant en chemin des alliés insoupçonnés et forçant parfois la porte des alliances.
Au terme de ce voyage, de retour dans nos pénates, nous faisons le point sur la dernière bataille des associations bruxelloises militant pour le droit au logement, à savoir la limitation de l’indexation des loyers. Car à Bruxelles comme ailleurs, la situation des locataires est devenue intenable et nécessite urgemment un peu de courage politique et la mise en œuvre de mesures appropriées.