JC Decaux est n°1 mondial du Mobilier Urbain, n°1 européen de l’affichage grand format, n°1 mondial de la Publicité dans les aéroports avec 165 aéroports, et n°1 mondial du vélo en libre-service. Avec un effectif de 9 400 collaborateurs, le Groupe est présent dans 55 pays et 3 400 villes de plus de 10 000 habitants et a réalisé, en 2008, un chiffre d’affaires de 2 168,6 millions d’euros. [1]
JC Decaux a signé des contrats avec la majorité des communes bruxelloises, des deals souvent construits sur le même principe : Decaux fournit aux communes du mobilier urbain contre l’autorisation d’exploiter une série de panneaux publicitaires installés à des endroits-clés de l’espace public.
En 2006, la Ville de Bruxelles et son échevin de la mobilité de l’époque, Henri Simons, inauguraient à la veille des élections communales un réseau de vélos partagés, feu « Cyclocity » qui n’a jamais marché car il était limité à l’hyper-centre de Bruxelles [2].
En 2009, la Région, représentée par son ministre de la Mobilité Pascal Smet, par ailleurs échevin empêché (et successeur de Simons) de la mobilité à la Ville de Bruxelles, signait au terme d’une procédure dite « négociée » une convention couvrant l’ensemble du territoire de la Région, mettant fin au contrat qui liait la Ville à Decaux pour jusqu’en 2014.
Opérateur de mobilité ou annonceur publicitaire ?
C’est la publicité et ses dérivés qui génèrent le profit de Decaux. La plupart des contrats de mobilier urbain et de vélo en libre service sont rémunérés par l’autorisation d’exploiter des systèmes d’affichage publicitaire placés dans l’espace public.
La brochure éditée par JC Decaux pour vanter son mobilier urbain est à cet égard sans ambiguïté :
« Bruxelles, capitale de tous les Belges et cœur des campagnes de communication. Avec un million d’habitants et des centaines de milliers de Wallons et de Flamands qui viennent gonfler le flux incessant des
passants, la ville enregistre le plus haut taux de déplacements à pied, en tout cas avant « Villo ! » et ses 2 500 vélos en libre-service. Bel exemple de la philosophie de notre société : jouer un rôle actif et
utile dans les paysages urbains et offrir à nos annonceurs les emplacements les plus qualitatifs à des endroits à forte visibilité. »
En 2009, le chiffre d’affaire de JC Decaux a chuté de près de 10%. Les activités liées à la vente de mobilier urbain ou de vélos en libre-service (plutôt de nature à stabiliser le chiffre d’affaire) ne sont donc « rentables » que si le marché de la publicité est florissant.
La procédure négociée en question ?
C’est à Lyon en 2004 que JC Decaux s’est lancé dans le business du vélo partagé à grande échelle. Ce service a fait l’objet d’une procédure de « dialogue compétitif ». C’est ce type de procédure qui a également
été utilisée pour l’appel d’offre de vélos partagés à Bruxelles. On l’appelle chez nous la procédure négociée.
Pratiquement, cette procédure fonctionne un peu comme une vente aux enchères remportée in fine par la société qui a les reins les plus solides et qui peut faire le plus de concessions aux pouvoirs publics.
Cette procédure pose plusieurs questions qui demeurent à ce jour sans réponses.
La première, c’est que Decaux étant une société privée soumise à une nécessité de dégager des bénéfices substantiels de ses activités (histoire de rémunérer ses actionnaires), les concessions qu’elle fait à la signature d’un contrat ne peuvent pas mettre à mal son objectif de rentabilité globale. Or, on s’aperçoit que c’est souvent le cas. A Paris, par exemple, Decaux a dû élever le niveau de son offre de 8 000 vélos à 20 600 vélos pour emporter le marché que lui disputait son concurrent. En signant ce genre d’engagement, JC Decaux est condamné à trouver un moyen de « se
refaire ». En comprimant ses coûts, bien sûr [3], mais aussi en négociant des avenants au plus vite.
La seconde est que dans tous les cas, la procédure de dialogue compétitif privilégie les grandes sociétés qui sont suffisamment solides financièrement pour pouvoir proposer des offres qui défient toute concurrence [4]. Un élément qui interroge les observateurs avertis sur la réelle capacité du dialogue compétitif à instaurer une véritable concurrence sur le marché du mobilier urbain, un marché largement contrôlé par les deux « géants » Clear Channel et JC Decaux. Les autres concurrents ne font souvent que de la figuration, quand ils remettent offre. D’ailleurs, à Paris, la procédure de dialogue compétitif relancée après un vice de procédure a opposé seulement les deux leaders du marché. A Marseille, il n’y a pas eu de dialogue puisque, toujours après un vice de procédure,
seule la société JC Decaux a répondu aux nouvelles sollicitations de la Communauté Urbaine.
Un contrat, puis des avenants
On l’a vu, les contrats de vélo partagés Decaux font très souvent l’objet d’une renégociation de leurs termes.
Ce marchandage se fait sur des parties non écrites ou floues du contrat. Ces
zones d’incertitudes sont susceptibles de provoquer de nombreux conflits entre les partenaires, appelant les pouvoirs publics à accepter de les préciser dans un avenant. Ce fut le cas à Paris, par exemple, fin 2009 [5], où la municipalité a dû accepter une série de nouvelles clauses au contrat
(notamment le versement annuel de 2,6 millions d’euros pour compenser la sous-estimation de la fréquentation de certaines stations vélo ainsi que la sous-capacité du centre d’appel téléphonique). A Lyon, la municipalité a exempté JC Decaux d’une partie de la grille de pénalité originelle, a accordé une augmentation substantielle des tarifs et autorisé une baisse du nombre de vélos en services (de 4 000 à 3 700 vélos). L’effet des nouvelles conditions d’exploitation n’ont pas mis longtemps à se faire sentir : le nombre d’abonnés au système est passé de 60 000 en 2008 à
40 000 en 2009 !
Decaux, une stratégie de monopole...
On le comprend, la stratégie de Decaux est bien huilée. Le mobilier urbain, comme le service de vélo partagé joue le rôle de cheval de Troie pour placer encore et toujours plus de publicités dans l’espace public. Mieux, l’appétit de JC Decaux pour les espaces publicitaires est rendu insatiable par des clauses abusives, dès le contrat initial quand c’est possible (à Bruxelles, cela semble être le cas, tant le rapport de force était défavorable à la Région, du fait des engagements de la Ville de Bruxelles dans le contrat à long terme « Cyclocity ») ou à défaut à l’occasion de la première renégociation du contrat (par exemple lors d’une extension).
A Bruxelles, l’espace public étant déjà saturé de publicité (les règles d’urbanisme jouant le rôle de verrou), la seule option pour la Région de répondre à ses obligations contractuelles envers JC Decaux est de (faire) mettre un terme dès que possible aux contrats [6] liant les communes aux concurrents de Decaux pour octroyer les espaces publicitaires libérés à son « partenaire naturel ».
A terme, Bruxelles se verra donc pieds et poings liés dans une série de contrats à long terme totalement opaques [7] avec un unique fournisseur qui sera alors en position de force pour veiller à ses intérêts plutôt qu’à ceux de la collectivité. C’est ce que les chercheurs appellent « l’interdépendance structurelle » [8]. Une interdépendance entre pouvoirs publics et
entrepreneurs privés qui renforce le caractère monopolistique de certains « marchés de services publics ».
Quel comble, quand même : confier le monopole d’un service public de mobilité à une société privée dont l’objet social n’est pas la mobilité mais la publicité !
[1] Extrait du site corporate de JC Decaux.
[2] Le contrat portait sur la fourniture de 250 vélos répartis sur 23 stations pour une redevance annuelle de 240 000 euros, soient un peu moins de 1 000 euros par vélo.
[3] J-C Decaux fait fabriquer ses
vélos à 2 euros/h en Hongrie, www.rtbf.be, juin 2009.
[4] Voir Maxime Huré, ibid.
[6] La majorité des contrats publicitaires lient les communes.
[7] Qui connaît le coût de production et de maintenance d’un vélo Decaux à Bruxelles ? Certainement pas les pouvoirs publics !
[8] Voir Maxime Huré, ibid.