Considérant les « nouvelles » peintures murales comme ne pouvant
se réduire à une dégradation de la propriété privée, il nous semble
pertinent d’envisager ces « locutions murales » comme des expressions
spontanées de (ré-)appropriation de l’espace public. Ce que les
mass-médias et structures de pouvoir ne peuvent offrir à nos poètes
modernes », nos façades le peuvent : l’affirmation du droit de cité.
Ces messages inscrits clandestinement sur les murs des villes sont généralement des messages d’opposition et de revendication face aux structures dominantes qui, elles, trouvent toujours un mur pour s’afficher dans la légalité.
Encadrer ce que l’on veut interdire pour mieux l’asservir
La publicité, sans scrupule ni peur du paradoxe, a souvent récupéré les codes stylistiques de ces arts émergents ou underground. S’imposant comme une pseudo avant-garde, copiant les symboles de cette culture urbaine pour lui conférer une dimension universelle et marchande, les publicitaires ont ainsi vidé le graff de sa perspective transgressive des normes. La publicité, encouragée à s’afficher partout, récupère les codes et les styles de ce mouvement illicite et va les reproduire à l’infini, récupérant ainsi la contestation.
Les autorités n’ont pas peur du paradoxe non plus. Manifestement, il est possible de fustiger l’insécurité due aux jeunes à casquette et de créer des cellules anti-tags tout en tentant de s’approprier les suffrages de ces mêmes jeunes. Les exemples ne manquent pas davantage que les subsides aux expositions de graffitis ou aux festivals qui encouragent et promeuvent les arts urbains, avec mise à disposition de murs blancs et de bombes de peinture.
Ces mêmes autorités mettent à la disposition des publicitaires de tous poils toujours plus d’espaces publics, accentuant une privatisation de nos environnements qui va motiver en retour des transgressions de ces normes toujours plus imposantes. Le marketing regorge d’innovations et, à côté des affiches classiques, on ne compte plus les nouvelles conquêtes commerciales. Des pubs dans les transports en commun, des pubs sur les trottoirs, des hommes-sandwiches aux carrefours, des véhicules bariolés qui sillonnent les rues, des événements ultra-sponsorisés... A croire que notre espace public n’est déjà plus qu’un espace pub. Cette privatisation apparente des lieux communs accélère la volonté artistique d’appropriation et conforte les graffeurs dans l’intérêt général de leur transgression.
Conditionnés mais pas résignés
Malgré la multiplication des messages publicitaires, hygiénistes ou électoraux, l’adhésion populaire aux valeurs véhiculées n’est pas absolue. C’est ainsi que diverses personnes, bouclant la boucle, s’en prennent aux messages publicitaires eux-mêmes pour les détourner de leur message premier. Gribouillant quelques mots sur les affiches, par la force de l’ironie ou de l’humour, ils en transforment complètement la signification. « Déboulonneurs », « cacheurs de pub » ou individus isolés s’en prennent ainsi exclusivement à la toute prégnance des stimuli propagandistes qui
colonisent quotidiennement nos rues et nos imaginaires. Ils dénoncent les contenus des messages politiques et commerciaux, critiquant leur sexisme, leur greenwashing, leur élitisme, leur racisme, etc.