Inter-Environnement Bruxelles
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L’allocation loyer « généralisée » : indice de protection ultra léger

Au menu des réformes à mettre en œuvre en matière de logement pendant cette législature, l’actuelle majorité avait inscrit la refonte des différents systèmes d’allocation au loyer et au relogement. Le texte, sous la forme d’une nouvelle ordonnance, a été adopté récemment en première lecture. Alors, vraie réforme ou mesurette ?

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Actuellement, plusieurs systèmes d’aide financière au loyer et au relogement co-existent et il n’est en effet pas évident d’y voir clair dans les différentes procédures mises en place au fil du temps et des réformes. Pour ne rien arranger, ces différentes aides sont gérées par différentes administrations sans grand souci de cohérence ou d’uniformisation. Une refonte s’avérait donc bien nécessaire.

Mais les soucis de cohérence et d’ordre administratif ne sont bien entendu pas les seuls éléments à prendre en compte. En tout premier lieu, il y a bien sûr la situation de précarité face au logement dans laquelle se retrouvent des milliers de ménages bruxellois et par rapport à laquelle les pouvoirs publics peinent depuis des années déjà à mettre en œuvre les leviers d’action nécessaires.

Avant de nous pencher sur l’avant projet de réforme qui est sur la table, il nous semble utile de faire un bref état des lieux des dispositifs existants en guise de rappel.

En premier lieu, il y a l’allocation relogement (anciennement ADIL) qui apporte une aide aux ménages qui occupent un logement inadapté ou insalubre et qui n’ont pas les moyens d’en trouver un autre, ainsi qu’aux sans-abris sous certaines conditions. Cette aide apporte un soutien à la fois pour subvenir aux coûts du déménagement ainsi que pour assumer le coût du nouveau loyer et cela pour une durée de 5 ans. [1] Cette aide touche environ 5 200 ménages. [2] Elle est accordée peu importe le type de logement dans lequel le ménage vient s’établir, donc également s’il est amené à occuper un logement social par exemple, et ne peut être obtenue qu’une seule fois.

Vient ensuite l’allocation octroyée par le Fonds régional de solidarité aux ménages qui se voient contraints de quitter un logement frappé d’interdiction de location suite à une intervention de l’inspection régionale du logement (DIRL). Ce dispositif touche environ 300 ménages. [3]

En troisième lieu citons l’allocation loyer à destination des ménages occupant un logement communal ou appartenant à un CPAS . Cette aide octroyée par la Région vise à rendre plus accessibles ces logements pourtant publics dont les loyers sont souvent trop élevés pour les ménages en situation de précarité. Elle est conditionnée à un plafonnement du loyer et est de ce fait très peu utilisée puisque seuls une centaine de ménages en bénéficient. [4]

Pour finir, la plus récente allocation à destination des candidats locataires en attente d’un logement social. Cette aide vise à pallier le manque d’offre et de production dans le secteur du logement social. L’objectif était de venir en aide aux quelque 1 000 ménages qui cumulent le plus de critères d’urgence (entendez de points de priorité) et qui sont inscrits comme demandeurs. Dans les faits, la complexité administrative du dispositif et sans doute le manque d’information font de cette mesure un échec total puisque seuls quelques dizaines de ménages en bénéficieraient actuellement.

Dans les faits, il n’y a ni augmentation de l’enveloppement budgétaire, ni augmentation du nombre de ménages bénéficiaires.

Au rayon cosmétique

Le projet d’ordonnance qui est aujourd’hui sur la table prévoit bel et bien une fusion des différentes aides existantes dans une seule et même ordonnance et une uniformisation des pratiques entre celles-ci. Mais les différents volets, c’est-à-dire, l’esprit qui sous-tend ces aides ainsi que leur publics cibles restent quasi inchangés, ce qui fait qu’en fin de compte, l’allocation loyer « généralisée », telle que présentée par le Gouvernement, ressemble avant tout à une juxtaposition de dispositifs existants.

Pire, bien que dans son texte de présentation du projet d’ordonnance au Gouvernement, la Ministre annonce « La nouvelle allocation généralisée se veut être une réponse forte à la crise du logement que nous connaissons », dans les faits, il n’y a ni augmentation de l’enveloppement budgétaire qui tourne autour de 12 millions d’euros, ni augmentation du nombre de ménages bénéficiaires estimés dans ce même texte à quelque 4 589 ménages.

Au niveau des administrations, même son de cloche. Il n’y aura pas plus de moyens pour traiter les demandes ou effectuer le travail indispensable de promotion des dispositifs et d’accompagnement des ménages dans leur procédure de demande.

Dans ces circonstances, on voit difficilement comment l’allocation loyer généralisée pourra relever le défi et répondre aux attentes des ménages bruxellois les plus précarisés et des associations qui tentent de les soutenir comme elles peuvent.

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Outre le manque manifeste de moyens financiers et humains pour mettre en œuvre cette réforme, le second problème du texte qui est aujourd’hui sur la table est la multiplication des publics cibles, héritage des dispositifs passés. Une véritable réforme aurait dû permettre une redéfinition des publics et des principes.

Rien de tout cela dans ce texte qui de surcroît arbore le titre largement usurpé « d’allocation- loyer généralisée ». Historiquement, les dispositifs actuels ont été mis sur pied pour pallier certains travers, tantôt ceux du marché locatif privé (insalubrité, inadaptation, coûts…), tantôt ceux des loyers trop élevés pratiqués dans les logements publics communaux et les CPAS, et tantôt ceux liés au manque de production de logements sociaux.

Dans la réforme qui nous est présentée, ces principes et ces publics cibles restent inchangés avec pour résultat une aide au logement dont les critères d’accès sont multiples et excluant pour toute une série de ménages pourtant dans le besoin. Pire, loin de la simplification voulue, le dispositif nous semble au final encore moins lisible et accessible que par le passé.

En effet, il y aura dorénavant une superposition de conditions, les unes liées aux revenus et à la situation du ménage demandeur, les autres liées au logement qu’il aura pu trouver.

Pour ce qui des conditions liées à la situation du ménage, il y aura lieu de distinguer d’une part les conditions dites communes, c’est-à-dire applicables à tout demandeur et à tout logement, et d’autre part les conditions particulières qui permettent grosso modo de cibler les 4 types de publics hérités de l’ancien régime.

La multiplication des critères vise de manière évidente à contenir l’enveloppe budgétaire en limitant le nombre de bénéficiaires.

Numérus Clausus

Au-delà de la complexité du système, la multiplication des critères vise de manière évidente à contenir l’enveloppe budgétaire en limitant le nombre de bénéficiaires du système et ce au sein même des différentes catégories de bénéficiaires. Ceci est très visible lorsque l’on examine un peu plus en détails les conditions d’accès.

La définition des conditions communes est relativement simple : les revenus du ménage ne peuvent pas dépasser le seuil d’accès du logement social, le demandeur ne peut pas être propriétaire et doit avoir 18 ans ou être émancipé. Du côté des conditions particulières on distingue 4 situations qui ouvrent le sésame de l’aide. Tout d’abord, celle du ménage inscrit comme candidat-locataire pour un logement social. Celui-ci devra avoir accumulé 6 titres de priorité pour pouvoir en bénéficier. [5] Ensuite, sont visés les ménages bénéficiant d’un logement faisant partie du parc locatif d’une commune ou d’un CPAS. [6] En troisième lieu sont concernées les personnes qui perdent leur statut de sans abri en intégrant un nouveau logement. Et en dernier lieu, la mesure vise les personnes qui se voient contraintes de quitter un logement inadéquat ou inadapté.

Du côté du logement, celui-ci devra bien sûr être conforme et adapté aux exigences actuelles et aux besoins spécifiques du ménage, mais surtout le loyer devra être inférieur ou égal au loyer de référence de la toute récente grille indicative des loyers du Gouvernement. Une nécessité bien sûr si l’on veut éviter tout effet d’opportunité et d’envol des prix du marché locatif, mais un élément d’exclusion aussi pour les ménages qui paieraient un loyer trop élevés, nous y reviendrons.

Autre nouveauté et c’est un plus à souligner, le logement ne pourra plus être un logement géré par une SISP ou une AIS, ce qui amenait auparavant de fait à une double aide au logement pour certains ménages alors que d’autres restaient sur le carreau.

C’est en tout cas sur base de ces différents critères que le Gouvernement a réalisé ses projections et a fixé à 4 589 le nombre de ménages qui pourront être aidés. Ce chiffre est par ailleurs annoncé comme un maximum. Mais il n’est pas impensable, qu’à l’image d’autres dispositifs par trop techniques, le nombre de bénéficiaires effectifs soient nettement inférieur. L’avenir nous dira ce qu’il en est.

Posologie en cas d’irritation

À budget inchangé et nombre de ménages visés sensiblement identique, l’allocation-loyer « généralisée » propose toutefois certaines évolutions, ce qui implique d’opérer des choix.

On a déjà évoqué le fait que le logement occupé ne pourra plus être un logement géré par une SISP ou une AIS, ce qui fera déjà diminuer le nombre de ménages bénéficiaires. Un autre aspect est le rééquilibrage opéré dans le montant des aides qui pour certains bénéficiaires seront moins importants et pour d’autres plus. Ainsi, le montant de l’aide sera dorénavant de 110 euros pour une personne isolée, ce qui est moins qu’actuellement, mais ce montant sera majorés de 50 euros par enfant à charge avec un maximum de trois enfants, ce qui est plus qu’aujourd’hui. Il y a donc une volonté de soutenir plus les familles, ce qui n’est en soit pas une mauvaise chose, mais qui ne devrait pas se faire au détriment des personnes seules dont on sait qu’elles constituent aujourd’hui une part importante des personnes aidées.

C’est là que l’on voit clairement à quel point la réforme manque d’ambition puisque non seulement elle exclut un nombre important de ménages d’une aide qu’ils seraient légitimement en droit de réclamer, mais qu’en plus, faute de se donner les moyens suffisants, elle pénalise certaines catégories de bénéficiaires au profit d’autres alors que les montants perçus sont déjà dans tous les cas relativement faibles.

Un système d’allocation-loyer dans un contexte de marché locatif libre risque de créer un appel supplémentaire à la hausse des loyers.

Attention aux effets secondaires

Si le manque d’ambition et de moyens semble être une évidence, il subsiste une question plus épineuse qui est celle de la contrainte imposée par l’application d’un loyer conforme à la grille de référence régionale. Il est clair qu’un système d’allocation-loyer dans un contexte de marché locatif libre tel qu’on le connaît actuellement à Bruxelles risque de créer un appel supplémentaire à la hausse des loyers. Un système d’encadrement mis en place préalablement est dès lors indispensable si l’on veut éviter que l’aide censée améliorer le quotidien des ménages les plus précaires ne se retrouve directement dans la poche de leurs bailleurs.

La grille indicative des loyers mise sur pied par le Gouvernement est une première étape d’un système d’encadrement, mais elle est non contraignante. Par ailleurs, les prix fixés ont été déterminés sur base du marché existant qui, on le sait, dysfonctionne et met en difficulté de logement une part sans cesse croissante des Bruxellois. Le fait que cette grille vient d’être adoptée, ne nous permet pas encore d’avoir le recul nécessaire pour pouvoir juger de sa pertinence, mais il semble d’ores et déjà que sur certains segments les loyers sont sous-évalués alors que sur d’autres ils sont sur-évalués.

Au-delà du principe politique qui veut qu’une allocation-loyer soit une aide à destination des ménages qui en ont besoin et non de leurs propriétaires, il y a un principe de réalité qui est que nombre de ces ménages paient aujourd’hui un loyer supérieur à la grille de référence et se verraient donc exclus du système. Un principe de double peine qui montre à souhait toute la complexité et les dangers de ce type de dispositif.

Thierry Kuyken
Inter-Environnement Bruxelles


[1L’aide au déménagement varie de 840 à 1092 euros et l’aide au loyer varie de 162 à 244 euros par mois en fonction de la composition du ménage, de ses revenus et du loyer payé. Voir toutes les conditions sur http://logement.brussels/primes-et-aides/allocation-de-relogement.

[2Carole Dumont, RBDH, « Allocation-loyer : situation actuelle et enjeux pour demain » in Bruxelles en mouvements n°267 (novembre-décembre 2013).

[3Ibid.

[4Ibid.

[5Pour plus de détails sur le système des titres de priorité voir : www.slrb.irisnet.be/fr/ particulier/louer-un-logement/logement-social/ candidats-locataires/attribution.

[6Attention il s’agit ici uniquement des logements appartenant aux régies foncières communales et aux CPAS. Il ne s’agit donc pas de logements sociaux.