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Jurassique park(ing) 58

Isabelle Hochart – 18 décembre 2014

Situé entre la Bourse et la place Sainte-Catherine, le Parking 58 est pour beaucoup considéré comme une erreur du 20e siècle, un des derniers vestiges de l’urbanisme des années 60, voué au tout à la bagnole. Depuis 2012, la Ville de Bruxelles envisage la possibilité d’y installer son nouveau centre administratif, moyennant une démolition totale de l’immeuble en vue d’une reconstruction quasi à l’identique. Une réplique en réalité plus volumineuse, accompagnée des mêmes erreurs concernant les gabarits et hélas des affectations en parfaite incohérence avec la réalité actuelle des lieux et des enjeux environnementaux.

Mauvais remake

Avant la construction du bâtiment actuel, ce lieu très central aura accueilli plusieurs fonctions au fil des siècles et de l’évolution de la ville : halles marchandes au 19e siècle puis lieu de divertissement adapté aux saisons (patinoire en hiver, cabaret en été) et même un cynodrome [1] ! L’immeuble actuel date de 1957 et correspond à l’esprit et aux objectifs de l’exposition 58. Bruxelles s’équipe du premier parking monumental d’Europe, et les voitures de l’Europe entière peuvent donc venir s’y engouffrer. Aujourd’hui, la démolition de ce paquebot des temps passés interpelle et la réaffectation proposée ne fait pas l’unanimité pour de nombreux aspects.

En effet, sous prétexte de vétusté, le site sera vraisemblablement entièrement démoli pour être remplacé par un bâtiment pratiquement identique en terme de volume, mais moins énergivore. L’ensemble est prévu pour des bureaux, des parkings et des logements qui seront sans aucun doute des logements de standing et quelques commerces. Le moins que l’on puisse dire est que ce choix en termes d’affectations n’est pas très judicieux. Le marché du bureau est depuis plusieurs années déjà totalement saturé avec son million et demi de mètres carrés de surfaces inoccupées et le déplacement des services de l’administration de la Ville de Bruxelles va engendrer à terme un nouveau chancre d’importance en plein cœur de la ville.

Le nouveau projet prévoit également l’arrivée de 847 emplacements de parking. Associations et riverains ont d’une même voix dénoncé ce qui apparaît comme une véritable incohérence en regard des réaménagements prévus des boulevards du centre et de la piétonisation d’une partie de ceux- ci. Un parking de cette envergure dans une zone extrêmement bien desservie en transports en commun va à contre-sens des enjeux et des objectifs régionaux qui visent la réduction de la pression automobile.

Par ailleurs les quartiers voisins offrent également de nombreux emplacements de parking qui sont très souvent sous-occupés. Le plus bel exemple étant le toit du bâtiment qui nous concerne qui n’est d’ailleurs pratiquement jamais utilisé par des voitures ! Ce lieu exceptionnel est surtout prisé par les Bruxellois avertis et autres touristes qui viennent se réjouir de la vue panoramique sur la ville. L’endroit est utilisé comme un parc public et beaucoup verraient volontiers s’y installer un jardin suspendu, accessible à tous, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.

Une partie du bâtiment accueillera 46 unités de logements « de grande qualité » : ce qui annonce des logements de standing. Si Bruxelles va vers un accroissement démographique certain et doit donc anticiper l’offre de logements, cela concerne surtout une population composée principalement de ménages à bas revenus. IEB considère donc qu’il est impératif que la commune prévoit d’inclure dans ce projet des logements à finalité sociale afin d’accueillir également les personnes qui sont dans des situations fragiles. Un quota de logements sociaux pourrait y être imposé compte tenu que l’offre d’habitations à vocation sociale est actuellement déficitaire. Plus de 40 000 ménages sont actuellement dans l’attente d’un logement adapté à leurs revenus.

La Ville de Bruxelles, qui souhaiterait occuper la future construction, n’est visiblement pas soucieuse de montrer le bon exemple. Non seulement les affectations prévues ne collent pas avec les enjeux sociaux, économiques et environnementaux auxquels nous devons faire face, mais le permis demandé déroge sans complexe avec le Règlement Régional d’Urbanisme (RRU), notamment concernant le nombre d’emplacements de parking et les gabarits imposés.

Un manque d’audace et d’imagination

Lors des procédures d’enquête publique, IEB ainsi que d’autres associations et riverains avaient demandé la réalisation d’une étude sur les impacts environnementaux d’une démolition-reconstruction ainsi qu’un bilan carbone de l’opération. Cette demande n’a visiblement pas été prise en considération et aucune alternative n’a été proposée. Pourtant, la réalisation de 6 niveaux de parking en sous-sol nécessitera des travaux compliqués, longs et coûteux qui exigeront une grande vigilance pour la sécurité et la stabilité des constructions aux alentours sans oublier la présence des nappes phréatiques situées dans cette zone.

Par ailleurs, d’autres options auraient pu être examinées, notamment en termes d’affectation pour privilégier une plus grande part de logements. Dans ce cadre, nous l’avons déjà évoqué, il y a là une réelle opportunité pour développer du logement accessible aux bas revenus.

De manière générale, le projet manque de vision globale. Il ne propose aucune réflexion élargie en termes de rénovation du bâtiment lui-même et de ses environs, qui souffrent d’un manque de liaison piétonne avec les quartiers voisins.

Une opportunité ratée

Le chantier durera certainement quelques années avec son lot de nuisances et de désagréments et pour les habitants et pour les visiteurs. Une opération de cette taille mériterait plus d’attention de par sa situation géographique – en plein cœur du centre-ville – mais aussi pour symboliquement ouvrir la voie vers des nouvelles formes d’aménagement urbain et d’organisation de l’espace public.

Le plus étrange est surtout l’absence d’imagination de la part des propriétaires, la S.A Centre 58 (AG Real Estate). Tant qu’à démolir autant proposer quelque chose de radicalement différent, être inventif et éviter de reproduire les erreurs passées : un bâtiment monolitique qui écrase littéralement les constructions voisines et est sans correspondance avec le tissu urbain existant ; des choix d’affectations qui ne correspondent absolument pas aux attentes et aux besoins des habitants ; le tout en parfaite inadéquation avec les enjeux environnementaux.

Quel dommage de passer à côté de l’opportunité de réaliser un projet novateur au cœur de la capitale de l’Europe, ne serait-ce qu’à titre exemplaire.

Lors des deux enquêtes publiques déjà réalisées, l’ARAU avait suggéré, par exemple, de scinder le bâtiment en deux et de rétablir ainsi le passage de la courte rue des Halles. Une occasion de relier le quartier Sainte-Catherine à l’Îlot Sacré et d’y installer des commerces de proximité par exemple.

Certains habitants avaient également proposé une crèche ou une école (en nombre actuellement insuffisant) en lieu et place des bureaux, ou des logements destinés aux différentes catégories sociales et bien sûr une diminution du nombre de places de parking.

Tout est toujours à recommencer

Faire et défaire, démolir et reconstruire : c’est souvent le destin des villes qui sont en mouvement perpétuel et doivent s’adapter aux réalités des époques qu’elles traversent.

Le sort du Parking 58 est encore en suspens. La dernière Commission de concertation concernant la demande de permis qui s’est réunie en novembre 2014 a rendu un avis favorable de principe assorti de conditions. Le projet devra donc être remanié et devra certainement franchir une nouvelle fois les étapes d’une autre enquête publique.

Hélas il est peu probable que cela apportera les changements espérés. L’ensemble du projet n’est qu’une vision urbanistique obsolète, la construction proposée n’a rien à envier à celle qu’elle est censée remplacer, sans attrait particulier ni spécificité architecturale.

Pour conclure, il faut également souligner l’absence de concertation avec les riverains et les associations dans l’élaboration de ce projet. À nouveau, dans un contexte de réaménagement des boulevards du centre et de la mise en piétonnier d’une partie du centre-ville qui oblige une réflexion sur l’organisation de la mobilité, un travail préalable de concertation avec les habitants, associations des commerçants et autres usagers habitués du centre-ville aurait eu tout son sens et aurait très certainement orienté différemment les décisions prises.


[1Lieu où étaient organisées des courses de lévriers.