Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

J’y suis, j’y reste !

Selon certains, la zone qui borde le canal à hauteur du quai de Biestebroeck serait un no man’s land à revitaliser d’urgence. Ce n’est pas l’avis des nombreuses entreprises qui y exercent leurs activités.

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« Depuis 40 ans, cette zone est une zone perdue, pour l’économie, pour les habitants et pour la commune. » Cette déclaration tonitruante de Gaëtan Van Goisdenhoven (MR), ancien député-bourgmestre d’Anderlecht et actuel échevin de l’urbanisme, faite sur Télé- Bruxelles en novembre 2011, méritait d’être confrontée à une analyse objective.

C’est chose faite depuis qu’IEB s’est penché pendant l’été 2012 sur cette zone industrielle de 235 ha coincée entre le canal, le chemin de fer et la frontière régionale. Un relevé systématique sur le terrain, parcelle par parcelle, croisé avec les données de la Banque Carrefour des entreprises et le Moniteur moniteur belge, permet d’affirmer que 259 sociétés sont en activité dans la zone. Ce qui contredit l’analyse de BUUR, le bureau chargé de l’étude préparatoire au PPAS Biestebroeck, qui qualifiait le territoire de Biestebroeck « d’une des zones les plus sous-utilisées de la zone Canal à Bruxelles ». Au sein de ces 259 sociétés, un échantillon de 50 entreprises a fait l’objet d’une analyse plus détaillée, principalement au moyen d’interviews directes de leurs responsables.

Un large panel d’activités et des types d’infrastructures diversifiés

L’analyse met en évidence que le commerce, essentiellement de gros [1] constitue le secteur d’activité majoritaire de la zone (44% du total). Le secteur de l’industrie manufacturière, qui reprend près de 15% de l’activité, vient en deuxième position. Il reprend des activités aussi diverses que la fabrication et la transformation de produits agro-alimentaires, la fabrication de papier, de carton, les imprimeries, la fonderie, la fabrication et le traitement du métal, etc.

Viennent ensuite les secteurs de la construction (9% de l’activité), puis les activités de services administratifs et de soutien (8%). Le secteur des activités spécialisées, scientifiques et techniques (7%) et le secteur de l’information et la communication (5%). Enfin il reste des secteurs peu représentés (moins de 5% de l’activité totale) : la production et distribution d’électricité et de gaz ; la production, distribution d’eau et l’assainissement des déchets ; la restauration et les activités tertiaires (finance et immobilier). Reste à mentionner le secteur de l’activité humaine et d’action sociale, représenté par Travail et Vie.

Côté infrastructures, une petite moitié de la zone est occupée par des ateliers et des entrepôts de stockage, une proportion équivalente étant consacrée aux bureaux, pour la plupart complémentaires aux activités productives. Les parkings et commerces complètent la donne.

Une zone refuge pour des entreprises qui veulent rester à Bruxelles ?

La zone est connue pour avoir fixé des activités industrielles depuis plus d’un siècle, surtout grâce à la proximité du canal et des infrastructures ferroviaires. Ainsi, la moitié des entreprises interrogées sont installées dans la zone depuis de très nombreuses années.

Un bon quart des entreprises étaient implantées auparavant plus à l’intérieur de la ville, ou dans le Brabant Flamand proche (Vilvorde, Asse, Alost). Le déménagement vers le zoning industriel était motivé par diverses raisons : la nécessité de s’éloigner des quartiers habités du centre, l’opportunité et la disponibilité d’espaces adéquats, transformables, plus grands pour permettre l’entreposage, le rapprochement du Ring, et la situation en zoning industriel.

Au-delà de la proximité avec le réseau routier et la gare du Midi, se dégage l’importance de la disponibilité en espaces libres. Les entreprises sont généralement intéressées par de grandes parcelles (souvent plus grandes que ce dont elles ont réellement besoin à court et moyen terme) pour établir leurs activités, et ce, afin de disposer d’une marge de sécurité par rapport à l’avenir.

Elles se prémunissent ainsi contre un déménagement en cas d’augmentation de leurs besoins en espace. Perdre ces espaces risque d’être un facteur puissant de délocalisation des entreprises.

Les « industries urbaines » en ville constituent un débouché essentiel pour une population bruxelloise en manque d’emplois.

Une voie d’eau sous-utilisée

Sachant que 90% des marchandises transportées en Région bruxelloise le sont par la route [2], c’est sans surprise que l’on apprend qu’il s’agit de mode de transport majoritairement utilisé par les entreprises situées sur la zone. Le flux des camions varie bien sûr en fonction de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité. Les entreprises qui reposent sur des flux importants sont Ready Beton (10 à 20 camions/jour, construction), Horescum (20 camions/jour, agro-alimentaire) et les Agences et Messageries de la Presse (AMP) (250 camions entrants et 53 sortant par jour). Seules deux entreprises dans la zone se servent à l’heure actuelle du canal : Ready-Beton, qui achemine du sable, et Cotanco, qui transporte du gaz ou du mazout par péniche. Sur la rive opposée, une troisième entreprise se sert du canal pour débarquer des matériaux de construction en vrac. A la question d’envisager un transport par le canal, la plupart des interlocuteurs, s’ils ont pu en saisir l’intérêt, ont du mal à en percevoir les avantages pour leur entreprise tant que les pouvoirs publics n’auront pas pris de mesures volontaristes pour inciter à cet usage (voir l’article p.20 de ce dossier « Un port urbain au sud de Bruxelles »).

Une densité d’emploi significative mais pas assez de Bruxellois

D’après l’analyse statistique effectuée, on peut estimer à 7 200 les emplois qu’offre la zone, soit une moyenne de 36 emplois par hectare. Ce chiffre se placerait dans la moyenne pour les zonings industriels.

Les secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois reprennent les deux secteurs les mieux représentés en terme du nombre d’entreprises : le commerce et les garages, auxquels il faut ajouter l’industrie manufacturière qui offre toute proportion gardée plus d’emplois que le commerce et la réparation d’automobiles.

Sans surprise, les secteurs offrant le plus d’emplois peu qualifiés sont la collecte et la gestion de déchets, l’industrie manufacturière et la construction, avec respectivement 77%, 69% et 72% de postes de ce type. A titre de comparaison, les emplois peu qualifiés représentent seulement 17,8% de l’emploi total en Région bruxelloise [3].

Le maintien de ces entreprises dans une ville fortement tertiarisée et dans des communes à forte population de demandeurs d’emploi, représente donc un enjeu certain.

Dans l’ensemble, le lieu de résidence des travailleurs se partage assez équitablement entre les communes de la Région de Bruxelles-Capitale et l’extérieur : 58% habitent Bruxelles, 42% résident à l’extérieur. Cette statistique est légèrement biaisée par la présence dans l’échantillon statistique de l’équipe de Travail et Vie, une entreprise de travail adapté où 100% des travailleurs sont bruxellois. Si l’on enlève l’association, le rapport s’inverse : 46% des travailleurs résident à Bruxelles et 54% s’y rendent chaque jour de l’extérieur.

Ces résultats pourraient nous amener à nuancer un des arguments plaidant pour le maintien des « industries urbaines » en ville, à savoir qu’elles constituent un débouché essentiel pour une population bruxelloise en manque d’emplois. Mais ne s’agit-il pas plutôt ici d’agir sur les politiques d’embauche de ces entreprises via des collaborations avec Actiris ?

J’y suis, j’y reste !

Les trois quarts des entreprises interrogées sont plutôt en bonne santé et présentent des perspectives de croissance pour leur activité et envisagent de rester dans la zone. Sur les 52 entreprises interrogées, 20 sont entièrement propriétaires du site qu’elles occupent. Huit entreprises sont partiellement propriétaires (par exemple elles louent le terrain à la SNCB, à la SDRB, ou au Port de Bruxelles mais sont propriétaires du bâtiment). 22 entreprises sont locataires.

À la question de savoir ce qu’une augmentation des valeurs foncières impliquerait pour les entreprises et quelle serait leur réaction en cas de mise en vente du site si elles étaient locataires, la plupart de nos interlocuteurs défendent que cela ne changerait rien, entendons que cela ne mettrait pas en péril l’entreprise. En cas de mise en vente, l’entreprise locataire chercherait à racheter les installations.

Des données qui plaident clairement en faveur du maintien de l’ensemble du territoire analysé en zone d’industrie urbaine. Les entreprises y trouvent une implantation clairement adaptée à leurs besoins, difficilement reproductible ailleurs dans les limites de la Région.


[1Machines-outils, ordinateurs, machines électriques, denrées alimentaires.

[2La Région bruxelloise n’a aucune politique du transport de marchandises. Toutefois un plan stratégique du transport de marchandises est sur la table du gouvernement.

[3Données 2008 de l’Observatoire bruxellois de l’emploi.