En tant que lieu de reproduction des inégalités sociales, l’école est garante d’un ordre social établi. L’école sépare, classe, trie, balise les trajectoires scolaires et post-scolaires des individus, de l’enfance à l’âge adulte. L’école, ses filières valorisées ou dévalorisées, ses classes de cours… et ses classes sociales nanties ou défavorisées, est ce lieu où l’humain apprend dès son plus jeune âge l’obéissance, la conformité mais aussi la hiérarchie sociale. L’égalité des chances est un mythe.
L’école actuelle renforce les inégalités sociales au lieu de les réduire : à la fin du primaire déjà, les enfants de parents peu diplômés ont une probabilité plus élevée que les enfants de parents très diplômés d’avoir redoublé au moins une année. Ces inégalités à l’école créent, plus tard, des inégalités sur le marché du travail : un travailleur diplômé d’une université gagne en moyenne deux fois le salaire d’un travailleur qui n’a pas terminé ses études secondaires.
C’est ce système scolaire qui trie et qui sépare, et son inscription dans notre ville que nous tentons d’analyser ici. Une analyse construite avec l’apport précieux de différents acteurs du secteur de l’éducation et/ou de l’accompagnement scolaire et extra-scolaire : enseignant-e-s, chercheur-se-s, encadrant-e-s d’écoles de devoirs, association de parents… et même quelques élèves. L’occasion pour IEB de nouer quelques liens sur le terrain.
Résultat : un dossier dont le point de vue n’est ni unifié ni exhaustif. Certaines questions restent ouvertes, d’autres font encore débat parmi nous.
L’école est aussi une question d’urbanisme
Pourquoi, à IEB, s’intéresser à l’école ?
C’est que les enjeux de l’école ne se réduisent nullement à des aspects pédagogiques.
Et d’abord, l’école c’est aussi des bâtiments, un ensemble d’équipements qui peuvent constituer des points de repère et d’ancrage dans les quartiers. Ces équipements peuvent être plus ou moins bien adaptés, plus ou moins bien situés, plus ou moins accessibles.
De ce point de vue, la saturation (voire la pénurie) des infrastructures scolaires s’inscrit dans le cadre d’une préoccupation structurelle de notre association quant aux déficits des équipements publics à Bruxelles. La croissance démographique n’ayant manifestement pas été bien anticipée, les pressions deviennent très alarmantes au sein du parc scolaire existant. Ce dossier est l’occasion d’en saisir les contours.
Mais c’est aussi sur un plan plus large que la question de l’école rejoint les préoccupations d’IEB. Car des politiques urbaines peuvent être aussi menées au nom de l’école.
Les pouvoirs publics véhiculent ainsi l’idée que la ville idéale est composée de quartiers mixtes et donc d’écoles mixtes. On sait que cet appel systématique à augmenter la mixité sociale des quartiers pour répondre aux problèmes sociaux et environnementaux est régulièrement critiqué par IEB. Fréquemment opposé à des projets urbanistiques visant à « mixifier » certaines parties de la ville, IEB lutte contre cette arme de destruction massive des quartiers populaires que constitue la mixité sociale résidentielle ! Il fallait donc poser la question : des quartiers populaires (encore) plus mixtes, est-ce que ça fait au moins du bien à l’école ?
À tout cela s’ajoute la vocation d’IEB de rendre la parole à ceux qui en sont le plus souvent privés. Si les problèmes de l’école font l’objet d’une large couverture médiatique, c’est rarement pour écouter ce qu’ont à en dire les élèves, leurs parents, et ceux qui les aident au quotidien à lutter contre le rouleau compresseur de l’institution scolaire, dans les écoles de devoirs par exemple.
Ce que vous trouverez dans ce dossier
L’augmentation de la mixité sociale dans les quartiers populaires contribue-t-elle à y relever la qualité des écoles ? Cette question, le dossier entend la poser sur deux plans : celui de l’urbanisme et celui de l’enseignement lui-même.
Sur un plan urbanistique tout d’abord, le dossier met en cause la thèse selon laquelle l’augmentation de la mixité sociale résidentielle dans les quartiers pauvres – par l’attraction de classes moyennes (supérieures) – conduirait à une augmentation parallèle de la mixité sociale dans les écoles. De manière générale, la plupart des quartiers sont aujourd’hui déjà socialement très hétérogènes sans pour autant que cette mixité se retrouve au niveau des écoles. En réalité, comme le montre le premier article « article 30678 », la population des écoles est très loin de refléter fidèlement la composition sociale de leurs quartiers. Même au niveau maternel où le recrutement est le plus local, la mobilité des élèves est déjà suffisante pour nourrir de puissants mécanismes de ségrégation scolaire. Il semble bien que la mixité sociale des quartiers ne garantisse nullement celle des écoles.
Or, non seulement on ne crée pas d’écoles socialement mixtes en créant des quartiers mixtes, mais sur le plan de l’enseignement, il n’est nullement certain que l’école mixte tienne ses promesses.
Posée en conclusion du premier article, cette question est mise en discussion dans le suivant : « article 30680 », qui aborde le débat sur la base d’un regard croisé de professionnels. Les points de vue ne sont pas forcément convergents. Pour les uns, la mixité sociale dans les écoles correspond bien à un vrai projet politique qui permettrait d’enrayer les inégalités scolaires. C’est aussi dans cette optique que se place l’article « Zéro école-ghetto » qui démontre, modélisation à l’appui, qu’une très large mixité sociale pourrait être assurée dans les écoles sans aucune modification de la composition sociale actuelle des quartiers. Pour d’autres, l’hétérogénéité des classes comporterait surtout une dimension humaine primordiale : elle permettrait principalement la rencontre de différents milieux sociaux et culturels. Dans une optique résolument alternative tournant le dos à la mixité, d’autres enfin voudraient réhabiliter le projet d’une école populaire « d’excellence », qui soutiendrait le développement d’une conscience de classe et permettrait aux élèves des classes populaires de construire une identité fière. Qu’ils soient ou non dubitatifs sur les bénéfices à attendre de la mixité sociale dans les écoles, les uns et les autres se rejoignent néanmoins sur la nécessité de réguler les inscriptions, ne serait-ce que pour une élémentaire question de principe : la possibilité de choisir librement son école ne peut être le privilège de quelques-uns.
Pour en revenir à la question du rapport au territoire, la pénurie en équipement et le déficit d’enseignants qualifiés face à la hausse démographique nous semblent inquiétants. Cette question sera abordée au sein de l’article « article 30682 ». Le fonctionnement de cette école « sous pression » provoque bien des situations outrageuses dont un parent devenu président de l’association des parents d’élèves d’une école molenbeekoise se fait le relais (voir son témoignage : « Un père retourne à l’école »). C’est entre autres à cause de la pénurie en équipements que le rapport au territoire a évolué pour les enseignants et les enfants.
Autre évolution : alors qu’auparavant l’enseignant se trouvait être également le voisin, le confident voire l’ami, il est aujourd’hui de plus en plus parachuté d’une autre commune voire d’une autre ville et se retrouve dans l’incapacité de lier les savoirs au quartier des enfants et/ou de l’école. L’ancrage local de l’école s’est perdu.
Une évolution que l’université vit également, où les enseignants/ chercheurs impliqués dans les problématiques locales disparaissent au profit d’une circulation et d’une compétition internationale des travailleurs. Un autre modèle de chercheur est né, qui a tendance à discuter avec des chercheurs du monde entier plutôt qu’avec des personnes impliquées et concernées, localement, par les sujets qu’il étudie. La compétition entre universités fait rage et met à l’honneur la distinction au travers du chiffre, gage d’excellence, telle une bonne entreprise. Le contexte et les conséquences de cette tyrannie des chiffres dans l’enseignement est développé dans l’article « Gouverner l’enseignement par et pour les chiffres » rédigé par l’Atelier des Chercheur.e.s pour une Désexcellence des Universités.
En parallèle de ce système scolaire compétitif présentant bon nombre de manquements en termes d’infrastructures, de professionnels qualifiés, d’encadrement etc., il existe des structures extra-scolaires qui tentent d’offrir du sens aux apprentissages et viennent panser les difficultés des enfants. L’école se déresponsabilise souvent de l’apprentissage des enfants de milieu populaire, les familles renvoient la balle aux écoles de devoirs qui, dans ce contexte, ne peuvent pas jouer leur rôle. « À côté de, mais avec l’École » est un article de la Coordination des Écoles De Devoirs de Bruxelles qui plaide pour une alliance éducative, un travail en complémentarité entre scolaire et extra-scolaire. Du chemin reste à parcourir, l’Université Populaire d’Anderlecht (UPA) et le Casi-uo vous éclaireront ensuite sur leur réalité de terrain et les contradictions dans lesquelles ils sont menés à exister (voir « article 30686 » et « Le regard d’une école de devoirs : l’Université Populaire d’Anderlecht »).
Finalement, que pensent les premiers concernés, les enfants, de l’école ? Des ateliers de collages ont été organisés au sein d’un groupe de sixième primaire fréquentant l’école de devoirs de l’UPA pour illustrer une revue sur l’école : ce Bem. L’occasion pour eux de faire un pas de côté et de nous faire part de leur point de vue sur l’école et ses exigences. Une bonne école c’est quoi ? Pourquoi l’école est stressante ? Leurs réponses écrites ou traduites en collage décrivent des réalités tantôt attendrissantes, tantôt violentes.
Même si elles apparaissent dans certains témoignages d’enfants, nous regrettons de ne pas avoir eu le temps de donner de la place à des associations aux prises avec la question des violences exercées par l’école sur les enfants et leurs familles, certaines situations méritant tellement d’être connues car inconcevables aujourd’hui.
Dossier préparé par Mohamed Benzaouia,
Sophie Deboucq, Stéphanie D’Haenens,
Pierre Marissal et Alice Romainville.