Construction de logement de luxe, érection de tours toujours plus hautes, démolition-reconstruction, densification à outrance, augmentation des gabarits, bétonnage de rares sites arborés… Les promoteurs immobiliers Immobel et BPI semblent être de tous les coups ou presque.
Immobel et BPI poursuivent les mêmes objectifs sur un même secteur d’activité et dans plus ou moins les mêmes régions, ce qui les rend bien semblables. Elles s’associent d’ailleurs de plus en plus fréquemment sur de très gros projets immobiliers à Bruxelles (comme Brouck’R au centre, Ernest à Ixelles ou Keywest/A’Rive à Anderlecht). Mais Immobel et BPI sont aussi des entreprises qui, dans le grand jeu de la compétition capitaliste, font tout pour se démarquer l’une de l’autre – et de leurs concurrentes. Nous dressons ici un portrait de leurs histoires singulières, et de ceux qui les possèdent et les dirigent.
Immobel est une entreprise ancienne. Créée en 1863 à Bruxelles (un certain Henri De Brouckère fait partie des co-fondateurs), elle s’appelait alors la Compagnie Immobilière de Belgique. Elle a été introduite en bourse quelques années plus tard – un moyen d’accéder aux capitaux qui financeront son développement.
L’histoire récente d’Immobel est celle d’une accélération, entamée en 2014 : cette année-là, le groupe Allfin rachète près de 30 % d’Immobel au prix de 55 millions d’euros.
Son histoire récente est celle d’une accélération, entamée en 2014 : cette année-là, le groupe Allfin – un des principaux promoteurs actifs à Bruxelles – rachète près de 30 % d’Immobel au prix de 55 millions d’euros. Allfin, c’est l’entreprise immobilière créée en 2002 par Marnix Galle à partir d’un patrimoine familial. En achetant 30 % d’Immobel, Marnix Galle devient ce qu’on appelle « un actionnaire de référence », ce qui lui permet d’entrer au Conseil d’administration de l’entreprise.
Un an plus tard, en 2015, Marnix Galle devient Président du Conseil d’Administration. Il nomme alors Alexander Hodac CEO du groupe – un jeune cadre dynamique qui a commencé sa carrière dans l’immobilier chez Deloitte puis au sein de Home Invest Belgium.
En 2016, Immobel et Allfin fusionnent en une seule entreprise. Cette fusion rend Marnix Galle propriétaire à 60 % d’Immobel, à travers sa société personnelle, A3
Management.
En 2016, Immobel et Allfin fusionnent en une seule entreprise, qui conserve le nom d’Immobel. D’après les articles publiés alors, la fusion s’apparente plutôt à une prise de contrôle d’Immobel par Allfin et plus spécifiquement par M. Galle. Et de fait, le résultat de cette fusion rend Marnix Galle propriétaire à 60 % d’Immobel, à travers sa société personnelle, A3 Management. Une opération rondement menée.
Depuis le milieu de l’année 2019, Marnix Galle qui était déjà actionnaire majoritaire d’Immobel et Président de son Conseil d’administration, en est aussi devenu l’Administrateur délégué. Il s’est ainsi nommé « Executive Chairman ».
La stratégie d’expansion lancée dès la fusion entre Immobel et Allfin a été annoncée d’entrée de jeu par Marnix Galle et Alexander Hodac, qui commentaient alors sur l’intérêt financier de l’opération et de leur stratégie :
Immobel a ainsi pu lever des capitaux en grande quantité sur les marchés financiers et grandir très rapidement en accélérant le rythme des acquisitions de terrains et en accroissant ainsi considérablement son « portefeuille de projets ». C’est aussi ce qui a fait d’Immobel une pure entreprise financière. Et si l’on en croit l’évolution du cours de bourse d’Immobel, cette stratégie s’est avérée payante.
BPI est une société à l’histoire relativement récente, la société ayant été constituée en 1989. L’acronyme BPI vient du nom originel de l’entreprise, BatiPont Immobilier. BPI est présente dans trois pays : la Belgique, qui compte pour 65 % des surfaces développées, le Luxembourg (13 %) et la Pologne (22 %). C’est dans ce pays, dans lequel BPI s’est implanté en 2008, que la croissance de son activité de promotion de BPI est la plus forte.
Rachetée par le groupe Vinci en 1999, BPI a été absorbée 5 ans plus tard par le groupe CFE. Fondé en 1880, le groupe CFE est un très grand groupe industriel belge, multinational et coté en bourse.
Rachetée par le groupe Vinci en 1999, BPI a été absorbée 5 ans plus tard par le groupe CFE [2]. Fondé en 1880, le groupe CFE est un très grand groupe industriel belge, multinational et coté en bourse. L’entreprise principale du groupe CFE est la société DEME, dont l’activité est essentiellement liée à la construction d’aménagements portuaires et de structures offshores comme des plateformes d’extraction ou des éoliennes en mer [3]. Le groupe CFE exerce aussi une activité de construction et de rail avec sa société CFE Contracting active en Belgique, au Luxembourg, en Pologne et en Tunisie. BPI Real Estate (renommée en 2017 « BPI Urban Shapers ») est le troisième pôle d’activité du groupe CFE. La chercheuse Alice Romainville notait en 2014 que « les filiales de construction du groupe réalisent systématiquement les travaux sur les projets de BPI » : à Bruxelles, on retrouve ainsi la société BPC – celle-là même qui a été condamnée à trois ans d’arrêts d’activité avec sursis pour fraude sociale [4].
BPI est un moteur majeur de rentabilité pour le groupe CFE et son principal actionnaire AvH.
En 2013, le groupe CFE est racheté par la société financière belge Ackermans & Van Haren (AvH), l’une des plus grosses capitalisations boursières de Belgique, incluse dans l’indice BEL20. AvH est l’actionnaire majoritaire de CFE, avec une participation de 62 % au capital du groupe, le second actionnaire étant Vinci, qui en détient 12 %. À la tête d’AvH, on trouve le Baron Luc Bertrand, qui est également Président du conseil d’administration du groupe CFE. Ceci s’explique notamment par le fait que le groupe CFE est la première participation du groupe AvH, qui compte par ailleurs dans son « portefeuille » les deux banques privées belges Van Breda et Delen, le groupe d’agrobusiness SIPEF actif dans les pays tropicaux, les sociétés immobilières Leasinvest et Extensa, et plus récemment des entreprises des biotechs et medtechs (voir encadré ci-contre).
Au-dessus de BPI donc, deux énormes structures capitalistes des temps modernes : une multinationale industrielle belge, CFE, elle-même détenue par une énorme société financière belge, AvH. BPI a donc une structure de propriété et de financement différente de celle d’Immobel. Par ailleurs, à première vue, BPI n’est qu’une petite pierre dans l’édifice AvH-CFE : en termes de chiffre d’affaires, BPI ne représentait en 2020 que 131 millions d’euros des 3,222 millions de chiffre d’affaires du groupe CFE – soit un petit 4 %. Mais la contribution de BPI est autrement plus conséquente en termes de rentabilité : en 2020, BPI a ainsi généré un résultat net de 13,2 millions, à comparer aux 64 millions du groupe CFE – soit une contribution de 20 % ! On peut donc affirmer que BPI est un moteur majeur de rentabilité pour le groupe CFE – et donc pour son principal actionnaire AvH.
En 2019, environ deux tiers de l’activité de promotion immobilière d’Immobel et de BPI (calculée à partir des surfaces des projets développés) était localisée en Belgique, dont une partie importante à Bruxelles. En 2021, cette proportion a baissé chez Immobel (la Belgique ne représente « plus que » 49 % du portefeuille de projets) et dans une moindre mesure chez BPI (70 % en 2019, 65 % en 2020). À titre de comparaison, les projets belges d’Atenor représentent 30 % de la surface totale des projets menés par cet autre promoteur bruxellois (20 % sont sur Bruxelles).
L’ancrage bruxellois est toujours très prégnant dans l’image que se construisent les deux entreprises. Du côté du groupe CFE, on trouve des images du projet KeyWest/A’Rive – un projet immobilier mené conjointement par Immobel et BPI au bord du canal de Bruxelles, à Anderlecht [5] – pour illustrer les présentations des résultats du groupe. Du côté d’Immobel, les photos qui illustrent le rapport annuel 2020 sont celles de rues de Bruxelles, de parkings Villo et autres installations urbaines, et bien sûr de projets qu’Immobel a réalisés ou souhaite réaliser dans la capitale.
« Groupe dont l’activité principale est le développement de grands projets immobiliers dans les secteurs des bureaux, du résidentiel, du lotissement et de loisirs en Belgique (principalement à Bruxelles), au Luxembourg, en France, en Pologne, en Espagne et en Allemagne, Immobel est le plus grand promoteur immobilier coté en Belgique en termes de capitalisation boursière. » Extrait du prospectus présentant l’emprunt obligataire lancé par Immobel en mai 2020.
Ces promoteurs sont avant tout des groupes financiers, abreuvés de capitaux venus de partout dans le monde. Pas étonnant qu’autour de nous, les tours poussent malgré le faible pouvoir d’achat des Bruxellois·es.
Ancrage bruxellois, certes, mais cette façade cache la réelle nature de ces promoteurs qui sont avant tout des groupes financiers, abreuvés de capitaux venus d’un peu partout dans le monde. Alors pas étonnant qu’autour de nous, les tours poussent malgré le faible pouvoir d’achat des Bruxellois·es.
Marnix Galle est issu d’une très riche famille belge. En 2002, il fonde une société immobilière, Allfin, à partir de l’important patrimoine familial. Allfin connaît une croissance rapide et s’impose vite comme l’un des plus gros promoteurs immobiliers belges. Dans sa thèse datée de 2014, Alice Romainville identifie déjà Allfin comme un promoteur de type « financier local » : société belge non cotée en bourse qui déploie une activité de promotion immobilière et une activité financière. Marnix Galle est alors propriétaire à 90 % d’Allfin. En partie probablement grâce à ce succès, la famille Galle était listée en 2016 comme la 69e plus riche famille de Belgique avec un peu plus de 300 millions d’euros de patrimoine. En Belgique, Marnix Galle est assez présent dans les médias, où il aime visiblement se raconter. Il se montre proche du pouvoir et ne cache pas sa proximité avec la famille royale. Son épouse, Michèle Sioen, a dirigé la fédération patronale belge (FEB). Elle est maintenant CEO de Sioen industries – une entreprise qui a fait la fortune de la famille Sioen, elle aussi à la tête d’un patrimoine estimé à 300 millions d’euros. Michèle Sioen a été faite baronne par le Roi des Belges en 2017, et depuis cette même année, Sioen et Galle sont les locataires du château du Stuyvenberg (mitoyen du Palais Royal de Laeken), ancienne résidence de la Reine Fabiola et que le couple Galle-Sioen a fait entièrement rénover « à leur goût ». Marnix Galle est un membre influent du Urban Land Institute (ULI) dont il a présidé l’entité belge de 2015 à 2018. Il est depuis juillet 2020 président d’ULI Europe, et membre de ULI Global. À ce titre, il invitait Philippe Close lors de la conférence en ligne organisée par ULI Europe pour une interview « exclusive et intime » [6].
AvH, principal actionnaire du groupe CFE auquel appartient BPI, est un groupe financier international dont le siège est à Anvers. AvH est le résultat d’une longue histoire, commencée en 1876 alors que les membres de deux familles hollandaises, Ackermans et van Haaren, s’associent et font fortune dans la construction, en pleine période d’expansion industrielle et coloniale.
AvH est aujourd’hui présidé par le Baron Luc Bertrand. La famille Ackermans-Bertrand fait partie des plus riches de Belgique avec un patrimoine estimé à près de 2 milliards d’euros en 2016. AvH et la famille Ackermans-Bertrand sont aussi citées dans les Paradise Papers et cachent – comme beaucoup de gens très riches – une partie de leur fortune accumulée dans les paradis fiscaux.
L’objectif premier du groupe AvH est de « créer de la valeur pour l’actionnaire en investissant à long terme dans un nombre limité d’entreprises avec un potentiel de croissance à l’échelle internationale » (pardonnez la prose boursière). En d’autres termes, AvH tire ses revenus des profits générés par les entreprises dont il est propriétaire et en reverse une part significative sous forme de dividendes à ses actionnaires.
AvH est propriétaire d’entreprises actives dans 5 domaines d’activités :
AvH appartient à 33 % à Scaldis Investment (qui in fine appartient à une fondation hollandaise « Het Torentjes »). Les autres 66 % forment l’actionnariat dit « flottant » du groupe : les actionnaires peuvent changer au gré des achats-ventes d’actions de AvH en bourse.
AvH a versé 78 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2020, et prévoit de leur verser 77 millions en 2021.
[1] Les investisseurs institutionnels sont des organismes collecteurs d’épargne dont les engagements et/ou les actifs sont régis par un texte législatif ou réglementaire. Voir l’article de ce dossier « L’argent coule à flot », p. 16-18.
[2] Suite à cette opération, Vinci est devenue actionnaire du groupe CFE, dont il détenait 12 % des actions en 2020.
[3] 3. Le groupe CFE a annoncé en début d’année 2021 qu’il se scinderait en deux, avec le groupe DEME et ses activités industrielles d’un côté, et le groupe CFE et ses activités de promotion immobilière et de construction de l’autre. L’annonce a particulièrement excité les investisseurs.
[4] Voir l’enquête du journal coopératif Médor, « Une claque historique pour un géant de la construction », juin 2020.
[5] Voir l’encadré « Le projet Key West/A’Rive,
un fameux rent gap ! » p. 12 de ce dossier.
[6] Lire Making Brussels a Capital City for 500 Million Europeans sur le site de Urbanland