Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Habitants d’eau douce au bassin de Biestebroeck

Une petite communauté de bateaux-logements est installée à la Digue du Canal à Anderlecht. 22 péniches s’y sont établies en résidence
permanente et constituent l’unique zone d’habitat fluvial à Bruxelles.

© Gwenaël Breës - 2021

De mémoire de batelier, il y avait déjà des péniches sur ce quai à la fin de la dernière guerre. A cet endroit, la largeur du canal permettait à des péniches de se garer le long de la berge tout en laissant les bateaux se croiser sans difficulté.
Les premiers à s’établir le long du canal furent d’anciens bateliers qui transformaient leurs cales en espace habitable. Certaines péniches ont 5 mètres de large et permettent un cloisonnement en chambres et lieux de vie assez spacieux. Petit à petit, d’autres gens ont racheté le bateau des anciens bateliers et commencé à aménager les quais devant leur résidence.

Le Port de Bruxelles étant propriétaire des quais, chaque péniche payait un loyer au pro rata de sa longueur. Mais dans les années 80, le Port a
décidé de mettre fin a cet arrangement sous prétexte que ces péniches faisaient tache dans le paysage, en raison surtout de bateaux poubelles qui traînaient là sans entretien.

Cette décision du Port a poussé tous les habitants des péniches à se défendre au sein d’une association qui s’est appelée Défense de l’Habitat
fluvial et son Environnement. Les habitants ont commencé à négocier tous ensemble avec le Port et ils ont obtenu un contrat de concession
qui gère l’espace entre les deux ponts Paepsem et Marchand et fixe un montant annuel qui est divisé entre différents locataires en fonction de la
longueur de leur bateau.

Comme d’autres demeures mobiles, les bateaux sont considérés comme du logement à part entière pour autant qu’ils ne soient pas destinés
à la navigation de plaisance ou commerciale. A Bruxelles, toutes les péniches qui se trouvent dans le bief ne peuvent être destinés qu’au logement. Ce statut de bateau-logement implique que l’occupant a le droit de se domicilier dans la commune où se trouve sa résidence principale, c’est-à-dire là où il vit la plus grande partie de l’année. Les occupants de la Digue du Canal sont donc légalement inscrits au registre de la population de la commune d’Anderlecht.

À Bruxelles, les péniches peuvent néanmoins se déplacer, c’est le cas pour les vacances ou pour les réparations. De même, ils peuvent recevoir la visite d’autres péniches venant d’autres sites de bateaux-logements, dont le plus proche est celui de Ronquières. Contrairement à la Wallonie où les lieux et le nombre de bateaux-logements sont plus importants, les péniches bruxelloises sont rassemblées en un même espace et ont un seul interlocuteur pour les négociations sur les conditions de leur habitat. Celles-ci portent surtout sur les questions de sécurité, de salubrité et d’entretien des abords. Extrêmement minoritaire à Bruxelles, l’habitat fluvial n’est pas traité particulièrement par le Code du Logement. Mais les bons contacts avec la principale autorité publique, le Port de Bruxelles, ont permis de résoudre les problèmes au fil du temps. Par exemple, les équipements, inexistants dans les années 70, se sont développés progressivement. Le raccordement à l’électricité ne date que de 1998. Le téléphone est venu par après, et plus récemment Internet a été installé gratuitement.

Mais le contexte de spéculation immobilière sur les abords du canal pourrait remettre en question la zone d’habitat fluvial. Des projets de logements de standing font leur apparition au bassin de Biestebroeck.

Le projet de PRAS démographique envisage de transformer une partie de cette zone d’industries urbaines au bord du canal en zone d’entreprises en milieu urbain (zone mixte où les terrains industriels pourraient être réaffectés pour partie en logements et bureaux). Sur cette disposition du PRAS, la CRD (Conseil régional de Développement) a remis un avis mitigé soucieux de préserver les espaces industriels à Bruxelles. Dans le même sens, le Port de Bruxelles voudrait garder la maîtrise des quais le long du canal pour les fonctions liées au transport fluvial et pas pour du logement de luxe.

Paradoxalement, les habitants des péniches sont protégés par leur environnement peu adapté à l’implantation de nouveaux logements à cause de la pollution des sols. Pour créer des marinas, des tours et de grands projets immobiliers, l’opération de dépollution des sols nécessiterait des investissement qui devraient dissuader la réaffectation des sites industriels. Par ailleurs, les abords du canal et du boulevard Industriel sont placés en zone Seveso, c.à.d. zone où sont implantées des installations de dépôts de carburants susceptibles de provoquer des accidents de grande ampleur. Cet environnement est compatible avec l’habitat fluvial mais pas avec un projet immobilier.

Les péniches pourraient donc encore longtemps flotter à l’ombre des activités du canal.

Mohamed Benzaouia
et Almos Mihaly