Le « réaménagement » d’une section du ring devrait faire l’actualité de cet automne. L’étude des différentes alternatives retenues, qui est en passe d’être coulée dans deux rapports (incidences environnementales et analyse coûts/ bénéfices), devrait en effet rouvrir ce dossier presque vingtenaire. Face à un projet essentiellement autoroutier, quelle sera l’attitude des autorités bruxelloises, historiquement peu bavardes sur le sujet ? [1]
L’élargissement du ring, qui fait partie du programme plus général « Werken aan de ring », concerne un tronçon d’une vingtaine de kilomètres qui va de l’échangeur de Grand-Bigard (E40 vers Gand) à celui de Zaventem (E40 vers Louvain). Les travaux, justifiés par la Région flamande au nom de la fluidité du trafic et de la sécurité routière, devraient commencer en 2024 – du moins si le calendrier présenté devant le parlement flamand en décembre 2019 devait être respecté.
Le terme « élargissement » (verbreding), que certains partisans du projet utilisaient encore en 2009 [2], semble avoir disparu du vocabulaire officiel, au profit de termes comme « optimalisation » ou « réaménagement ». Pourtant, l’élargissement de l’infrastructure découle de l’objectif principal des travaux : scinder le trafic local du trafic de transit. En effet, séparer ces flux sans élargir l’autoroute reviendrait à baisser drastiquement l’espace dévolu à la circulation automobile (numériquement plus importante que le trafic de camions), ce qui irait à rebours de l’objectif de fluidification du trafic. Le lien entre scission des flux et élargissement est du reste explicité par la société anonyme qui pilote le programme, De Werkvennooschap. Dont le porte-parole, en réaction au fait qu’un élargissement de la portion orientale du ring est impossible parce qu’elle traverse une zone Natura 2000 (la forêt de Soignes), a affirmé : « Ce n’est de toute façon pas un axe où il est nécessaire de séparer le trafic de transit du trafic local ».
C’est un dédoublement du ring qui devrait concrétiser cette séparation des flux, dédoublement envisagé par deux des trois alternatives actuellement à l’étude. La première prévoit l’aménagement de bandes de circulation parallèles au ring, réservées au trafic local. La deuxième envisage également des bandes séparées, mais d’un seul côté du ring et sous la forme d’un « boulevard urbain » accessible à d’autres modes de transport. Ne prévoyant pas de scission des flux, l’alternative dite « light » prévoit de supprimer certaines sorties afin de réduire les accidents, eux aussi source de congestion.
Plusieurs indices laissent penser que l’option légère ne passera pas la barre des différentes évaluations – mais nous espérons être démentis. D’une part, on imagine mal le gouvernement flamand abandonner l’objectif de scission des flux, qui accompagne le projet d’élargissement depuis plus de quinze ans. D’autre part, il y a moins d’un an, la programmamanager de « Werken aan de ring » n’a pas hésité à affirmer devant la commission mobilité du parlement flamand que les alternatives qui prévoyaient peu d’aménagements, et aucune augmentation de capacité, ne constituaient pas une piste « réalisable » (haalbaar). L’alternative « light » ne serait-elle qu’un ornement sur lequel les bureaux d’études travailleront inutilement ? [3]
Toute augmentation de capacité entraînant tendanciellement une hausse du trafic [4], nul doute qu’un élargissement n’empêchera pas la congestion de réapparaître. On nous rétorquera que « Werken aan de ring », qui vise à améliorer l’« accessibilité multimodale » de Bruxelles et sa périphérie, ne peut être réduit à un projet autoroutier. Sont prévus, en effet, l’aménagement de pistes cyclables et la mise en service de trois lignes de tram (Brabantnet). On peut néanmoins douter de leurs effets sur la charge automobile, puisqu’il ne suffit pas de soutenir d’autres modes de transport pour faire baisser le recours à la voiture [5]. Par ailleurs, les nouveaux trams, concentrés dans la périphérie nord, ne devraient régler que marginalement les enjeux posés par la navette. Si à ces doutes on ajoute le fait que l’autoroute se taillera la part du lion budgétaire, il n’est pas exagéré d’affirmer que la communication officielle s’appuie sur un véritable blanchiment multimodal [6]. Sans parler, évidemment, des tentatives attendues d’éco-blanchiment (greenwashing) [7].
Quant à la pollution atmosphérique, gonfler la capacité du ring l’augmentera immanquablement. Mais l’infrastructure étant situé en territoire flamand, les émissions ne sont pas (encore) quantifiées par le dispositif de la Low Emission Zone bruxelloise et on peine à mettre la main sur des études prospectives. On peut néanmoins se référer à un travail du bureau d’études Transport & Mobility Leuven, qui a calculé en 2012 qu’un élargissement coûterait 78 millions d’euros supplémentaires au contribuable, alors des mesures visant à réduire le trafic routier et la pollution (dont le péage urbain ou la taxe kilométrique) permettraient à la collectivité d’économiser 378 millions en soins de santé. On peut également s’attendre à une hausse des nuisances dues au trafic aérien [8], « Werken aan de ring » étant indissociable du sort de l’aéroport « national » qui projette d’augmenter son activité [9]. † Toute augmentation de capacité entraîne tendanciellement une hausse du trafic.
L’« optimalisation » du ring nord est essentiellement présentée par De Werkvennootschap dans les termes du transport de personnes. Or, le chantier à venir, étroitement lié à la stratégie flamande en matière de « développement » économique, concerne tout autant le transport de marchandises et le secteur de la logistique. Il n’est en effet pas inutile de rappeler que le dossier du ring a connu un coup de fouet suite à l’élaboration du plan START de 2004, dont l’un des principaux objectifs était d’améliorer l’accessibilité de l’aéroport de Zaventem [10].
Forte de la localisation de Bruxelles-National et d’un port industriel (Anvers), la Région flamande table depuis les années 1970 sur le développement des secteurs du transport et de la logistique – qui pèsent plus de 10 % de son PIB. Consistant à tirer parti du rôle de plaque tournante de la Belgique et de l’explosion des échanges internationaux favorisée par la conteneurisation de l’économie, cette stratégie a connu une accélération ces dernières années. En juillet 2016, le gouvernement flamand décide d’augmenter la capacité du port d’Anvers de 7 millions de containers supplémentaires [11] ; en novembre 2016, les propriétaires de l’aéroport, des fonds d’investissement internationaux, présentent leur « vision stratégique » à l’horizon 2040 qui prévoit entre autres l’extension de l’infrastructure ; enfin, en décembre 2019, la Flandre devient actionnaire de l’aéroport via sa société d’investissement (Participatiemaatschapij Vlaanderen).
Le renforcement de ses deux principaux pôles économiques, associée à sa spécialisation logistique, expliquent pourquoi la Flandre s’est récemment aventurée dans des projets d’infrastructure parfois pharaoniques [12]. Quant à la scission/spécialisation des flux permise par l’élargissement du ring nord, dont ses partisans escomptent qu’elle fluidifiera les flux de marchandises, elle constitue l’un des volets « bruxellois » les plus significatifs de la stratégie économique de la Flandre [13]. Présenter « Werken aan de ring » au prisme unique du transport de personnes, c’est occulter certaines implications du projet économique flamand, notamment celles qui renvoient à l’extension programmée de Zaventem et à ses immanquables nuisances supplémentaires.
Il y a un peu plus de deux ans, nous avons déploré l’absence de réaction de la Région au « plan d’exécution spatial régional » concocté par le gouvernement flamand [14]. En sera-t-il de même lors de la publication des prochaines études, prévue à l’automne ? Dans sa déclaration de politique régionale, l’exécutif bruxellois en place depuis juillet 2019 affirme être « opposé à un élargissement en tant que tel » tout en étant ouvert à « une optimalisation sous conditions ». Propos qui suscitent une impression ambivalente, tant le terme « optimalisation » constitue un élément de langage. À l’instar de certains parlementaires flamands, la Région aurait-elle succombé à la magie des relations publiques [15] ?
Quoi qu’il en soit, en théorie, une augmentation de la capacité du ring ne semble pas contradictoire avec les recommandations du dernier plan de mobilité (Good Move). En partie inspiré du modèle dit « radioconcentrique », selon lequel le trafic de transit est orienté vers des axes de rocade pour réduire sa présence dans les centres urbains [16], le dernier PRM assume une augmentation de la charge automobile sur le ring. De ce point de vue, « optimalisation » du périphérique et « apaisement » des quartiers ne sont-ils pas complémentaires ? La question est légitime, parce qu’à moins de réaliser un report modal significatif à une échelle pertinente (ici le bassin d’emploi bruxellois), toute réduction du trafic de transit dans des espaces plus ou moins centraux intensifiera nécessairement la charge automobile sur les axes importants et les autoroutes. Cet aménagement du territoire à deux vitesses, qui « apaise » ici pour mieux asphyxier ailleurs, IEB n’avait pas manqué de le dénoncer à l’occasion de l’enquête publique relative à Good Move.
La Flandre s’est récemment aventurée dans des projets d’infrastructure parfois pharaoniques.
Quant aux conséquences d’un élargissement sur l’économie bruxelloise, elles semblent a priori ambivalentes. À première vue, le « réaménagement » du ring, comme en témoigne son imbrication avec le plan START (développement de la zone de l’aéroport), participe pleinement d’une logique de concurrence inter-régionale. Nos règles fiscales incitent en effet les entités fédérées à rivaliser pour inciter les entreprises à s’implanter sur leur sol et les détenteurs de capitaux d’y investir. De ce point de vue, la RBC est déjà mal embarquée : depuis au moins dix ans, elle « perd » des entreprises au bénéfice de la Flandre, à l’exception des secteurs de l’assurance et des services financiers.
Ceci dit, ces délocalisations industrielles pourraient ne pas être contradictoires avec le projet de ville esquissé dans le Plan régional de développement durable, où l’accent est placé sur l’« économie de la connaissance ». Bruxelles se rêverait-elle en épicentre tertiaire et technologique, qui déléguerait à la Flandre l’intendance (production industrielle, transport, logistique) ? Dans ce cas, il est à craindre que la Région (et certaines communes) ne s’accommode d’un élargissement du ring. À plus forte raison si elle compte améliorer par-là l’accessibilité de certains « axes de développement économique » (canal, petite ceinture est) et « pôles de développement prioritaires » (Porte d’Ostende, campus VUB-Laerbeek, Heysel, Site ex-OTAN, Reyers, campus UCL de Woluwe) [17].
Quant à la communication bruxelloise au sujet du ring, « concertation » en est l’un des maîtres-mots. Cette disposition au dialogue est tout à fait pertinente au regard du caractère inter-régional des enjeux soulevés par le ring et son « réaménagement » à venir. Régler les problèmes de congestion, et plus largement améliorer la mobilité dans et autour de la RBC, impose de raisonner au niveau du bassin d’emploi bruxellois et de ses infrastructures.
Plusieurs freins interrogent cependant l’utilité et la portée potentielles d’une telle concertation : la Communauté métropolitaine (2012) est une coquille vide récemment torpillée par la cheffe de groupe de la NV-A bruxelloise ; les récentes demandes de régionalisation portées par le premier parti flamand concernent entre autres la mobilité, ce qui donne une indication quant aux concessions qu’il est prêt à faire en la matière ; enfin, appuyé par la logique néolibérale de concurrence généralisée entre territoires infra-nationaux (villes, régions), notre fédéralisme fiscal 18 semble peu à même de favoriser une véritable concertation, qui pour être pertinente suppose un minimum d’égalité.
Au-delà de ces assertions, force est de constater que plusieurs dossiers inter-régionaux ont peu avancé ces dernières années, notamment l’intégration tarifaire des opérateurs et le développement du RER. Du reste, le sort du transport public en lien avec l’aéroport et plus largement la périphérie nord (Brabantnet côté flamand, tram 62 et métro 3 côté bruxellois) ne semble pas avoir été élaboré selon une logique « métropolitaine ».
Les autorités bruxelloises s’opposeront-elles à une augmentation de la capacité routière ? Le cas échéant, elles pourraient s’appuyer sur des mobilisations susceptibles d’être réactivées par les deux études en cours de finalisation. À la fin des années 2000, une plateforme regroupant IEB, le BRAL, IEW, BBL et Greenpeace se constitua en opposition à l’élargissement ; en 2013, 2015 et 2018, les Jettois·es dénoncèrent l’impact d’un élargissement sur le bois du Laerbeek, zone Natura 2000 et « îlot de biodiversité exceptionnel » (Bruxelles-Environnement). Face à un projet rétrograde et incohérent avec l’intention de réduire la congestion, la Région Bruxelles-Capitale aura-t-elle l’audace de s’armer de sa « société civile » ?
Les autorités bruxelloises pourraient s’appuyer sur des mobilisations susceptibles de revenir au premier plan.
[1] L’intégralité des sources utilisées est disponible à l’adresse https://ieb.be/45534
[2] Notamment Sven Gatz (ministre bruxellois du budget) alors qu’il siégeait au parlement flamand.
[3] En tout cas, le gouvernement flamand semble avoir intégré l’une des revendications du secteur associatif, à savoir l’élaboration et l’étude d’une « alternative 0 » qui ne procède qu’à des aménagements limités.
[4] Mis en lumière il y a plus de 50 ans, ce constat contre-intuitif (le « paradoxe de Braess ») n’est pas l’apanage des discours critiques, même des économistes libéraux ont établi sa validité. Selon Erik Grietens (Bond Beter Leefmilieu), un rapport émanant du gouvernement faisait état du « retour » des files suite à l’élargissement. En 2008, le directeur du bureau d’études Stratec évoquait un délai de 5 à 10 ans suite aux travaux.
[5] Il convient en revanche de rendre les autres modes de transport plus attractifs que la voiture.
[6] De manière générale, les occurrences du mot « multimodalité » dans les plans et politiques publics semblent augmenter plus vite que ne baisse la part modale de la voiture. Le terme serait-il le (nouveau) masque de la (vieille) réticence à opérer un véritable arbitrage entre modes de transport ?
[7] Devant des parlementaires flamands, le précédent ministre des travaux publics a fait grand cas de l’écoduc qui devrait relier les versants du bois du Laerbeek, qui permettra même « aux lapins les plus corpulents » de traverser le ring. Quant au site consacré aux travaux et les brochures d’« information » destinées au grand public, ils dégoulinent de vernis vert : mise en scène de la pratique du vélo (notamment via les réseaux sociaux), dégradés et végétation pour colorer schémas et graphiques, nature luxuriante qui enserre une autoroute rendue anecdotique…
[8] Alors que les infractions à l’arrêté « bruit » (1999) sont déjà en augmentation, et ce depuis au moins début 2018.
[9] « L’extension de Bruxelles-National décolle en pleine tempête », Bruxelles en mouvements, no 306, mai-juin 2020.
[10] Élaboré suite à la délocalisation de DHL vers Leipzig, le « Plan d’action stratégique de reconversion et d’emploi pour l’aéroport national de Zaventem » vise entre autres à développer les parcs d’entreprises et élaborer des mesures visant à assurer à celles-ci une main d’œuvre adéquate.
[11] La consultation publique relative à cette extension a débuté le 27 juillet et se clôture le 11 septembre 2020, donnant la mesure de la « participation » espérée par le gouvernement flamand.
[12] Comme le bouclage du périphérique anversois (Oosterwelverbinding), dont le budget a dépassé les 3 milliards d’euros.
[13] L’élargissement du ring présente également une dimension stratégique européenne dans le cadre du marché unique et du développement des « réseaux trans-européens de transport ». Ce qui explique pourquoi des subsides européens ont été accordés à la Flandre afin de financer les études sur le « réaménagement du ring ».
[14] Lire sur notre site : « Élargissement du ring : le silence radio de la Région », août 2018.
[15] Lors d’une des rares auditions de De Werkvennootschap (décembre 2019), les parlementaires de l’opposition siégeant en commission mobilité n’ont, sauf erreur, jamais prononcé le mot « élargissement ». Plusieurs d’entre eux ont en revanche largement salué le caractère « multimodal » du projet.
[16] Le plan de circulation du Pentagone s’inspire lui aussi de ce modèle.
[17] Voir la carte 8 du PRDD. 18. Selon lequel c’est le lieu de résidence/ d’implantation qui détermine la perception des impôts, et qui explique le sous-financement chronique de la RBC. En 2013, alors qu’elle contribuait à 18,4 % de la valeur ajoutée nationale, la RBC ne pouvait se prévaloir que de 6,1 % des revenus nets imposables.