La commune de Schaerbeek a confié la gestion de ses 10 derniers Contrats de quartier à l’asbl RenovaS. Une exclusive contestée par des habitants des quartiers concernés qui, depuis des mois, pointent les dysfonctionnements financiers et le déficit démocratique de cette « revitalisation urbaine ». Exposé d’enquête.
Alors que le site web de RenovaS [1] vante le succès de ces Contrats de quartier en terme de participation des habitants, de création d’emplois, de logements sociaux et de dynamisation du tissu associatif, les habitants des quartiers pointent les dysfonctionnements dans la gestion des Contrats. Afin de fédérer les forces de cette critique citoyenne, Démocratie Schaerbeekoise [2] et IEB organisaient, le 19 mai dernier, une « assemblée citoyenne » au cœur du quartier Helmet. À l’ordre du jour : « les Contrats de quartier et les marchés publics ». Une cinquantaine d’habitants répondaient présents à cet appel. Ce fut l’occasion pour les habitants et certains travailleurs du tissu associatif local d’exposer les fruits de leur enquête sur les aspects nébuleux de la gestion des Contrats de quartier réalisés entre 2009-2015. Dans la foulée, ils en appellent à un audit citoyen des Contrats de quartier à l’échelle de la Région bruxelloise.
Des projets-phares
La commune aime marquer les quartiers d’un aménagement public « phare », symbole des réalisations du Contrat de quartier. Cette volonté d’architecte ne répond pourtant pas à un aménagement nécessaire ou souhaité par les riverains.
La passerelle de la « Cage aux Ours », place Verboekhoven, aménagement de l’espace public réalisé dans le cadre du Contrat Navez-Portaels (2009-2012), a été présentée comme un projet créateur de lien dans le quartier. Son utilité est contestée par de nombreux habitants : elle est perçue comme inutile et donc peu empruntée, (faire le tour de la place ne pose pas de problème), et mal conçue (elle a d’ailleurs été longtemps fermée pour cette raison – son revêtement est par exemple glissant). De son côté la commune parle d’un « geste architectural » pour créer une « perspective vers la maison communale » dont le coût élevé (600 000 €) embarrasse les riverains : en quoi cet investissement sert-il ce quartier populaire ?
De la même façon, la suppression de l’Ancienne place du Jeu de balles au square Apollo (Contrat de quartier Helmet 2011-2014) fâche les habitants. Unique grande place publique du quartier, elle constitue un espace central de convivialité pour les riverains, souvent locataires d’appartements exigus. Elle est utilisée pour des jeux de ballons et équipée d’un module de jeux d’enfants (que la commune laisse se délabrer) et de trop rares bancs. Un beau potentiel de départ. Dès 2010, RenovaS réunit des groupes de travail de riverains pour rédiger un projet de « 4 500 m² d’espace récréatif verdurisé et convivial ». Les représentants des riverains, locataires des tours de logement social, insistent sur un problème récurrent : les enfants n’ayant pas d’espace dédié pour jouer, frappent leurs ballons sur les murs des immeubles. L’Ancienne place du Jeu de balles, écartée des tours Apollo doit donc accueillir un espace de jeux ainsi qu’un espace de détente séparé, sécurisé et fermé en soirée, pour la tranquillité de tous.
Les groupes de travail mettent également en doute l’intérêt du maintien d’un forain proposant une fois l’an des machines à sous alors que des ronds-points voisins accueillent déjà des forains. En 2013, c’est la consternation : un bureau d’architectes hollandais, avec qui les riverains n’ont jamais pu discuter, est sélectionné pour un projet fort éloigné des demandes exprimées par les habitants. L’Ancienne place du Jeu de balles est remplacée par un terre-plein non accessible (si ce n’est aux chiens) à côté d’un espace minéral dédié au forain (lequel est le protégé d’un échevin). Aucun espace de jeux n’est prévu pour les enfants ! La réduction substantielle des places de parking autour de la place pose également problème. Actant que les architectes réalisent ce que les échevins leur demandent sans tenir compte des demandes exprimées, les membres-habitants encore actifs de la Commission de Quartier décident de déposer un recours au Conseil d’État contre ce projet non désiré. L’affaire est pendante.
Cependant, cette absence de collaboration entre architectes et riverains n’est en rien une fatalité. Le parc de la place Bonnevie à Molenbeek illustre un très beau succès d’aménagement participatif. La longue lutte du quartier a finalement abouti à ce qu’associations, riverains et architectes travaillent main dans la main pour aménager un magnifique espace de détente pour les familles. La maison de quartier Bonnevie et la division « espace vert » de l’IBGE ont d’ailleurs chacune publié le récit du succès de cet aménagement.
À Schaerbeek, un témoignage d’une habitante du Contrat de quartier Jérusalem (2003) rappelle que « par le passé, il y avait une réelle concertation avec l’échevine Christine Smeysters sur les questions de réaménagement d’espaces publics. Elle organisa même un référendum pour le réaménagement d’une rue ».
Surfacturation des marchés publics ?
Les coûts de réaménagement de places publiques et de rénovation de bâtiments posent également question dans les récents Contrats de quartier schaerbeekois. Ainsi, le coût total du réaménagement du square Apollo dans le cadre du Contrat de quartier Helmet s’élève à 1 500 000 €, ce qui est nettement plus élevé que celui de places similaires réaménagées hors Contrat de quartier à Schaerbeek. La place Van Ysendijk a coûté 350 000 €, la place Foucart 450 000 € pour des espaces de jeux plus importants. Autre incohérence : le square Apollo avait déjà été remis à neuf quatre ans avant le début du Contrat de quartier. Les pierres, en très bon état, n’avaient pas besoin d’être remplacées.
Dans les quatre derniers Contrats de quartier schaerbeekois, le coût des rénovations de bâtiments pour y aménager des appartements assimilés au logement social et des crèches sont intrigants. Combien de logements sociaux ont pu être créés ? Assez peu. En choisissant de privilégier des bâtiments passifs, le coût des rénovations fait plus que doubler, réduisant d’autant le nombre de logements que l’on peut rénover.
Si la facture d’énergie d’un appartement en sera fortement diminuée, jamais cette diminution ne compensera un surcoût allant jusqu’à 200 000 € pour la rénovation d’un appartement. Même observation pour une crèche : vu le manque de places de crèche disponibles à Bruxelles, vaut-il mieux une crèche passive ou trois crèches classiques très bien isolées pour le même prix ?
Voici quelques chiffres par projet que nous avons obtenus à force de demandes répétées, bravant les réticences administratives. Quartier Navez-Portaels : 3 appartements passifs pour 1 519 000 € ainsi que 5 autres appartements passifs pour 1 618 000 €. Quartier Coteaux-Josaphat : 7 697 582 € (50 % du Contrat de quartier) pour la rénovation passive d’une crèche de 36 lits, 8 appartements et un local de co-accueil pour 14 enfants. Quartier Helmet : 2 426 657 € pour une rénovation passive d’une crèche de 48 lits, 3 appartements et un local de co-accueil.
Cette préoccupation pour l’environnement est, par ailleurs, toute relative. Dans les chantiers du Contrat de quartier « durable » Helmet, RenovaS a « oublié » de prévoir un budget pour le désamiantage des logements sociaux rénovés. Conséquence ? Les travaux de désamiantage ont été effectués sauvagement sans aucun permis d’environnement. Suite aux alertes des riverains et locataires, à l’intervention de la presse et de l’inspection régionale, un permis d’environnement amiante fut finalement demandé… un an après la passation du marché public.
La commune aime marquer les quartiers d’un aménagement public « phare », symbole des réalisations du Contrat de quartier. Cette volonté d’architecte ne répond pourtant pas à un aménagement nécessaire ou souhaité par les riverains.
Participation en berne… bénéficiaires absents
Pourquoi les bénéficiaires supposés (milieux populaires) désertent rapidement les réunions ? En 2010 et 2011, les deux réunions de démarrage des Contrats de quartier Coteaux Josaphat et Helmet ont connu un franc succès : plus de 80 personnes de toutes conditions sociales s’y étaient retrouvées avec de nombreuses questions et demandes (emploi, salles de sport, locaux, logement). Les réponses souvent bureaucratiques des autorités à cet enthousiasme initial (« Ce n’est pas le moment », « C’est trop tôt », « La procédure veut que ») ont eu tôt fait de comprendre qu’il ne s’agissait pas de « participation » mais d’« information » sur des projets décidés ailleurs. La participation aux réunions chuta drastiquement et l’intérêt de sacrifier ses soirées à des réunions où l’on ne se sent pas écouté ne sembla plus opportun aux habitants. « À quoi ça sert ? De toutes façons ils décident ce qu’ils veulent. »
À l’issue de la première année, les milieux populaires, bénéficiaires supposés de cette manne de 15 millions d’euros, ont quasiment disparu des réunions. Reste alors une Commission de Quartier peuplée majoritairement de responsables institutionnels ou des associations subsidiées. Quelques habitants bien informés (et proches des partis politiques locaux) continuent eux à venir accompagnés d’un ou deux « résistants » qui y croient encore. Dans ces conditions, le processus échappe aux populations du quartier qui devraient en bénéficier. Autre manquement, les procès verbaux des réunions sont rarement disponibles en ligne (pourtant demandé à Coteaux-Josaphat), leur rédaction est sous le contrôle total de RenovaS qui ne se prive pas d’en expurger ou d’édulcorer les remarques gênantes d’habitants. Pourtant on constatera que d’importants moyens financiers permettent d’organiser tout autrement la participation de ces quartiers peuplés de plus de 15 000 habitants.
Opacité des sommes en jeu
S’agissant d’argent public, n’est-il pas sain que les citoyens concernés demandent tout de go « Combien ça coûte ? Pour quel résultat ? » À Schaerbeek (contrairement à Bruxelles-Ville), le coût détaillé de chaque projet subsidié n’est pas disponible en ligne. Seuls des montants globaux par volet sont disponibles et la commune n’a jamais donné suite à nos demandes des budgets détaillés.
Pourtant les moyens d’organiser la participation ne manquaient pas. En plus du chef de projet permanent que la commune délègue à RenovaS (250 000 € sur 5 ans), un projet spécifique pour organiser la participation et une permanence sont attribués à la même association RenovaS pendant 4 ans. Coût pour le Contrat de quartier ? 564 000 € à Coteaux-Josaphat, 575 000 € à Reine-Progrès, 350 000 € à Navez-Portaels et 336 000 € à Helmet, souvent un des plus gros subsides du volet socioéconomique. Il faut encore ajouter 250 000 € à l’enveloppe du Contrat de quartier pour 3 h/ semaine de conseil en rénovation (!), tâche déjà assumée normalement par RenovaS.
Pour éviter ce rôle de « juge et partie » rien n’interdit, dans les ordonnances régionales, que la participation soit organisée par une entité indépendante du pouvoir communal. Au lieu de créer des emplois chez RenovaS, on pourrait très bien imaginer que cette somme serve à défrayer des habitants bénévoles (experts de leur quartier) chargés d’inciter leurs voisins à participer à des sous-groupes de travail. Beaucoup d’associations démultiplient leur impact en défrayant des bénévoles au lieu de consommer tout leur budget uniquement en salaires plein temps. À Schaerbeek, Darna asbl, bien implantée en milieu populaire, le réalise avec succès. Une idée pour le futur ? L’analyse du subside total perçu par RenovaS pour quatre Contrats de quartier (Reine-Progrès, Coteaux-Josaphat, Helmet et Navez-Portaels) montre qu’il pèse 40 % à 60 % de l’enveloppe budgétaire globale du volet 5 (initiatives économiques et sociales). Le reste de l’enveloppe étant destiné à subsidier d’autres associations de terrain dont certaines, pilotées par des échevins, sont également bien dotées. Mais qui va évaluer l’utilisation de ces subsides ? On voit mal des autorités communales porter un regard critique sur l’utilisation des subsides qu’elles attribuent à des structures où elles siègent.
Œuvre exogène contre emploi endogène
Certains projets socio-économiques sont déconcertants. La commune impose des partenaires bien lointains pour des projets qui laissent perplexe. Un photographe résidant à Knokke facture 78 000 € un livre de 40 photos d’habitants ainsi qu’une boule en osier qui ne survivra qu’une saison (Helmet). Des animations autour d’extraterrestres construisant une fusée sont budgétées 156 000 € (Coteaux-Josaphat). Un artiste de Rhode- Saint-Genèse organise quatre buffets de « salade bio annuelle » pour 102 000 € (Helmet). L’objectif serait-il de procurer un revenu à une connaissance des gestionnaires du Contrat de quartier ? Y aurait-il des chasseurs de primes autour des Contrats de quartier ? En tout cas, l’aspect dérisoire et coûteux de ces projets imposés de l’extérieur contraste fort avec le travail de fond des associations ancrées dans les quartiers qui, avec des moyens similaires, mobilisent les habitants à une bien plus grande échelle.
Citons pour conclure l’emploi local que les Contrats de quartier devraient stimuler. L’ampleur des chantiers d’un Contrat de quartier devrait permettre de créer des emplois « ouvriers » pour le quartier. Or, il n’en est rien. L’autorité communale se retranche derrière la « liberté des entrepreneurs » pour ne pas faire pression sur ceux-ci et ne pas les contraindre à respecter l’arsenal des clauses éthiques ou sociales à disposition. Il semblerait qu’un des premiers Contrats de quartier à Forest (années 90) a pu relever le défi en engageant les jeunes du quartier dans les chantiers créés. Des pistes qui vaudraient la peine d’être prises en compte.
Pour aller plus loin Main mise sur les villes, un documentaire de Claire Laborey et Marc Evreux, 2013, 90 minutes. À l’ère de l’hyperurbanisation et des expropriations massives, où en est la démocratie urbaine et comment se positionnent les pouvoirs publics ? De Paris à Istanbul en passant par Berlin ou Copenhague, ce film interroge la manière dont se construit la ville et la place qu’y occupent les citoyens. |
[1] Il est à noter que le conseil d’administration de RenovaS est dirigé par des échevins schaerbeekois.
[2] Démocratie schaerbeekoise – www.demoscha.be – mouvement pluraliste et indépendant de tout parti, est né en 1988 sous le coup de la réélection de Roger Nols, bourgmestre d’extrême-droite. Depuis lors, le mouvement qui rassemble 150 membres n’a de cesse de suivre la politique communale de près et veille à la diffusion des infos recueillies lors des séances des conseils communaux.