Thierry Kuyken – 20 janvier 2014
Les villes ont un rôle central dans le domaine de la santé. Lieux d’attraction pour la population qui vient y chercher travail, services, logement..., elles cristallisent logiquement les difficultés sociales et concentrent les sources de nuisances.
La santé c’est d’abord la non-maladie. C’est la qualité de vie et tout ce qui tourne autour. L’environnement et le mode de vie des personnes sont dans ce sens les premiers facteurs influençant la santé. Agir à ce niveau, c’est en somme agir au niveau de la prévention et de la protection des personnes. C’est là que l’on peut éviter la maladie ou plus précisément diminuer les risques de maladie en agissant sur des facteurs tels que les nuisances, les comportements individuels, l’immunité,...
La santé c’est bien évidemment aussi les soins curatifs et la prise en charge des personnes malades. L’organisation d’un système de soin de santé et surtout aussi son accessibilité sont autant d’éléments qui vont avoir une influence considérable sur l’état de santé des habitants. Les chiffres et les témoignages montrent clairement que face à certaines difficultés d’accès (d’ordre financier, géographique, d’horaires,…), les personnes malades auront tendance à ne pas consulter de médecin ou à reporter les soins nécessaires avec, souvent, à la clé une dégradation de leur état général [1].
L’OMS donne une définition de la santé dans laquelle toutes les variables autour du bien-être sont prises en compte [2]. L’individu y est placé au centre du système. Si les critères minimum sont évidents (paix, nourriture, éducation,...), il est fondamental de comprendre qu’il est nécessaire de travailler de manière transversale sur tous les piliers de la santé. Dans cette approche, il ne suffit donc pas d’améliorer simplement la qualité de l’environnement ou le niveau d’équipement des hôpitaux, il faut agir sur tous les plans en même temps : éducation, emploi, logement, accès aux services, prise en charge, coûts,...
Les inégalités sociales, encore elles...
Au premier plan des facteurs influençant la santé des personnes, nous retrouvons les difficultés socio-économiques des ménages [3]. Que ce soit au niveau préventif ou de la prise en charge de la maladie, les ménages ne sont définitivement pas égaux devant la santé. Ce sont, de fait, les moins riches qui se verront contraints d’occuper les moins bons logements, dans les moins bons quartiers, ou les logements du quartier les plus exposés aux nuisances telles que le bruit de la circulation par exemple.
S’il en a toujours été ainsi à Bruxelles, la tension a largement augmenté de ce point de vue ces 20 dernières années. Ceci est dû à la fois à une plus grande précarisation de la population bruxelloise et à une hausse très considérable des prix des loyers sur cette même période. Il en résulte une situation plus préoccupante que jamais, du fait que le budget d’un nombre croissant de ménages ne peut plus assumer le coût du logement. Pour pallier ce problème, les ménages les plus pauvres sont de plus en plus souvent amenés à sur-occuper leur logement ainsi qu’à réduire leurs dépenses dans d’autres domaines, y compris ceux pourtant essentiels comme les soins de santé, une nourriture saine, des activités physiques ou créatives pour les enfants,...
La ville comme déterminant pour la santé ?
Les chiffres l’attestent, la santé des Bruxellois est moins bonne que celle des Wallons et des Flamands [4]. Au sein de notre région, il existe par ailleurs des disparités très importantes entre quartiers et communes. Ces disparités sont expliquées en partie par la qualité de l’environnement (au sens large) qu’offrent ces différentes zones, mais encore plus par les différences dans la composition de la population entre ces zones en termes d’âge ou de situation socio-économique. Et il est clair que les communes bruxelloises sont relativement typées de ce point de vue.
A titre d’exemple, la composition de la population d’une commune comme Ixelles qui héberge beaucoup de jeunes actifs diffère fortement de celle d’une commune comme Ganshoren qui abrite majoritairement une population d’origine belge, mais vieillissante, ou encore d’une commune comme Molenbeek qui est très largement composée de personnes issues de l’immigration avec un taux de natalité important [5]. Toutes ces catégories de personnes sont loin d’être égales en termes de santé et présentent par ailleurs des besoins bien spécifiques à divers niveaux : accueil pour la petite enfance, emplois, calme, sécurité, aménagements des espaces publics,...
Ce n’est donc pas tant le lieu ou le quartier qui va déterminer le niveau de santé, mais plutôt la composition de sa population. Néanmoins, ne perdons pas de vue que le cadre de vie des personnes a aussi un impact sur la santé et que ce sont les personnes les moins nanties qui se retrouvent confinées dans les quartiers ou plutôt les logements qui cumulent le plus de facteurs négatifs. Le fait d’insister sur le logement plutôt que sur le quartier est essentiel, car c’est au niveau du logement que l’on retrouve les principales difficultés (insalubrité, sur-occupation, bruit, isolation,...).
Il n’y a en réalité pas de bons et de mauvais quartiers en soi. Tous les quartiers bruxellois vont présenter des facteurs positifs et négatifs en termes de santé. Les quartiers périphériques ont beau être mieux du point de vue du calme, de la qualité des logements ou de l’accès aux parcs et espaces verts,... ils sont par contre moins favorables pour le contact social ou pour l’accessibilité des services que les quartiers centraux.
Quelles pistes d’action ?
L’amélioration de la santé des Bruxellois passe nécessairement par une action à tous les niveaux. Pour ce qui est de l’environnement urbain, l’ensemble du territoire mériterait sans doute d’être pris en compte avec une panoplie de remèdes spécifiques à la fois pour pallier les besoins manquants et pour gommer les nuisances présentes à l’échelle locale. Bien sûr, au vu des inégalités sociales et territoriales, il y a lieu de fixer des priorités absolues en faveur des situations les plus critiques. Le tout, en prenant grand soin d’éviter que les politiques menées ne conduisent, par l’amélioration de l’environnement d’un quartier, à l’éviction des ménages les plus fragiles, ce qui reviendrait tout bonnement à déplacer « le problème » vers un autre quartier ou en dehors de la ville.
Mais l’essentiel du travail doit être orienté vers les personnes et en l’occurrence celles qui, du point de vue de la santé, sont en situation de fragilité. Cela passe bien sûr par des éléments comme le renforcement du rôle des maisons médicales dans les quartiers populaires [6] ou par un meilleur accès aux soins pour tous ou encore des politiques de prévention dans les écoles..., mais cela passe aussi et avant tout par l’amélioration de la situation socio-économique des personnes et en particulier du point de vue du logement et de l’emploi.
L’impact du logement
Si les facteurs influençant la santé sont effectivement multiples et dépendent largement des moyens financiers des personnes, il ressort des témoignages que nous avons pu récolter tant auprès des professionnels du secteur qu’auprès des publics concernés que certains facteurs sont plus déterminants que d’autres. C’est entre autres le cas du logement.
Un bon logement, sain, adapté à la situation familiale et au budget du ménage est effectivement une condition sine qua non pour une meilleure santé des personnes. Cet aspect est d’autant plus important chez les personnes économiquement fragilisées. En effet, nombreuses sont celles qui passent le plus clair de leur temps chez elles, faute d’activité professionnelle, de liens sociaux ou simplement parce qu’elles s’occupent des enfants,....
L’impact du logement sur la santé est double. Premièrement, une personne ou un ménage peut se sentir bien ou non dans le logement qu’il occupe. Cet aspect recouvre non seulement des éléments objectifs — tels la taille du logement vis-à-vis de la taille du ménage, la luminosité, l’isolation,... — mais aussi subjectifs. Cette dimension aura un impact considérable sur la santé mentale des personnes, ce qui aura à son tour des conséquences sur leur santé physique et sur leur mode de vie. Deuxièmement, le logement a un impact important sur la santé des personnes qui l’occupent au travers des sources de pollutions intérieures. Celles-ci ne sont pas toujours perceptibles, ce qui peut conduire à une exposition de plusieurs années et donc gravement impacter la santé.
La présence de ces pollutions intérieures est due à une multitude de facteurs comme la présence de produits nocifs dans l’isolation du bâtiment, dans les meubles ou dans les peintures et autres vernis, l’utilisation de produits toxiques pour l’entretien, la fumée de tabac, les appareils électroménagers au travers des émanations et des ondes qu’ils propagent,...
Si certaines sources de nuisances peuvent être combattues facilement, d’autres le sont nettement moins et une bonne aération du bâtiment est dès lors la seule solution afin d’amener un renouvellement de l’air confiné par de l’air extérieur. Selon un rapport de Santé-habitat [7], il serait empiriquement prouvé qu’un polluant à l’intérieur d’un local aurait mille fois plus de chances d’atteindre les poumons d’une personne que les polluants libérés à l’extérieur. Et comme nous passons plus de 50% de notre temps, soit au minimum 12 heures par jour pour certaines personnes, dans des endroits clos, on voit immédiatement l’impact que ceci peut avoir sur notre santé.
[2] La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Voir l’analyse publiée sur notre site en 2013 : « Maisons médicales. Quand santé rime avec quartier ».