À l’arrière de grillages, de talus de chemin de fer ou de coins de rues méconnus se cachent parfois des espaces créés ou recréés, gérés ou maintenus, gardés du coin de l’œil par de fervents défenseurs de la nature, occupés par des collectifs en expérimentation, des habitants en voyage ou des enfants en apprentissage.
La « nature en ville » se dévoile dans les « espaces verts » ou « semi-naturels », mais nous pouvons la découvrir également au gré des friches, potagers, rues, balcons ou intérieurs d’îlots qui sont habités par cette nature fourmillante. Différentes mains s’affairent car ces espaces de nature sont aujourd’hui incapables de subsister sans interventions. Les différentes formes de nature demandent notre protection active et ne subsistent plus sans notre bienveillance. Alors qu’on s’évade pour rêver la ville, la penser, il est pertinent de donner des espaces aux êtres qui constituent la nature. De nos interactions avec ces êtres et ces espaces découlent nos rapports avec la nature. Ces rapports, nous devons les penser.
Actuellement, à Bruxelles, nombre de projets émanent de la volonté de sauvegarder des espaces de nature dans la ville en traçant un chemin qui leur est propre. Mettons nos pas dans deux d’entre eux.
Espaces vecteurs de problématiques renforcées
Une initiative a fait son apparition dans le quartier européen : la « friche Eggevoort ». Jouxtant le parc Léopold, ce projet est le fruit de différentes graines. La friche sert de terrain à diverses activités : des cultures dans des cassettes vidéos, la création d’une mare, une spirale d’aromatiques, des activités en collaboration avec la Zinneke Parade autour des plantes sauvages ou avec les Nouvelles Rivières Urbaines visant à harmoniser les cycles de l’eau avec la réalité urbaine, etc. Les habitants regroupés sous le collectif PUM [1] occupent les lieux dans une démarche participative mais se réunissent également autour d’enjeux urbains relatifs au quartier.
À travers leur participation à ce projet, les citoyens ont su se rendre sensibles à la pluralité des problématiques et des acteurs, tendant à dépasser les distinctions entre nature et urbanité, entre Région et Quartier, entre institution et citoyenneté. La réappropriation de la friche s’impose comme un moyen d’expression, d’expérimentation de savoirs et techniques, et d’action. S’y croisent différentes compétences, qui se nourrissent mutuellement, ce qui a permis à la mobilisation de se renforcer et de s’étendre. Plus la friche devient complexe, plus il y a de liens, plus les projets se superposent, et plus la participation devient solide. C’est dire l’importance de préserver de tels espaces à l’heure d’une urbanisation intense du quartier européen !
Quelles limites d’accès pour quelle nature ?
À quelques kilomètres de là, à Schaerbeek, le parc Walckiers, situé sur le site du Moeraske, a vécu quelques agitations récemment. A l’initiative de Bruxelles Environnement, une demande de permis d’urbanisme a été déposée pour permettre l’ouverture du parc aux visiteurs, l’aménagement d’une piste cyclable offrant un passage à la promenade verte et l’installation d’une plaine de jeux. Le site du Moeraske compte 14 hectares et propose une promenade ouverte de 2 km, tandis que le parc Walckiers compte 4,5 hectares et est ouvert au public uniquement via des visites guidées organisées par la CEBE [2], gestionnaire du site depuis un peu plus de 20 ans.
En effet, la biodiversité particulière du parc Walckiers demande elle aussi une gestion constante, et n’existerait sans doute plus si le parc était soit totalement ouvert soit laissé à lui-même.
L’ouverture partielle au public d’un espace semi-naturel comme le parc Walckiers, avec des infrastructures adéquates et une gestion adaptée permettant le maintien de cette biodiversité, facilite le développement d’une sensibilité vis-à-vis de l’environnement. L’accès « balisé » aux espaces verts en milieu urbain est un moyen de susciter un intérêt pour la nature et in fine de dégager un terrain propice au désir de protection de ceux-ci. Motiver les habitants à préserver des espaces de nature à proximité de leur lieu de vie passe par une bonne information à propos de la biodiversité en présence sur des lieux ouverts au public ainsi que par un travail de multiplication des formes de réappropriation de la nature en ville.
À la friche Eggevoort, il s’agit d’introduire collectivement de la biodiversité dans un parc de la ville dense, tandis qu’au parc Walckiers, il est question d’apporter un usage social dans un site semi-naturel. Il existe plusieurs modes d’agir autour des objets et des lieux qu’on qualifiera de « naturels ». Dès lors, il semble nécessaire de dépasser la vision parcellaire de la « nature en ville » en travaillant les représentations que nous alimentons à son sujet, d’apprivoiser collaborativement cette nature multiple et de tendre vers une vision plurielle des modes d’agir sur ces espaces de nature. C’est donc en poussant la coexistence de différentes façons d’être et modes d’action que la pluralité des formes de natures pourra se construire. Nous pouvons alors avancer qu’une valorisation diversifiée de la nature ira de pair avec un changement de perception de ces espaces naturels, de notre capacité à nous les réapproprier et donc de les protéger.
Nicolas Prignot
et Sophie Deboucq
[1] Projet Urbain Maelbeek. Voir : http://pumproject.wordpress.com.
[2] Commission de l’Environnement de Bruxelles et Environs asbl.