Bruxelles veut se doter du plus grand piétonnier d’Europe, de la plus grande prison et du plus grand centre commercial de Belgique. Elle veut aussi accueillir le stade de foot le plus rapidement conçu, et ce, quel que soit le nombre de zéro allongeant la facture !
Mai 2013, nos ministres réunis à Ostende décidaient en conciliabule de construire un nouveau stade de foot (et donc de démolir le stade Roi Baudouin) sur le parking C, un terrain de 30 hectares appartenant à la Ville de Bruxelles situé entre les palais du Heysel et le Ring de Bruxelles, en Région flamande. Objectif annoncé : participer à la coupe de l’Euro 2020.
Ce choix opéré hors de tout débat démocratique n’aura de cesse d’être questionné par les acteurs non associés à la prise de décision. Pourquoi construire un nouveau stade alors que, de 1994 à 2000, 60 millions d’euros ont encore été investis dans la rénovation du stade Roi Baudouin pour participer à l’Euro 2000 ? Le Royal Sporting Club d’Anderlecht (RSCA) en train de rénover et d’agrandir son stade sera-t-il d’accord de migrer dans le nouveau stade, seule condition (nécessaire mais pas suffisante) pour espérer une éventuelle rentabilité de l’infrastructure ? La Région flamande souhaitera-t-elle accueillir le stade sur son territoire et, si oui, à quelles conditions ? Que deviendra la prestigieuse compétition d’athlétisme du Mémorial Van Damme dès lors que le nouveau stade ne sera pas doté d’une piste d’athlétisme (trop chère) ? La Région wallonne verra-t-elle d’un bon œil que le stade national soit situé en Région flamande ? Comment compenser les 10 000 places de parking sises sur le terrain convoité ? Alors que la Belgique compte déjà six stades de foot qui soutiennent la comparaison au niveau européen, quel est le sens de créer un nouveau stade très coûteux ?
Ville et Région avancent main dans la main et se gardent bien de fournir des réponses trop précises à toutes ces questions. Le plus grand flou règne sur l’opération et notamment ses règles de financement. Les rois du stade sont Alain Courtois (échevin des Sports à la Ville de Bruxelles, MR), Yvan Mayeur (bourgmestre de la Ville, PS), Rudi Vervoort (ministre Président de la Région, PS) et Guy Vanhengel (ministre du budget de la Région, VLD).
Aligner les zéros !
Le nouveau stade devrait faire 60 250 places (contre 50 000 places pour le stade actuel) dont 10 % de VIP. Coût annoncé 300 millions d’euros. La construction devrait s’achever le 1er juin 2018 selon l’accord passé avec le consortium Ghelamco-BAM [1] désigné provisoirement en mars 2015. À l’époque, le Ministre régional du budget affirmait à qui voulait l’entendre que « la construction du stade se ferait sans intervention publique ». Le 12 mai, la Ville confirmait la désignation du consortium et annonçait au Parlement bruxellois, à la veille des vacances, un accord entre celui-ci, la Ville de Bruxelles et le RSCA. Même ceux qui soutenaient jusqu’ici le projet d’un nouveau stade VIP furent subitement pris de doute. En effet, l’accord prévoit que la Ville déboursera chaque année 4 millions d’euros HTVA (ce qui fait près de 5 millions avec la TVA ). En contrepartie de cet investissement conséquent, la Ville disposerait d’un infokiosque, de 469 m² de bureaux, de 668 m² de surfaces de stockage, de 1 250 places gratuites dont 250 en loges business, et enfin, du droit d’organiser un événement non commercial par an…
Face aux nombreuses voix qui s’élèvent contre un tel déséquilibre dans les valeurs d’échange, Yvan Mayeur oppose que la Ville payait déjà 4 millions d’euros chaque année pour entretenir le stade Roi Baudouin. Outre que ce fait n’est pas démontré, l’idée de déléguer le stade au privé était justement une façon pour la Ville de se délester de cette charge financière dont elle se plaignait. Sans compter que l’exploitation de l’infrastructure lui fournissait par ailleurs des rentrées. Désormais il s’agira de payer les charges de la rentabilité à un investisseur privé.
Distorsion sur toute la ligne
La disproportion de l’accord au détriment de la Ville est d’autant plus choquante que le terrain est propriété de la Ville et qu’elle le met à disposition sous bail emphytéotique de 99 ans contre un canon symbolique de ... 1 euro ! Il est évident qu’en échange de ce « don », la Ville aurait dû avoir les avantages susmentionnés sans devoir délier les cordons de la bourse. Or l’accord est conclu pour trente ans et prolongeable deux fois quinze, soit un engagement financier total de 300 millions d’euros majoré de l’indexation. Obnubilées par leur volonté de participer à l’Euro 2020 et coincées par le poids de l’engagement pris, nos autorités dilapident l’argent public au moment où tout un chacun est sommé de se serrer la ceinture.
Il se susurre que la Ville éponge la partie du loyer que le RSCA ne voulait pas payer. En effet, ce dernier est propriétaire du stade Constant Vanden Stock et va aller louer cher un nouveau stade. La nécessité de sa venue lui laisse, contrairement à la Ville, les coudées franches dans la négociation avec Ghelamco. Ainsi le RSCA aurait fait raboter le loyer proposé par le consortium, lequel se serait retourné contre la Ville pour régler le manque à gagner. Ce scénario suscite l’ire des clubs de football concurrents : c’est de l’argent public pour soutenir un club professionnel. La commission européenne par une décision du 22 novembre 2014 avait autorisé les Régions flamande et bruxelloise à aider à certaines conditions les clubs de football de divisions 1 et 2. Mais l’aide maximale est plafonnée à 10 % de l’investissement avec un maximum de 2,5 millions d’euros. Pas sûr que l’opération en cours soit exempte de toute distorsion.
Les zéros collatéraux
Les frais publics liés au stade ne s’arrêtent évidemment pas à l’annuité prévue dans l’accord. La Ville a déjà dépensé un million d’euros en frais d’étude. Une telle infrastructure nécessitera en outre par la force des choses une amélioration de la desserte du site. Le futur stade se trouve à 1 kilomètre de la station de métro actuelle. Certes personne ne se risque à promettre que le métro ira jusqu’au stade et au nouveau parking en 2020 d’autant que la Région s’est déjà engagée, de longue date, dans la réalisation de l’axe de métro nord-sud d’ici le milieu de la prochaine décennie. Prolonger la ligne de métro alourdirait la note de 100 millions d’euros. Mais il faudra en tout état de cause financer un nouveau parking C ; on parle de 12 000 places dont 3 000 devraient servir de parking de transit. Le coût est estimé à 165 millions d’euros : 40 millions pour la Région, 40 millions pour la Ville et 85 millions pour un opérateur privé à définir. À ces coûts, on ne manquera pas d’ajouter ceux liés au maintien de la sécurité publique pendant l’exploitation du stade. Car si le stade sera géré par le privé, ce sont bien les services de police de la Ville qui assureront le service d’ordre.
Hors piste
Non contentes de dilapider l’argent public, la Ville et la Région hypothèquent sérieusement aussi, par leur choix, l’avenir du Mémorial Van Damme qui s’organise dans le stade actuel depuis 1977. Alain Courtois et Guy Vanhengel avaient prétendu mordicus que le stade actuel ne serait pas détruit sans solution de rechange pour l’événement. Or fin juin, ils s’engageaient à démolir le stade pour 2020 sans qu’aucune piste alternative d’hébergement ne se dessine. Toutefois, sous la pression, le 13 juillet, Alain Courtois s’engageait à nouveau à ne pas démolir le stade Roi Baudouin tant qu’il n’aurait pas trouvé une solution pour le Van Damme. Encore faudrait-il que les politiques concernés le suivent, un nouveau stade d’athlétisme ne sera jamais pris en charge par le privé. Outre la prestigieuse compétition, c’est l’Excelsior, le plus grand club de Belgique d’athlétisme qui héberge 3 000 athlètes qui se retrouvent aussi sans piste.
Rénover le stade actuel aurait permis de maintenir le stade en Région bruxelloise, de garder sa proximité avec la station de métro, de préserver la piste d’athlétisme et de faire de sacrés économies. Selon le bureau d’architecture Goedefroo, une rénovation aux normes de l’UEFA du stade Roi Baudouin avec 60 000 places aurait seulement coûté 110 millions d’euros. Mais la Ville n’est pas demandeuse d’un tel scénario. Elle sait que son projet de centre commercial NEO n’est pas compatible avec le maintien d’un stade [2]. C’est pourquoi elle préfère taxer ceux qui critiquent le nouveau stade et le projet NEO d’être en cheville avec la N-VA , communautarisant systématiquement ainsi le dossier, ce qui lui permet de ne pas répondre sur le fond à la pertinence des critiques et des arguments soulevés.
Pour les rois du stade les choses sont pliées : « Il y a eu les élections, les gens ont déjà voté pour NEO. Je ne veux pas prendre les habitants en traître. Les choses sont déjà décidées. Vous avez voté pour. On ne peut plus revenir en arrière sur NEO. Le PPAS vient bétonner des décisions politiques déjà prises. » [3]. Et Alain Courtois de renchérir à propos du stade : « Les deux premières phases ont été validées et on ne fera pas marche arrière, il n’y a pas de plan B. » Décidément le plateau du Heysel est un tremplin pour les rêves capricieux et coûteux de nos édiles.
[1] Important développeur immobilier ayant érigé le stade de Gand en 2013 (20 000 places), leader sur le marché du bureau et doté d’un chiffre d’affaire de 55 millions EUR en 2014.
[2] Voir l’article « Neo, l’offre sans la demande » dans le Bruxelles en mouvements n° 272, septembre-octobre 2014.
[3] Philippe Close, échevin du tourisme de la Ville de Bruxelles lors de la matinée d’information sur le PPAS Heysel du 28 février 2015.