Calendrier oblige, l’enquête publique sur le projet de station de métro « Toots Thielemans » qui devrait être située sous l’avenue de Stalingrad, a propulsé le dossier de la nouvelle ligne 3 dans la campagne électorale.
La station « Toots Thielemans » est un maillon indispensable pour la mise en service d’une ligne de métro Albert-Nord en 2024, prolongée vers Bordet à l’horizon 2030. La mise en doute, par le parti Écolo, de certaines modalités de mise en œuvre du projet a donné lieu à une véritable contre-offensive politico-médiatique pour défendre celui-ci coûte que coûte (1,8 milliards d’euros quand même, grand minimum). En effet, vu les réserves émises par les nouveaux collèges de la Ville de Bruxelles et de Saint-Gilles, la Région, le Fédéral (via Beliris) et le reste du monde politique sont montés au créneau afin de s’assurer que les travaux puissent commencer avant les prochaines élections. D’ailleurs, à en croire le Ministre Pascal Smet, le consensus dépasserait le monde politique puisque « tous les experts disent qu’il faut ce métro » [1]. Quant aux commerçants du quartier Stalingrad, ceux-ci sont présentés comme étant favorables au projet hormis quelques irréductibles, réduits soit à des personnes instrumentalisées par les associations et leur « opposition idéologique » au métro, soit à des défenseurs de leurs intérêts particuliers à court terme contre l’intérêt général à long terme.
Pour entendre parler des intérêts particuliers à long terme, ceux des bétonneurs et foreurs de tunnels qui se frottent les mains devant des travaux lourds, longs et coûteux, il aura fallu attendre l’obtention du permis et un retour au calme médiatique plus propice à la réflexion qu’aux discours de campagne électorale. Ce sont justement des experts, ainsi que des anciens collaborateurs de la STIB, qui ont alors pris la parole pour dénoncer l’opacité et les conflits d’intérêts présents dès le début dans ce dossier, en appelant même à une « remise à plat » complète [2]. Étude d’opportunité et de réalisation confiée au même bureau d’étude (ce qui pousse celui-ci à conclure à l’opportunité s’il veut décrocher le marché des autres tranches de l’étude), technique de construction en tunnelier mono-tube définie avant toute étude comparative (et qui correspond comme par hasard à la technologie que possède l’une des entreprises du consortium chargé d’étude), grosses incertitudes sur le budget, absence de coordination et de réflexion de fond, la liste des interrogations est longue...
Entre le début de l’enquête publique et l’obtention du permis, un certain nombre de projets de lignes de tram qui prenaient la poussière dans les cartons de la Région se sont soudainement retrouvées en chantier (ligne Tour et Taxis, prolongation du tram 7…), permettant au passage de démentir la ligne « tout au métro » qui prévalait jusqu’alors.
Ces revirements ont sans doute permis d’adoucir les oppositions communales au projet de la STIB et de la Région. En parallèle, nous apprenions en revanche que l’automatisation du réseau de métro existant était mise entre parenthèse par la STIB, les budgets nécessaires ayant été transférés vers le métro Nord. À partir de maintenant, le même sort sera-t-il réservé à d’autres projets plus judicieux d’amélioration et de développement du réseau ?
Pour masquer les mauvaises décisions politiques d’hier, le débat d’aujourd’hui s’enferme dans des considérations exclusivement techniques. Ainsi la station « Toots Thielemans » est jugée indispensable car l’accès à l’actuelle station Lemonnier depuis la gare du Midi n’est techniquement possible que pour un tram, pas pour une rame de métro. Qu’importe que la part modale en transport en commun des employés du quartier soit déjà de 90% ou que cette station à 200 millions d’euros ne permettra d’attirer que 37 (!) embarquements de plus qu’actuellement à l’heure de pointe du matin, les éléments qui devraient guider la décision sont renvoyés au statut de considérations accessoires.
Quant aux commerçants, loin d’être convaincus, ils étaient présents en nombre à la Commission de concertation du 19 décembre dernier pour dénoncer notamment, quatre heures et demie durant, l’absence de considération à leur égard. Alors que le projet demande de réquisitionner les caves du Palais du Midi afin de creuser là où se trouvent aujourd’hui leurs cuisines ou leurs espaces de stockage, aucun accord écrit n’avait été conclu avec eux au moment où le projet entrait à l’enquête publique.
Difficile de ne pas constater deux poids, deux mesures quand à quelques kilomètres de là, à Uccle, les commerçants de la chaussée d’Alsemberg forcent la STIB et la Région à revoir le planning du remplacement des rails du tram 51 afin de ne pas voir leur chiffre d’affaire diminuer.
Car au centre-ville, non seulement le chantier pour le métro contribuera à réduire l’attractivité du commerce pendant de longues années mais une fois le projet terminé, celui-ci entraînera une hausse des valeurs immobilières avec un fort risque de gentrification qui touchera également les habitants. Une double peine pour ceux qui demandent aujourd’hui de négocier collectivement au sein d’un cadre clairement défini et non pas individuellement, de manière semi-informelle.
Pour mieux faire passer la pilule de cette chronique d’une mort annoncée, la STIB et la Région promettent de faire du chantier « une attraction touristique, avec une expo Toots Thielemans » [3], accompagné d’un habillage dynamique pour éviter les traditionnelles clôtures bleues et jaunes. Du côté de ceux qui devront (sur)vivre au milieu de l’événementiel et de la poussière, on ne peut que constater l’incapacité à être entendus et à obtenir des garanties transparentes, établies en concertation, sur la préservation de leur quartier. Un tel décalage devrait inspirer à la Ville comme à la Région la mise en route d’un autre chantier : celui de repenser la démocratie locale. Une entreprise qui, comme dans le cas du soutien aux commerçants, demandera bien plus qu’un simple habillage chromatique différent.
Inter-Environnement Bruxelles
[1] « Pascal Smet (SP.A) : ‘Il faut du métro à Bruxelles mais pas partout’ », Le Soir, 21/01/2019.
[2] Lire l’opinion de Frédéric Dobruszkes (ULB, vice-président de la Commission régionale de la mobilité), Michel Hubert (USL-B et ULB, responsable académique de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles- Capitale), Christian Kesteloot (KU Leuven) et Pierre Laconte (secrétaire général honoraire de l’Union internationale des transports publics – UITP) : « Dossier mal ficelé, décision biaisée : l’urgente remise à plat du projet Métro Nord ».
[3] Ibid. note 1.