La décision du gouvernement de ce 6 février 2023 de ne plus octroyer le tarif social « gaz et électricité » aux personnes bénéficiaires de l’intervention majorée (statut BIM) est une grave atteinte à la lutte contre la précarité énergétique. Des milliers de ménages qui, grâce à cette mesure de protection, se maintenaient de justesse au-dessus du seuil de pauvreté risquent de se voir propulsés sous celui-ci, à cause de l’augmentation soudaine de leurs factures d’énergie.
À titre d’exemple, et pour une illustration concrète, le consommateur moyen bruxellois qui perd le droit au tarif social verra sa facture annuelle d’électricité passer de 1.071 € à 1.176 €. Pour le gaz, elle passera de 673 € à 1.739 €. Sa facture mensuelle pour les deux énergies s’élèvera donc à 242 € au lieu de 145€. Ces estimations se basent sur les prix de février, en chute par rapport aux mois précédents, faut-il encore que ceux-ci ne s’envolent pas à nouveau. De plus, elles ne valent que si ce consommateur choisit le contrat le moins cher.
Les réductions progressives annoncées (application du tarif social à 75 % pendant le second trimestre 2023 et à 25 % jusqu’au 1er septembre 2023) ne représentent qu’un pansement rudimentaire et ne sont pas à la hauteur du risque majeur pour les ménages concernés. Au 1er septembre 2023, ce sont 400.000 ménages – en difficulté budgétaire pourtant - qui perdront définitivement la protection essentielle qu’est le bénéfice du tarif social « énergie ».
Déjà avant le début de la crise de l’énergie, nos organisations revendiquaient l’élargissement permanent du tarif social à tous les bénéficiaires du statut BIM. Cette recommandation était par ailleurs également portée par la Plateforme de lutte contre la précarité énergétique de la Fondation Roi Baudouin, qui fédère tous les acteurs du secteur de l’énergie (fournisseurs, régulateurs, CPAS, secteur associatif de lutte contre la pauvreté…) des trois régions. Mieux encore, nous souhaitons que ce tarif soit octroyé sur la base des revenus du ménage et ce de façon automatique, en complément de l’octroi actuel sur la base de statuts sociaux.
Nous pensons en effet que le tarif social ne doit pas être vu comme une mesure ponctuelle pour faire face à des crises successives, mais bien comme une mesure structurelle d’aide ciblée aux ménages précarisés pour leur permettre d’avoir accès à ce droit fondamental qu’est l’énergie. Il s’agit donc de s’assurer que les ménages puissent continuer à mener une vie digne, au regard de l’augmentation des coûts des autres postes de leur budget (loyer, alimentation, mobilité, etc.).
Les personnes les plus précarisées ont encore moins la possibilité que les autres de faire jouer la concurrence, par manque de temps ou de connaissance. Le tarif social leur garantit un prix régulé, le plus bas du marché, les protégeant de la volatilité du marché. Le tarif social présente d’autres avantages, en comparaison à d’autres mesures sociales qui pourraient être imaginées. Il s’applique sur toute la consommation d’énergie, tenant ainsi compte des besoins énergétiques du ménage sans pénaliser ceux vivant dans des logements à faible performance énergétique. Il s’applique automatiquement, dans toutes les factures et auprès de tous les fournisseurs, réduisant le risque de non-recours. Enfin, il est fixé par le régulateur fédéral. Son montant est donc protégé vis-à-vis des changements budgétaires ou de politique sociale.
Vu les avantages du tarif social, nous demandons au Gouvernement fédéral de rectifier le tir et de pérenniser l’octroi du tarif social à tous les bénéficiaires du statut BIM une fois pour toutes. Cette pérennisation doit impérativement être couplée à des mesures structurelles qui touchent au fonctionnement même du marché de l’énergie : blocage des prix, taxation des surprofits des producteurs, fourniture et production publiques, etc. Autant de possibilités qui permettraient de limiter la responsabilité financière de l’État, qui prend actuellement en charge le coût du tarif social. Les producteurs d’énergie ont engrangé des bénéfices historiques, ils doivent contribuer plus largement à ces efforts. Les aides publiques ne doivent pas servir à financer les actionnaires des entreprises, mais bien à permettre aux ménages qui en ont besoin de sortir la tête de l’eau.