Stakeholders
- et sa traduction française parties prenantes
; Au pluriel car ils vont toujours au moins par deux, les stakeholders
ne sont ni « des porteurs de pieu » ni, pour une oreille malicieuse, « des porteurs de steak » mais bien « des acteurs
, individus ou collectif (groupe ou organisation), activement ou passive- ment concernés par une décision ou un ; c’est-à-dire dont les intérêts peuvent être affectés positivement ou négativement à la suite de son exécution (ou de sa non-exécution) ».
C’est un « mot emblème », ou un buzzword
de l’eurospeak
; ce langage en vogue dans les institutions européennes et, dans tous les projets
subsidiés par l’UE, notamment dans le cadre de la promotion du développement durable
(autre buzzword
). La définition peut séduire, elle permet de mettre plein de gens dans l’affaire, et en somme, nous sommes tous, tous, tous des stakeholders
... (à chanter avec l’accent d’Arno) C’est un mot « commode » qui nous évite de devoir énumérer tout un tas de gens et de groupes – les entreprises, les gens, les institutions, les poissons des rivières, les rats des champs... – dont le mode de vie serait affecté par un projet
. Évidemment, éviter de les énumérer, c’est aussi, les gommer un peu, donc, il doit être utilisé avec beaucoup de prudence.
Par ailleurs, la notion réduit aussi les gens à des personnes « dont les intérêts peuvent être affectés » ; soit dans une vision commerciale et utilitariste des rapports politiques.
Le terme vient d’ailleurs du langage de la finance : en anglais, il est associé au « jeu d’argent », puis est utilisé grosso modo comme le synonyme d’actionnaire (Shareholders) jusque dans les années soixante où il prend le sens actuel et s’installe dans les stratégies de management commercial. En gros, il s’agit de « bien » cibler le client du projet
. Le terme est rentré dans les sciences politiques par un chercheur américain, Edward Freeman et sa « Strategic Management : A stakeholders
Approach » en 1984. Douze ans plus tard, Tony Blair l’introduit dans le champ politique européen via son projet
politique de « stakeholder
Society », « troisième voie », un mix entre les préoccupations d’inclusion sociale, d’avancement dans l’échelle sociale en fonction du « mérite » et la liberté d’entreprendre.
Depuis 2010, le terme est devenu commun en français sous sa traduction partie prenantes
. Le terme français existe depuis longtemps mais comme adjectif appartenant au champs lexical du « droit financier » (CNTRL) et dans l’expression, « il fait partie prenante du problème », au sens de « il participe du problème ». L’adjectif et l’expression ont été « substantivés », et désigne donc tout ceux qu’il est indispensable de convoquer aux débats des enjeux de société.
Olivier Starquit, « Des mots qui puent », Édition du cerisier 2018.
Ce livre, issu d’un recueil de chroniques publiées dans le journal de la CGSP, est un inventaire non-exhaustif de mots auxquels nous sommes tous plus ou moins confronté. De gouvernance à consensus en passant par populisme, l’ouvrage déconstruit méthodiquement l’usage de ces différents termes afin de montrer les rapports de domination qu’ils induisent et les visions qu’ils contiennent. Au travers de ce livre, l’auteur nous invite à nous réapproprier le langage afin d’en faire un vecteur d’émancipation.
Hélène Reigner, Thierry Brenac, Frédérique Hernandez, « Nouvelles idéologies urbaines, Dictionnaire critique de la ville mobile, verte et sûre », Presses Universitaires de Rennes, 2013.
L’ouvrage retrace les transformations urbaines depuis les cités de la fin des trente glorieuses jusqu’à l’avènement récent des villes durables, dotées de dispositifs (boulevard urbain, vélo en libre-service...) et de slogans (le choix modal) devenu incontournable. Au travers de vingt-six concepts répertoriés dans leur dictionnaire, les auteurs déconstruisent la neutralité technique de ces dispositifs tout en montrant comment ces derniers sont source de discrimination sociale et spatiale.