Où retrouve-t-on majoritairement des oppositions aux projets de logements sociaux à Bruxelles, et quels arguments y sont avancés ? Cet article propose une cartographie de ces conflits, une analyse des arguments utilisés ainsi que l’étude de deux cas emblématiques : le Chant des Cailles et les Dames Blanches.
Le stock actuel de logements sociaux avoisinant les 40 000 unités, il ne permet absolument pas de répondre aux besoins de la population. Le gouvernement régional cherche donc des solutions, notamment pour en construire davantage. Cependant, le territoire de la Région étant limité, les terrains encore non bâtis se font rares dans la ville. Ces terrains font donc l’objet d’une forte concurrence, notamment entre les projets de logements (majoritairement privés) et la préservation des espaces verts et de biodiversité. Lorsque des terrains font l’objet de visions trop différentes pour l’avenir, des conflits peuvent émerger entre différents acteurs institutionnels ou issus de la société civile. C’est notamment le cas pour des projets de constructions de logements sociaux, y compris sur des terrains publics appartenant à la SLRB et donc spécifiquement destinés à la construction de ce type de logements.
Nous nous intéressons ici aux projets de logements sociaux bloqués en raison de conflits au niveau local. Conflits souvent portés par des riverains et soutenus par les pouvoirs communaux en place. La carte ci-dessous montre en rouge la géographie de ces conflits. C’est-à-dire tous les projets de constructions de logements sociaux sur des terrains publics leur étant destinés, mais ayant néanmoins fait l’objet d’une contestation. Ces conflits ne sont exacerbés que sur une minorité des projets, comme le montre le nombre élevé de ronds en jaune (projets sans opposition structurée) sur la carte ci-dessous.
Cette carte a pu être réalisée en créant une base de données recensant les projets de production de logements publics de la Société régionale de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), le principal promoteur de logements sociaux de la Région. Une recherche par mots-clés sur différentes bases de données (Europress, Centre de documentation d’Inter-Environnement Bruxelles) et sur internet a permis d’identifier la présence éventuelle de conflits pour chaque projet. Les données obtenues, bien que limitées aux données accessibles publiquement en ligne, ont rendu possible la réalisation d’une carte et la production d’une analyse plus fine de la localisation des projets. De plus, des informations sur l’occupation du sol préalable aux projets, sur les acteurs impliqués et sur les types d’arguments utilisés ont aussi été collectées.
La collecte a permis de recenser 105 projets de logements depuis 2003, certains d’acquisition (la SLRB rachetant un logement à un promoteur privé) et d’autres de construction. Un conflit a été identifié autour de 19 projets de construction (en rouge, la taille étant en focntion du nombre de logements initiaux du projet). Ainsi, le nombre total de logements ayant été ou étant toujours bloqués par un conflit au niveau communal est de 2 254, si l’on prend en compte les projets initiaux. En ce qui concerne les 86 projets où aucun conflit n’a été identifié, représentés en jaune, le nombre total de logements est de 4 722. Cela signifie qu’un tiers des projets de logements ont été bloqués par un conflit, ce qui n’est pas anecdotique au vu de la crise du logement abordable que connaît Bruxelles. Par exemple, le projet Dames Blanches [1].
La localisation de ces conflits est assez claire pour qui connaît la géographie sociale de Bruxelles. En effet, la grande majorité des conflits se concentre dans le cadrant sud-est de la ville, en particulier dans les quartiers les plus périphériques de la Région de BruxellesCapitale. Si quelques conflits sont visibles dans les quartiers de seconde couronne ouest, nous n’avons identifié aucun conflit dans les quartiers centraux populaires, notamment le long du canal où les projets ont pourtant été nombreux. Par ailleurs, une analyse quantitative confirme l’impression visuelle : les conflits sont en moyenne situés dans des quartiers avec une densité de population plus faible que les autres et avec un taux de végétalisation plus élevé. Autrement dit, les conflits se concentrent dans les quartiers les plus aérés, avec plus de jardins et de verdure. Ils sont aussi situés dans des quartiers où les revenus sont plus élevés, avec de plus fortes proportions de logements unifamiliaux et plus de propriétaires occupants. L’hypothèse que l’on peut faire est donc bien celle d’une opposition aux projets de logements sociaux portée par des populations plus aisées qui vivent dans un cadre plus aéré et plus agréable, et qui tentent de préserver leur cadre de vie.
La question est alors celle des arguments déployés par les acteurs, en particulier les opposants aux projets de construction. Premièrement, il faut noter que dans la grande majorité des conflits (17 sur 19), la défense d’un espace vert existant est au cœur de l’opposition. Ces espaces verts ne sont pas inscrits comme tels légalement au Plan régional d’affectation du sol (PRAS), ils ont été aménagés de façon temporaire ou sont apparus spontanément (friches) sur des terrains constructibles en attendant qu’ils soient construits. Dans les cas qui nous intéressent, le terme « espace vert » concerne principalement des espaces publics soit cultivés soit envahis par la végétation : petits parcs, zones boisées, friches et terrains utilisés pour l’agriculture (champ en monoculture pour le projet Dames Blanches et projet d’agriculture urbaine au Chant des Cailles).
Par exemple le projet Hap, à Etterbeek, est situé sur une petite parcelle encore non bâtie sur laquelle s’est implanté un parc, avec l’accord de la commune, en attendant le début des travaux pour un projet de douze logements. Les riverains y défendent la sauvegarde du poumon vert de leur quartier et s’opposent au projet pour préserver l’usage de leur parc temporaire [2]. Les arguments peuvent donc être liés à une problématique globale de nécessité de sauvegarde d’arbres, d’espaces naturels et de biodiversité.
Dans 7 conflits, une problématique liée aux risques d’inondation a également été identifiée. C’est le cas par exemple du projet Keyenbempt, encore à ses prémices à Uccle. Un terrain racheté par la SLRB sur une zone verte marécageuse où sont également installés des potagers familiaux [3]. Dans une pétition rassemblant 3 500 signatures, les opposants au projet dénoncent le fait qu’il est situé sur un sol inondable et que Bruxelles « contient assez d’immeubles inoccupés pour que ce trésor ne soit pas enseveli sous le béton » [4].
Cependant, pour 10 des 19 conflits, il est également mis en avant l’opposition aux projets pour des questions de mixité sociale. L’argument le plus souvent développé est le rejet de la construction de grands ensembles de logements sociaux, avec l’évocation d’une crainte de création de ghettos. Par exemple, pour le projet Ernotte de 316 logements aujourd’hui terminé à Ixelles, on pouvait lire dans la presse les craintes des habitants. Celles-ci étaient en lien avec une concentration déjà grande de logements sociaux dans les quartiers environnants à Watermael-Boitsfort et des craintes d’insécurité [5]. Dans certains cas, les locataires sociaux y sont mal perçus, comme pour le projet Mettewie à Molenbeek en 2005, aujourd’hui terminé, où les habitants évoquaient des risques d’insécurité [6]. Dans d’autres cas, la volonté d’attirer des classes moyennes est également revendiquée, comme pour le projet Brel initialement de 100 logements et toujours en cours à Woluwe-Saint-Lambert. Ici, la commune et les riverains y demandent la moitié de logements moyens, la commune expliquant qu’« il faudrait augmenter le nombre de logements moyens par rapport aux logements sociaux à l’échelle de la commune, pour répondre aux besoins locaux en matière de mixité sociale [7] ».
Le nombre total de logements ayant été ou étant toujours bloqués par un conflit au niveau communal est de 2 254.
Des populations plus aisées qui vivent dans un cadre plus aéré et plus agréable, et qui tentent de préserver leur cadre de vie.
Parmi ces conflits, celui portant sur le Chant des Cailles à Watermael-Boitsfort est parmi les plus emblématiques, tant par l’ampleur de la mobilisation [8], que par sa politisation et les arguments déployés.
Avant de discuter des arguments déployés, il est nécessaire de rappeler précisément l’objet du conflit. La parcelle du Chant des Cailles mesure environ 3 hectares ; elle avait été cédée en 1964 par la Ville de Bruxelles à la société de logement social Le Logis pour y construire du logement social. Depuis, 2012, un projet d’agriculture urbaine y a été développé par des habitants du quartier. Le projet actuel de la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB) y prévoit la construction d’une salle communautaire et de 70 logements sur un quart de la parcelle (10 % du terrain destiné aux constructions et 15 % pour les chemins et abords), soit une surface déjà diminuée par rapport à la décision de 2013. Ceci était pour la SLRB et Le Logis-Floréal [9] une position de compromis laissant une grande partie des activités d’agriculture urbaine intactes. Pour l’essentiel, le projet prendrait place sur une parcelle où s’est développé un modeste élevage de moutons et non sur les parcelles utilisées pour le maraîchage ou comme potagers urbains, qui ne sont plus remis en cause.
Toutefois, les opposants au projet ont défendu la position « zéro construction ». Bien qu’initialement favorables au projet, la majorité communale et son bourgmestre écolo, Olivier Deleuze, soutiennent désormais fermement cette position.
Ces opposants s’appuient d’abord sur des arguments environnementaux, qu’on retrouve presque systématiquement dans les conflits récents. Les atouts écologiques apportés par le terrain sont régulièrement mobilisés pour s’opposer à toute construction. La préservation du terrain comme terre agricole est valorisée pour la qualité de l’air, comme îlot de fraîcheur et pour retenir l’eau contre les inondations. Cependant, le terrain est en hauteur, ce qui limite la rétention des masses d’eau pouvant permettre de prévenir des inondations. Le terrain se situe par ailleurs dans une des zones les plus vertes de la région bruxelloise et il représente une surface limitée parmi la quantité d’espaces verts environnants (cité-jardin, forêt de Soignes, parc de la Héronnière, etc.). Dans un contexte urbain, les habitants de ces quartiers bénéficient d’une qualité environnementale bien supérieure aux quartiers centraux de la ville. De ce point de vue, les modestes constructions prévues sur le Chant des Cailles ne sont pas d’ampleur à renverser la dualité en matière de qualité environnementale entre les quartiers centraux plus pauvres et les quartiers périphériques plus aérés et moins denses, en particulier ceux du sud-est de Bruxelles.
Toutefois, dans le cas du Chant des Cailles, la défense d’un projet d’agriculture urbaine occupe une place centrale, tant pour des raisons environnementales qu’au nom de la cohésion sociale. Le rapport de l’étude SAULE fait état de 310 inscrits au maraîchage et 130 au bercail (produits laitiers). Toutefois, cette agriculture urbaine s’avère une solution marginale face à l’immensité des défis pour nourrir les habitants de la ville. Au mieux, elle peut fournir en partie les ménages les plus intégrés au projet. Plus fondamentalement encore, compte tenu de la rareté des espaces disponibles, de telles expériences ne peuvent guère être multipliées et ne constituent en aucun cas une ébauche de solution structurelle aux défis environnementaux. On relèvera par ailleurs que les locataires sont peu représentés au sein de ces activités agricoles, poiurtant implantées dans un quartier de logements sociaux. En effet, si l’on regarde parmi les abonnés au Chant des Cailles, seuls 17 % sont des locataires des logements sociaux alors qu’il y a 59 % de logements sociaux dans les environs immédiats du Chant des Cailles [10]. Si l’on regarde maintenant parmi les locataires sociaux du Logis-Floréal, seul 1,3 % d’entre eux possède un abonnement au champ.
Enfin, comme dans d’autres conflits, l’opposition à ces nouvelles constructions sociales se fait au nom de la mixité sociale. En mobilisant cet argument, les opposants ont parfois obtenu que la proportion de logements sociaux initialement prévue dans des projets de logements soit fortement réduite, comme cela a été le cas aux Dames Blanches. Il faut remarquer au passage que, pour des communes peu mixtes comme celles du Sud-Est, la construction de logements sociaux permettrait de renforcer la mixité sociale à l’échelle communale. Dès lors, en prônant la mixité sociale au niveau d’un bloc, on limite de fait cette mixité à une échelle plus large.
De ce point de vue, il est vrai que le cas de Watermael-Boitsfort paraît singulier dans les communes du Sud-Est. Olivier Deleuze, bourgmestre de la commune, rappelle à juste titre que Watermael-Boitsfort est la meilleure élève de la région avec ses 18 % de logements sociaux. Une situation largement héritée puisqu’une grande part de ces logements a été construite dans les années 1930 et 19501960. Par ailleurs, il faut noter que les habitants des logements sociaux à Watermael-Boitsfort sont issus de catégories sociales plus élevées que dans le reste de la Région de Bruxelles-Capitale [11]. Quoi qu’il en soit, les habitants de la commune sont en moyenne plus favorisés que ceux du reste de la Région, si bien que le développement du logement social y améliorerait la mixité sociale.
Malgré tout, la mixité sociale est une notion largement mobilisée pour la promotion de logements moyens à la place de logements sociaux, y compris à Watermael-Boitsfort. Ainsi, la majorité boitsfortoise Ecolo-MR n’a produit que du logement moyen sur les parcelles communales avoisinantes : soit environ 90 logements construits ou en construction autour du square des Archiducs à proximité duquel se situe le Chant des Cailles.
Le site des Dames Blanches, 9,3 hectares à Woluwe-Saint-Pierre, est une des dernières et la plus grande réserve foncière de la Région. En septembre 2021, après quarante ans de tergiversations, un accord pusillanime a été signé entre la Région et la commune pour le lotissement du site. La parcelle, initialement destinée à accueillir 500 logements sociaux ne devrait plus en héberger que 120.
Au fil des décennies, la commune n’a cessé de réclamer une baisse du nombre de logements prévus, adossant son argumentaire à l’impératif d’une mixité sociale qui lui fait pourtant défaut en regard du monitoring des quartiers qui la classe – spécifiquement sa partie est – dans les très hauts revenus [12] et parmi les communes où le taux de logements sociaux pour 100 ménages est parmi les plus faibles du territoire bruxellois : 5,38 % contre 11,2 % de moyenne régionale (chiffres IBSA 2020). Les 120 logements sociaux de l’actuel accord est le chiffre le plus bas jamais proposé. Depuis 2005, on est passé de 1 000 logements construits dont 500 logements sociaux, aux alternatives à 600 logements construits dont 400 sociaux ; puis à 400 logements construits dont 130 sociaux.
La densité du développement prévu, in fine, sur le site des Dames Blanches est très faible et correspond aux densités des quartiers SainteAlix et Joli-Bois, une des plus faibles de la Région (4 722 habitants/km² pour une moyenne régionale de 7 527 habitants/km²) [13]. Par ailleurs, la commune se classe aussi parmi les quatre les plus vertes avec Watermael-Boitsfort, Uccle et Auderghem [14].
L’argument de la mixité sociale semble ici davantage relever d’une volonté de préserver les privilèges de classe et d’une peur du « pauvre ». Or, la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB) peine à répartir les logements sociaux sur l’entièreté de la Région. Elle rachète des projets privés en cours de construction afin d’agrandir son parc mais les prix devenus impayables conduisent à une multiplication des projets dans les mêmes quartiers centraux, bordant le canal à l’ouest. Quartiers déjà les plus densément peuplés, carencés en espaces verts accessibles au public et où le revenu médian par ménage est le plus bas.
Ici, encore, les 120 logements sociaux prévus seront construits, en vertu d’un Plan particulier d’affectation du sol (un PPAS) adopté par la commune à la fin des années 1990, sur les parties médiane et basse éloignées du quartier de la Corniche Verte dont le revenu médian imposable par ménage est le plus élevé de la Région.
L’autre partie de la parcelle (4,3 hectares) restera vierge de construction pendant quinze ans et sera affectée au développement de projets collectifs (ferme urbaine et potager sont évoqués). Au terme des quinze ans de gel, la commune bénéficiera d’une option de rachat prioritaire sur cette partie du terrain dont la valeur est aujourd’hui estimée à 15 millions d’euros. Si la commune ne l’acquiert pas, la Région pourra dans un second temps bénéficier d’une option d’achat.
La parcelle, initialement destinée à accueillir 500 logements sociaux ne devrait plus en héberger que 120.
L’abrogation du PPAS permettrait d’implanter des constructions en front de rue et d’augmenter la densité en triplant le nombre de logements sociaux tout en créant une continuité écologique de la forêt en lien avec les autres espaces plantés de la commune.
Quant aux 80 logements moyens acquisitifs publics qui seront produits par CityDev, ils repartiront sur le marché privé après vingt ans à un prix non régulé. En effet, aucun dispositif anti-spéculatif n’empêche à ce jour de tirer une plus-value de ces logements au terme des vingt ans de délai imposé alors même qu’ils sont construits avec un apport de 30 % d’argent public.
Le PPAS empêche donc tout projet socialement ambitieux sur la parcelle et ne prévoit aucune compensation consistant en la mise à disposition d’autres terrains pour la construction de logements sociaux. Il n’y a rien à attendre d’une commune qui n’a pas répondu à l’appel de la Région à participer au Plan logement [15]. Deux ans après la signature de l’accord minimaliste entre la Région et la commune, aucune pierre n’est encore posée sur la parcelle. Une occasion pour améliorer le projet ?
En effet, les arguments écologiques brandis par la commune et les riverains ne tiennent pas la route. La parcelle est actuellement une zone agricole de fait dont la perte progressive en biodiversité est caractéristique des monocultures exigeantes en intrants. L’abrogation du PPAS permettrait d’implanter des constructions en front de rue et d’augmenter la densité en triplant le nombre de logements sociaux tout en créant une continuité écologique de la forêt en lien avec les autres espaces plantés de la commune. On respecterait la zone tampon non aedificandi de 90 mètres aux abords de la forêt de Soignes, zone Natura 2000.
Pourquoi ne pas s’inspirer de logements collectifs de gabarits plus élevés, plus condensés et plus inventifs qui favorisent les économies d’énergie, la tempérance sur les terres vivantes, une architecture éprouvée ailleurs, telle la construction sur pilotis, sans parking, avec une accessibilité exemplaire du site en transport public qui réduirait l’imperméabilisation du sol, augmenterait la biodiversité et son adéquation avec les objectifs climatiques auxquels la Région s’est engagée.
Au terme de cet aperçu des conflits autour de la construction de logements sociaux, le recensement effectué confirme l’importance des conflits pour l’usage du sol, même si la majorité des projets de la SLRB ne rencontre pas d’opposition majeure. Ces conflits sont des conflits de classe opposant des groupes sociaux aux intérêts divergents. Ils sont majoritairement localisés dans les quartiers les plus verts et les plus riches, avec des taux de maisons unifamiliales et de propriétaires occupants plus élevés que la moyenne bruxelloise. En revanche, les classes populaires potentiellement bénéficiaires de ces constructions ne sont pas mobilisées. Leurs intérêts sont défendus par des structures institutionnelles et des partis politiques, de façon plus ou moins énergique puisqu’un certain nombre de projets ont été revus à la baisse, parfois de façon anticipée, c’est-à-dire pour limiter la possibilité d’un conflit.
De plus en plus, ces conflits opposent les tenants du logement social à des défenseurs de l’environnement. L’argument de la mixité sociale est aussi développé par les opposants aux projets de la SLRB. Au-delà des enjeux environnementaux locaux, l’opposition aux constructions (sociales) s’appuie sur un discours d’enjeux écologiques de défense de la biodiversité ou de lutte contre l’artificialisation des sols – au travers par exemple d’un moratoire sur toute construction – tout en nourrissant l’espoir de loger ceux qui en ont besoin [16]. Dans ce contexte, la construction de la moindre parcelle de nature en ville est perçue comme un élément de la menace qui pèse sur notre planète, quelle que soit la finalité de ces constructions. Cette universalisation des questions liées au cadre de vie local est pourtant une source de confusion : à une échelle beaucoup plus large, une densification juste et non spéculative des villes plutôt que son « aération » (au bénéfice de certains), répond beaucoup mieux aux défis écologiques en limitant la dispersion de l’habitat et donc le mitage des espaces de biodiversité, en diminuant les distances parcourues, en rationalisant l’utilisation des infrastructures… Cependant, il convient de noter que la relation entre la densification urbaine et la préservation de la biodiversité est complexe. Autrement dit, l’argument écologique local de non-artificialisation (de quelques parcelles) se heurte à la nécessité écologique de densification des espaces urbains pour conserver les terrains naturels et agricoles autour des villes. Dans certains cas, conscients de cette contradiction, les opposants à toute forme de construction soulignent alors les alternatives à la construction des terrains constructibles. Il s’agirait de construire la ville sur la ville, ce qui inclut aussi la récupération des logements et bureaux vides.
Pour les logements vides, les chiffres les plus fantaisistes circulent, allant jusqu’à 30 000 sur la Région. Ces chiffres incluent aussi des logements en rénovation ou inaccessibles, ainsi que des logements sujets à des conflits familiaux dans des procédures d’héritage. Le chiffre réel est bien en deçà des 30 000 et, même en supposant que les obstacles légaux soient surmontés (car il faut bien s’attaquer au droit de propriété dans ce cas), très insuffisant pour résoudre la crise du logement abordable à Bruxelles. Quant aux bureaux vides, le principal obstacle est d’ordre financier et les expériences déjà effectuées se situent pour l’essentiel sur le marché de haut standing. Lorsque les terrains n’appartiennent pas aux pouvoirs publics et doivent donc être achetés, cela augmente fortement le coût de telles opérations. Certes, la construction de nouveaux logements sociaux est loin d’être le seul outil de production de ces logements, et c’est une palette de mesures qu’il faut utiliser pour arriver à une masse critique indispensable pour loger les Bruxellois selon leurs moyens mais il serait socialement irresponsable de nier la nécessité de passer par cette construction.
Ces conflits sont des conflits de classe opposant des groupes sociaux aux intérêts divergents.
Cet article est issu de la combinaison du mémoire en géographie de Julien Constant et d’un article initialement publié dans l’Observatoire belge des inégalités.
[1] Cf. infra.
[3] https://bx1.be/communes/uccle/uccle-depossibles-logements-sociaux-envisages-surun-sol-inondable/
[4] https://www.petitionenligne.be/non_au_projet_de_construction_de_74_logements_et_48_parkings_au_keyenbempt
[5] https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/2010/08/23/logements-sociaux-aernotte-suite-et-fin-5VOMQ7ZNEZEDJFETFI65HBT4C4/
[7] https://www.listedubourgmestre-wsl.be/logements-sociaux-regionaux-av-j-brel-avisdefavorable-de-la-commune/
[8] Le dimanche 13 février, environ 900 personnes ont manifesté contre le projet de construction de logements sociaux sur une partie du Chant des Cailles, afin de défendre le projet d’agriculture urbaine qui s’y est mis en place. C’est un nombre considérable pour un projet local, d’ampleur modérée.
[9] Depuis 2018, les sociétés de logements sociaux Le Logis et Floréal ont fusionné.
[11] Le revenu moyen par ménage est 1,22 fois plus élevé que le revenu maximum d’admission au logement social pour Le Logis-Floréal contre 0,97 pour l’ensemble des ménages résidents des logements sociaux (SLRB statistiques 2020).
[12] Le revenu médian en RBC plafonne à 19 732 euros par an – le quartier Sainte-Alix – Joli Bois tape dans les 28 646 euros de revenu médian imposable (déclarations 2018 – chiffres IBSA) [https://monitoringdesquartiers.brussels/maps/statistiques-revenusbruxelles/revenus-fiscaux-region-bruxelloise/revenu-median-des-declarations/0/2018/].
[13] La densité du développement correspondra aux densités des quartiers Joli Bois (P/S = 0,43) et Sainte-Alix (P/S = 0,54). Le projet prévoit une densité de 0,44 sur la Zone 1 = zone constructible selon le PPAS.
[14] 143 m²/habitant·e de couverture végétale dont 34 m²/habitant·e d’espaces verts accessibles au public, ce qui la classe quatrième à l’échelle de la Région, derrière WatermaelBoitsfort, Uccle, et Auderghem. 67 % de son territoire est couvert en espaces verts accessibles au public.
[15] Un nouveau Plan logement a été voté sous cette législature. Il s’engage à finaliser les deux plans précédents. Le premier plan est atteint à 51 % et le second, un peu plus récent (huit ans) est réalisé à seulement 21 %. Sur ces 21 %, 235 unités sont des logements sociaux sur plus de 1 000.