Dans le champ des normes et réglementations liées au logement ou à l’urbanisme, y a-t-il une place pour l’habitat alternatif ?
Si la colocation, phénomène en expansion croissante, correspond bien à une division d’un habitat en lieux partagés et lieux privatifs entre plusieurs occupants, la solidarité quant à elle, ne s’inscrit pas nécessairement dans ce dispositif. Si ce n’est par l’obligation faite parfois aux locataires en matière de solidarité financière quant au payement du loyer et inscrite dans une clause du bail.
Un double constat… Et une double crise
Comme on le constate, ces modes alternatifs se veulent être des réponses à deux dimensions : la difficulté de certains ménages à s’inscrire dans le tissu immobilier classique pour des raisons financières (coût d’accès au logement), pour des raisons d’ordre de démographie familiale (rareté des espaces disponibles pour les familles nombreuses). Enfin, certains ménages par conviction philosophique et refus de l’individualisme inventent des modes nouveaux d’habiter, comme par exemple l’habitat dit léger, yourtes, caravanes semi–mobiles, et tentent ainsi de mettre en accord leur mode d’habiter et convictions écologiques.
Dès lors, ces habitats et leurs occupants croisant des dimensions plurielles, sociales, urbanistiques se retrouvent par définition « hors normes ». Ces diverses expériences témoignent d’une mise en cause forte et rapide de notre modèle traditionnel de logement. Bien sûr, il ne faut pas nier les effets dévastateurs de la crise du logement. Crise double, difficulté d’accès au logement pour les ménages à revenus faibles voire moyens, et crise d’espaces. Selon l’Institut de démographie, la Belgique devrait produire entre 20 et 24 000 logements nouveaux par an et ce pour les quatre ou cinq années qui viennent de manière à se faire rejoindre la courbe d’évolution démographique et l’offre de logement. La région bruxelloise connaissant la plus forte poussée démographique du pays. Face à ce constat, les diverses autorités concernées multiplient les initiatives et particulièrement à Bruxelles.
Quels dispositifs nouveaux ?
L’inscription est en cours, dans le Code bruxellois du logement, de l’habitat solidaire, intergénérationnel et des Community Land Trust. Par ailleurs, le parlement bruxellois par le biais de deux résolutions propose de modifier le règlement régional d’urbanisme afin d’y inscrire l’habitat communautaire ou semi-communautaire. Concrètement, si la Région a mis à disposition 19 postes ACS de manière à venir en support à des ménages en recherche de logement, n’oublions pas le rôle majeur des Agences immobilières sociales et du Fonds du Logement.
Quelles sont les logiques sous-jacentes à ces dispositifs ?
A la lecture des multiples initiatives publiques/politiques récentes en matière d’habitat, il est possible de dégager cinq logiques qui se complètent, sont souvent interactives et dégagent une vision commune aux trois régions. Par logique, nous entendons un système d’actions congruentes, s’inscrivant dans la durée et dont les processus et contenus font sens.
1. Une logique urbanistique et d’aménagement du territoire, souvent imprégnée des principes du développement durable. Suivant ainsi les analyses faites par les Agendas 21 et PCD ou schémas de structure.
2. Une logique sociale, des réponses au mal-logement pour les précarisés et travailleurs à faibles revenus ou revenus moyens et au déficit prévisible en nombre de logements qui répondent à la demande démographique en croissance.
3. Une logique partenariale, la quasi totalité des projets nouveaux sont les résultantes d’une volonté politique d’association d’acteurs issus à la fois de l’associatif, du secteur public (logement social et autres), voire même d’initiatives individuelles au départ de certains projets. On peut parler de compétences croisées, qu’il faudrait formaliser par la suite afin de les rendre reproductibles.
4. Une logique d’inscription politique et juridique (en textes de lois, recommandations, modification des codes du logement) de reconnaissance de modes d’habiter innovants.
5. Une logique d’ancrage communal ou régional, transférer aux pouvoirs locaux la mise en œuvre de projets qui s’inscrivent dans un écosystème géré et bien connu par ces mêmes autorités, tant d’un point de vue de ses dimensions sociologiques, qu’urbanistiques et économiques.
Un enjeu majeur, l’équité…
Confrontés à ce qu’il faut bien nommer un « imbroglio juridique et administratif », ces projets alternatifs de logement devront s’armer de fortes connaissances en matière juridique, urbanistique voire en législation sociale, s’ils espèrent voir un jour leurs projets se concrétiser. Quant aux autres, sauf à recourir à l’aide des acteurs professionnels du logement, leurs chances de voir aboutir leurs projets sont bien faibles. Ainsi la non-équité en matière d’accès au logement se perpétue même en matière d’habitat alternatif.
Faut-il modifier les normes ?
Les avis des experts sont partagés… légiférer dans l’urgence comporte bien des risques et comme le souligne Monsieur Nicolas Bernard dans sa présentation de l’habitat alternatif [1], « Le risque existe de ne plus conférer que des demi-droits à ce que d’aucuns présenteront vite comme des sous-habitats ». Nous proposons d’abord que politique du logement largement régionalisée et politique sociale, compétence encore fortement fédérale, harmonisent leurs visions et champs d’application. Car c’est bien là que les contradictions entre ces deux politiques constituent un frein majeur à toute innovation.
Créer des espaces d’innovation
Des habitats alternatifs existent et certains depuis de nombreuses années. D’autres se créent à l’initiative de partenariats réunissant parfois secteur public et privé, créant des formules originales, innovantes. Pour être en conformité avec les règles, elles s’élaborent au prix de dispositifs architecturaux et juridiques complexes. Nous pensons dès lors qu’il nous faut créer des exceptions, des espaces d’innovation. Comme l’écrit Philippe Defeyt [2] : « Peut-être avons-nous besoin d’un déclic culturel. A trop tarder à adapter la loi, on freine voire on casse l’innovation sociale plutôt qu’on ne la libère. Mais à trop ou trop précisément l’adapter à chaque situation ou nouvelle situation, on risque autant de l’étouffer. » Notre recommandation serait de permettre à nos sociétés qui traversent des crises multiples (y compris de modes culturels d’habiter) de développer des espaces d’innovation.
Daniel Mignolet
Habitat et Participation