Un avant-projet d’ordonnance organisant le stationnement a passé le stade de la première lecture au gouvernement en ce début d’année 2021. Ce nouveau texte régira bientôt le parking en région bruxelloise. Il est pour nous l’occasion de revenir sur cette politique essentielle à l’organisation de la ville, d’essayer d’en discerner les forces, les faiblesses et les angles morts.
Le texte a donc entamé son parcours législatif récemment. Si le sujet peut apparaître comme relativement rébarbatif, le parking regroupe en fait une multitude de leviers permettant de transformer le cadre de vie des citoyens et la mobilité du territoire. De fait, c’est le dernier maillon de la chaîne de déplacement automobile. Avoir un parking abondant et disponible près de son lieu de destination détermine structurellement le choix du moyen de transport utilisé. Les Bruxellois sont deux fois plus nombreux à prendre leur voiture lorsqu’ils peuvent la garer facilement. Par ailleurs, le stationnement utilise une part conséquente de l’espace disponible en voirie. Ce dernier est pourtant rare au sein des centres-villes et ce qui est consacré aux automobiles ne peut être affecté aux loisirs, aux arbres, aux équipements collectifs… à tous les éléments permettant la réalisation d’un espace public de qualité ! C’est pourquoi une série de plans de mobilité et d’ordonnances particulières régissent depuis longtemps le stationnement dans la région.
Ainsi, en 2001, le plan de mobilité de l’époque, « IRIS », identifiait déjà le parking comme un enjeu majeur de la mobilité bruxelloise. Plus de la moitié des déplacements au sein de la région s’effectuaient alors en voiture. Pour entamer une transformation modale, l’autorité publique s’engagea alors à réduire le nombre d’emplacements en voirie de quinze pour cent. Si la valeur peut sembler conséquente, il faut bien se rendre compte que le parking à Bruxelles est pléthorique. Aujourd’hui encore, il existe trois cent neuf mille places en voirie pour six cent quarante-neuf mille emplacements en dehors de celle-ci. Soit plus d’emplacements de parking disponibles qu’à Paris.
Toute place supprimée en voirie devra désormais être compensée par un nouvel emplacement créé hors voirie.
Pourtant, la Région redoute les conséquences négatives que peut engendrer une telle politique sur l’attractivité de la ville. C’est pourquoi le plan de mobilité « IRIS II » et le plan de stationnement initiés dans la dernière décennie amoindriront considérablement les ambitions portées initialement. Ces textes avaient alors maintenu l’objectif chiffré de 2001, mais en précisant que toute place supprimée en voirie devrait désormais être compensée par un nouvel emplacement créé hors de celle-ci. Dès lors, tout en actant une réduction du parking sur l’espace public, le nombre total d’emplacements en Région Bruxelloise devrait rester inchangé. Les législations de la dernière décennie consacrent donc la prééminence du stationnement hors voirie au sein de la stratégie Bruxelloise.
Le nouveau cadre législatif qui est proposé aujourd’hui s’inscrit dans la droite lignée des orientations précédentes. D’un côté, le nouveau plan de mobilité « Good Move » ambitionne la réduction de 65 000 emplacements en voirie tandis que de l’autre l’ordonnance sur le stationnement favorisera le parking en dehors de la voirie…
Si les objectifs restent les mêmes, c’est que les plans successifs ont produit des résultats très contrastés. Les pratiques de mobilité ont évidemment évolué, mais les objectifs chiffrés sont loin d’être atteints. Prenant acte, la Région a revu sa copie et met en place une série de mesures correctrices permettant une diminution effective du nombre de parkings en voirie. L’avancée significative des nouveaux textes réside dans l’abandon des compensations systématiques.
Cette contrainte avait dans la dernière décennie engendré des situations ubuesques. À la place du Miroir par exemple, le développement du site propre d’une nouvelle ligne de tram avait impliqué la construction d’un parking souterrain à titre de compensation. Pour développer des alternatives à la voiture, l’autorité publique avait donc été contrainte de construire une infrastructure souterraine… attirant les véhicules motorisés ! Loin d’être anodine, la construction de ce parking souterrain a été coûteuse, si bien qu’une part substantielle du budget alloué à la nouvelle ligne de transport a dû y être consacré.
La nouvelle législation consacre le principe du stationnement en Région bruxelloise comme un service rendu aux usagers de la route.
La nouvelle ordonnance instaure également une nouvelle zone de tarification : la zone grise, qui sera implantée aux abords des parkings publics. L’idée est qu’au sein de la zone le stationnement hors voirie soit moins cher que sur l’espace public. Ce n’est pas un hasard si la première zone grise a été installée à la place du Miroir, parking notoirement sous-utilisé. Cette tarification est donc un outil pour rendre le stationnement hors voirie enfin compétitif. D’un point de vue plus général, la nouvelle législation consacre le principe du stationnement en Région bruxelloise comme un service rendu aux usagers de la route.
Un autre élément expliquant la faible diminution des emplacements en voirie réside dans le morcellement des compétences entre autorités communales et régionales. La suppression de stationnements étant une mesure extrêmement impopulaire, les différents bourgmestres ont parfois des agendas bien différents de ceux de la Région en matière de mobilité. La majorité des voiries relevant du pouvoir communal, la nouvelle législation met en place différents outils pour contraindre les communes à s’aligner sur la Région. Le texte prévoit ainsi que tous les deux ans, une évaluation du stationnement soit réalisée au sein des communes [1]. À l’issue de celle-ci, si la commune n’exécute pas le plan régional, elle pourrait écoper de sanctions financières (notamment une non-éligibilité aux subsides régionaux et une suspension du versement des produits de stationnement). Cette contrainte pourrait permettre d’enfin aboutir à la réalisation d’objectifs vieux de vingt ans.
Reste à voir si la nouvelle législation intégrera toujours cet élément à la fin du processus législatif et résistera aux cris d’orfraie de certains bourgmestres sur la mise en danger de l’autonomie communale.
Le tableau que nous avons dressé sur les différentes normes en matière de stationnement permet d’approcher la stratégie qui la guide. En son centre se trouve l’attractivité du territoire. Comme la diminution du parking permet à la fois de diminuer l’usage de la voiture et les nuisances qu’il engendre, c’est un enjeu essentiel pour attirer les classes moyennes contributives en ville. Mais, dans une métropole, l’attractivité du territoire dépend aussi de la facilité avec laquelle les agents peuvent se rendre en ville et l’utiliser. Cette double contrainte, la ville habitable et la ville performante, induit une approche différenciée de la régulation du stationnement en fonction des usages.
Il s’agit donc pour le pouvoir public d’inciter des comportements, d’en dissuader d’autres et d’opérer une distinction en fonction des profils. Concrètement, une différenciation est opérée entre les navetteurs, les résidents et les visiteurs [2]. Du côté des utilisateurs désirés, on trouve bien évidemment les habitants de la ville. Leur profil est adapté à la ville agréable. Schématiquement, ils garent leurs véhicules la nuit et l’utilisent le jour. Ils ne rentrent donc pas en concurrence avec les autres utilisateurs. Les visiteurs sont l’autre public choyé par l’autorité. Utilisant le stationnement pour une courte période, ils apportent une plus-value financière ou sociale au territoire et participent à son développement. À l’opposé, le navetteur et son véhicule génèrent des nuisances et encombrent les espaces disponibles.
Pour chaque profil, la région a donc mis en place des dispositifs spécifiques quant à l’accès au stationnement. Vu qu’il s’agit de rendre la ville attirante pour les classes moyennes, l’agglomération ne peut mettre en place des stratégies trop contraignantes pour les habitants. La voiture est en effet une partie intégrante du mode de vie des classes aisées et la propension à avoir une voiture est directement liée aux revenus du ménage [3]. Dès lors, afin de limiter les nuisances liées à l’automobile, la Région a mis en place des cartes de stationnement pour les riverains. Elles ont l’avantage de permettre la possession d’une automobile, de la garer pour un prix modeste [4] tout en réduisant ses nuisances à un périmètre circonscrit.
Les visiteurs bénéficient eux aussi d’une attention particulière. Le nouveau texte en voie d’adoption stipule d’ailleurs que « les usagers qui apportent une valeur ajoutée au fonctionnement de la Région sont prioritaires dans l’accès aux espaces de stationnement, et notamment aux espaces publics » 5. L’outil principal permettant aux visiteurs de bénéficier des parkings est la mise en place d’une offre de stationnement de courte durée. Elle propose un tarif modéré pour de petites périodes, mais l’expérience s’avère prohibitive à plus long terme.
La généralisation des parkings souterrains participe aussi à séduire ces usagers spécifiques. Ils permettent à la fois l’invisibilisation des nuisances et l’accessibilité aisée au centre urbain. Si le Règlement Régional d’Urbanisme oblige les nouveaux appartements à être muni d’un parking par logement, c’est pour créer un environnement agréable. Les nouveaux piétonniers illustrent également cette tendance. Au sein de ces espaces, les pouvoirs publics interdisent l’essentiel de la mobilité automobile pour y renforcer l’attractivité commerciale. Pourtant, ces lieux de déambulation entraînent systématiquement la création de nouveaux emplacements de parkings souterrains et créent des espaces où le visiteur est inclus, souhaité, invité…
Le tri des usagers implique également de dissuader les travailleurs pendulaires d’utiliser le stationnement au sein des espaces centraux. C’est pourquoi la Région construit une série de parcs relais à l’orée de la ville, leur permettant de stocker leur véhicule à prix réduit pour peu qu’il acceptent d’effectuer les derniers kilomètres au moyen de transports en commun.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le stationnement à Bruxelles. On pourrait longuement discuter de l’efficacité des « Park and Ride », il faudrait parler des nombreuses infrastructures souterraines héritées de la période moderniste… Mais se concentrer sur la régulation opérée par la puissance publique met en évidence des tendances. Indéniablement, le politique veut améliorer le confort des habitants. En supprimant le parking en voirie, de nouveaux espaces qualitatifs vont s’ouvrir aux riverains. Alors, ils pourront bénéficier d’espaces agréables libérés des trop nombreuses nuisances liées à l’automobile.
Derrière ce constat, se cache aussi une certaine amertume. En se concentrant sur l’attractivité du territoire, on se demande parfois si les mesures sont destinées aux habitants existants ou à ceux qui sont désirés. On ne peut en effet séparer le stationnement des opérations de revitalisation urbaine. Dans tous les cas, l’autorité publique accepte la situation de concurrence, endosse le rôle d’entrepreneur de la ville et essaye d’attirer capitaux et consommateurs.
De plus, la sélection des usages comme méthode dissout les enjeux sociaux derrière des catégories inopérantes. Elle ne pose jamais la question des mécanismes qui induisent une dépendance à l’automobile et ne propose pas de mesures correctrices. Pire, elle postule une égalité territoriale en matière de stationnement alors que l’offre disponible est sensiblement différente en fonction des quartiers.
La nouvelle régulation sur le stationnement porte en son sein des avancées indéniables mais le retour des classes moyennes en ville ne justifie pas tout… Il est aussi possible d’améliorer les conditions de vie sur un territoire en portant un regard sensible et inclusif sur la population qui le compose et l’utilise. Au delà des revendications légitimes en matière de justice, il faudra aussi veiller à ce que les engagements soient tenus. Sinon la diminution des emplacements de parking en voirie figurera encore dans le prochain plan de mobilité…
Chargé de mission
[1] Avant-projet d’ordonnance portant sur l’organisation de la politique du stationnement et redéfinissant les missions et les modalités de gestion de l’Agence du stationnement de la Région de BruxellesCapitale, p. 44
[2] M. Claux, « Réguler le stationnement en ville : les coûts sociaux et environnementaux de l’attractivité urbaine », Université Gustave Eiffel, 2016 disponible sur cairn.info
[3] T. Ermans, « Focus n°32:les ménages bruxellois et la voiture »IBSA, juin 2019
[4] Une carte riverain coûte souvent moins cher que l’accès à un parking vélo sécurisé en voirie. 5. Avant-projet d’ordonnance portant sur l’organisation de la politique du stationnement et redéfinissant les missions et les modalités de gestion de l’Agence du stationnement de la Région de BruxellesCapitale, p. 4