Inter-Environnement Bruxelles
Marche pour le Marais Wiels © IEB - 2022

Comment produire des logements bon marché ?

À la question « que faire contre la crise du logement ? », la réponse du gouvernement bruxellois, ces dernières années, a été avant tout « produire plus de logements ». Le boom démographique a permis à toute une série d’acteurs d’envisager la crise du logement surtout sous l’angle de la pénurie, et donc à chercher les solutions du côté de la production de logements supplémentaires.

© Archives d’IEB - 1976

Mais ces logements supplémentaires, qui est censé les produire ? L’option « produire plus » a bien sûr reçu un accueil très favorable du secteur privé. Les producteurs capitalistes de logements – les promoteurs immobiliers, pour faire court [1] – sont en effet les premiers concernés puisqu’ils produisent, ces dernières années, environ les trois quarts des nouveaux logements [2].

De plus, la Région se repose explicitement sur eux pour résoudre « le problème du logement ». La production de logements publics est dérisoire par rapport aux besoins, et le gouvernement affiche en la matière des ambitions de plus en plus réduites [3]. De fait, la stratégie du gouvernement régional mis en place en 2014 est de s’appuyer avant tout sur la production privée. La question posée par la puissance publique aujourd’hui n’est plus « comment produire des logements ? », mais « comment stimuler la production de logements par les sociétés privées ? » Sur les 42 000 logements supplémentaires que le nouveau Plan Régional de Développement Durable [4] juge nécessaire de produire, il est prévu que 80 % soient produits par le secteur privé. Pour le développement des nouveaux quartiers sur les grandes réserves foncières publiques, le gouvernement a annoncé vouloir s’appuyer sur des partenariats avec des sociétés privées [5]. La Région bruxelloise est très présente dans les salons immobiliers : le MI PIM à Cannes, et le Realty à Bruxelles, organisé par l’UPSI (le lobby des promoteurs immobiliers). Cette présence est l’occasion de présenter (et parfois vendre) à des investisseurs des projets particuliers, mais aussi, de façon plus générale, d’associer l’image d’une ville (ou d’une partie de ville) à celle d’une « zone d’investissement ».

Un promoteur, comment ça marche ?

Le promoteur, généralement constitué en société, est celui qui fait produire les logements et les met sur le marché. Il trouve le terrain, rassemble les capitaux, fait construire les logements par un entrepreneur, puis les commercialise. Avant de s’embarquer dans une telle opération, il réalise un calcul « à rebours » afin d’en évaluer la faisabilité. Le premier élément de ce calcul est le prix auquel le promoteur peut espérer vendre les logements, et qui est déterminé avant tout par la localisation du terrain. De ce prix qui détermine les recettes de l’opération, il déduit les couts de construction, une série de frais annexes (honoraires de l’architecte, frais de raccordement, etc), ainsi que la marge bénéficiaire minimum qu’il souhaite réaliser, c’est-à-dire celle qui assure à son capital le taux de profit minimal admissible. Le résultat de cette soustraction donne la somme maximale qu’il pourra allouer à l’achat du terrain.

Le vendeur du terrain, qui a en général la possibilité de mettre plusieurs acheteurs en concurrence, vendra au plus offrant, c’est-à-dire au promoteur qui anticipe le chiffre d’affaires le plus élevé. Cette mise en concurrence et la recherche des marges les plus élevées possibles ont comme conséquence une pression constante à la hausse des prix et de la densité (nombre de m² de logements par m² de terrain). Ce qui explique aussi que les promoteurs soient généralement demandeurs de pouvoir produire des logements plus petits et des tours plus hautes que ce que la règlementation prévoit.

Le calcul simplifié d’une opération de production de logements, par m² de logement, du point de vue du promoteur. Les deux éléments susceptibles de varier le plus, d’une opération à l’autre, sont le prix du sol et la marge bénéficiaire du promoteur. Tous deux dépendent du prix de vente qu’il est possible d’atteindre.

Ce mode de calcul « à l’envers » traduit le fait que la valeur d’un terrain est généralement déterminée par l’utilisation la plus lucrative qui peut en être faite – compte tenu des possibilités. Ces possibilités sont déterminées par la division sociale de l’espace, c’est-à-dire la répartition spatiale des différentes classes sociales dans la ville : dans un quartier cher, habité par une population très solvable, le prix des terrains est élevé parce que les logements peuvent être vendus plus cher. Les possibilités sont aussi limitées par les règlementations : les règles urbanistiques (en particulier la hauteur des bâtiments), et les plans d’affectation du sol qui dessinent une division de l’espace, fonctionnelle cette fois (ici les bureaux, là les logements). Il y a des fonctions plus valorisables que d’autres : un terrain qui peut être affecté à du bureau se vendra en général plus cher qu’un terrain réservé à d’autres fonctions. Une autorisation de construire plus d’étages, un changement d’affectation, se traduiront par des hausses de prix, une plus-value foncière que le propriétaire pourra récupérer. Ainsi, le dernier Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) a fait le bonheur de quelques spéculateurs en transformant en zones de logement des espaces jusque-là réservés à des usages industriels.

Il se crée une sorte de hiérarchie des usages du sol, le prix de chaque terrain se fixant au niveau des activités les plus lucratives auxquelles on peut l’affecter. Cette possibilité empêche alors d’en faire un usage « inférieur » dans la hiérarchie : s’il est possible de créer du logement de luxe dans un quartier, le prix du sol s’adaptera à cet usage potentiel et rendra l’usage en logement moyen ou populaire financièrement impossible.

Il découle de tout cela qu’un promoteur, même s’il souhaitait produire des logements bon marché en réduisant sa marge bénéficiaire au « minimum vital », se trouverait dans l’incapacité de produire sous un certain niveau de prix, vu les couts de construction (déjà compressés au maximum par la mise en concurrence des entrepreneurs) et les prix des terrains, fixés sur des utilisations plus lucratives. Beaucoup de promoteurs et d’observateurs s’accordent à dire qu’il est difficile, dans les conditions actuelles à Bruxelles, de produire des logements sous la barre des 2 700€/m², alors qu’il faudrait, pour que les logements soient accessibles au ménage bruxellois moyen, produire à du 1 500 €/m² maximum.

On mesure l’ampleur du problème de l’accessibilité des logements qui, loin d’être une « crise » passagère, est inscrit au coeur de notre système de production des logements. On mesure également l’ampleur de la « crise » encore à venir lorsqu’on sait que le gouvernement bruxellois s’en remet avant tout à cette production privée pour répondre aux besoins en logement des Bruxellois.

Payer de nos impôts les marges bénéficiaires des promoteurs

Car si une des solutions à la crise est de produire plus de logements, et que cette production est laissée entièrement (ou presque) à un secteur qui ne peut pas produire bon marché, nous voilà dans une impasse : la Région se voit « contrainte », pour qu’une partie quand-même de cette production soit accessible aux Bruxellois, de subsidier très largement ce secteur. C’est le système des partenariats public-privé (PPP) : les pouvoirs publics subsidient des promoteurs immobiliers, ce qui leur garantit les marges bénéficiaires suffisantes, en échange de quoi ceux-ci acceptent de vendre les logements à un prix plafonné. Ce système, déjà bien rodé pour les logements destinés à la classe moyenne (c’est Citydev qui le met en œuvre), le gouvernement souhaite désormais l’appliquer aux logements destinés à des revenus plus bas.

On le comprend lorsqu’on se penche sur le fonctionnement des promoteurs immobiliers, ces PPP reviennent en réalité à financer aux frais des contribuables – locataires comme propriétaires – les plus-values des revendeurs de terrains et les marges des promoteurs.

La politique actuelle du logement, à Bruxelles, semble chercher désespérément à contourner cette incontournable réalité : le secteur privé produit des logements qui sont inaccessibles à la majorité des Bruxellois. Tant que le gouvernement s’interdira une production véritablement publique et une plus grande maitrise du sol, cette politique aura tout d’un bricolage inefficace, couteux (pour les habitants), et de moins en moins crédible.

Alice Romainville


[1Concrètement, les logements résultent de l’activité des firmes de construction (les « entrepreneurs »), mais ceux-ci ne sont pas propriétaires du capital qui est investi dans ce processus de production. C’est généralement un autre agent qui préfinance, coordonne et domine ce processus, l’entrepreneur n’étant qu’un sous-traitant. On peut appeler « promoteurs immobiliers » les sociétés privées qui remplissent ce rôle, même si elles n’exercent pas toutes officiellement une activité de promotion immobilière.

[2Selon les chiffres de l’Observatoire des Permis Logement, Région de Bruxelles-Capitale.

[3Seuls 1 350 logements sociaux environ ont été produits entre 2000 et 2014 (source : RBDH), un chiffre très inférieur aux chiffres annoncés par les gouvernements régionaux successifs (3 500 logements sociaux supplémentaires annoncés en 2005 ; 3 000 annoncés en 2014).

[4Élaboré entre 2009 et 2014. Voir www.prdd.be.

[5Déclaration de Politique Régionale, 2014.

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