Historiquement, le logement social en Belgique est le parent pauvre de la politique du logement. Cependant, ces dernières années, il semble avoir le vent en poupe. Une comptabilité de façade qui mélange petits et gros poissons.
On se souvient des décennies de stagnation [1] dans la production de logements sociaux. On se souvient que les pouvoirs publics s’étendaient peu sur le sujet. Désormais, tout aurait changé. Chaque année, le gouvernement fait le bilan et publie en grande pompe l’étendue de la récente production de logements sociaux.
Sans doute que l’augmentation continue du nombre de personnes en attente d’un logement social n’y est pas totalement étrangère. Sans doute que l’augmentation continue des loyers et des prix de vente n’y est pas totalement étrangère non plus. Toujours est-il que notre quotidien est émaillé de petits signes qui indiquent clairement que le logement est devenu un enjeu important pour de nombreux Bruxellois·es : des discussions saupoudrées de « non mais, c’est devenu impossible de se loger pour 500 euros », des colocations qui doivent désormais présenter des « projets de coloc », des agences immobilières exigeant des garants, des posts sur les réseaux sociaux d’ami·es qui demandent de l’aide pour trouver un logement… Voilà pour les classes intermédiaires sans capital. Mais que dire des personnes percevant les minima sociaux ? Que dire des personnes sans papiers, des parents seul·es avec enfants, etc. ?
Comme c’est souvent le cas, le choix des mots a son importance.
Il n’est donc pas surprenant de constater que la déclaration de politique régionale [2] indiquait en 2019 : « En priorité, la Région mettra en œuvre un plan ambitieux de création de logements sociaux et de “socialisation” du parc locatif. À terme, il conviendra de disposer de 15 % de logements à finalité sociale sur l’ensemble du territoire régional répartis de manière équilibrée par commune et par quartier. »
Comme c’est souvent le cas, le choix des mots a son importance. Que se cache-t-il donc derrière cette nouvelle formulation de « logement à finalité sociale » ? Car bien qu’il semble que l’on construise, et que l’on construise notamment du logement social, la plupart de ces nouvelles unités sont classées comme ayant une « finalité sociale », sans que l’on sache précisément ce que cette expression englobe. Comme c’est souvent le cas, les chercheur·euses et les militant·es accordent de l’importance au détail. Alors, oui, il y a des logements, mais pour qui ? Par qui sontils construits ? Sur quels terrains ? Et « sociaux » pour combien de temps ?
Pour le grand public, le terme de logement social fait avant tout référence, sur le plan urbain, aux tours et barres de logement de l’aprèsguerre, aux cités-jardins des années 1920 et 1950 et aux immeubles collectifs de la fin du XIXe siècle (Lire Brève histoire du logement populaire à Bruxelles). Rares sont celles et ceux qui penseraient aux habitations récentes acquises avec des crédits du Fonds du logement ou aux grands ensembles immobiliers de Citydev destinés à la vente. Et, pourtant, tous ces logements font partie de ce que le gouvernement actuel entend et le Monitoring des projets de logements publics (Perspective.brussels) définit comme du logement « à finalité sociale » (ci-après « LFS »). Certes, « social » et « à finalité sociale » sont deux notions et deux réalités distinctes, mais le flou qui découle de l’usage indifférencié ou du moins peu explicité de ces deux termes, que ce soit par le politique, la presse ou les sites des administrations communales et régionales, entretient l’amalgame. Examinons donc de plus près ce qu’inclut (et ce que n’inclut pas) concrètement le LFS.
Reprenons tout d’abord la définition officielle et volontairement large du « logement à finalité sociale ». D’après le Monitoring des projets de logements publics [3], il s’agit d’un « logement produit ou encadré dans le cadre d’une politique publique régionale, que ce soit au niveau de la fixation du loyer ou des conditions d’acquisition et/ou de revente des biens ».
Le point commun principal entre tous les logements ainsi labellisés serait donc l’implication nécessaire d’un acteur public plutôt qu’une finalité sociale partagée. Ce en quoi consiste exactement cette finalité n’est en tout cas pas précisé. Mais cette omission laisse penser que la finalité, l’objectif, l’avenir réservé à ces logements est dans tous les cas « social ». Est-ce bien le cas ? Et que signifie « social » alors ?
Si le parc immobilier social détenu et géré par les Sociétés immobilières de service public (SISP) représente quelque 41 000 unités de logement en 2023 (soit 6,9 % du parc immobilier résidentiel régional), leur cumul avec toutes les autres formes de LFS, dont l’offre a augmenté sensiblement au cours des vingt dernières années, laisse croire que l’offre « sociale » en logements se porte plutôt bien (9,8 % en 2021, d’après le dernier Monitoring, ce qui est toutefois toujours bien en deçà des 15 % des LFS visés), alors même que le nombre de logements sociaux proprement dits (SISP) n’a augmenté que d’un peu plus de 3 000 unités en trente ans [4]. De facto, très peu de logements additionnels offrant une réponse aux besoins considérables et toujours croissants des ménages les plus modestes ont été créés, sachant qu’une part non négligeable des logements nouvellement construits est neutralisée par une réduction du nombre de logements dans le parc immobilier ancien suite aux travaux de remise aux normes et de rénovation lourde.
D’autres logements qui ont bénéficié d’importantes aides publiques ne sont pas ou plus régulés non plus. C’est notamment le cas des logements moyens commercialisés par Citydev.
Un logement détenu par un organisme public ou ayant fait l’objet d’une aide publique n’est pas ou ne reste pas nécessairement « à finalité sociale ». Tout d’abord, un nombre conséquent de logements publics échappent à la régulation et offrent des conditions de location similaires au marché libre. C’est le cas d’une partie du portefeuille immobilier détenu par les communes et les CPAS et comptant quelque 10 000 logements à l’échelle de la Région [5]. En 2018, la Ville de Bruxelles déclarait ainsi 2 393 de ses 3 534 logements « libres » [6]. Cela étant, il est à noter que le nombre de biens communaux loués aux conditions du logement social a augmenté suite aux efforts de « socialisation du logement public » dans le cadre du Plan d’urgence logement [7] (c’est le cas de Saint-Gilles dès 2021 ainsi que d’Ixelles et de la Ville de Bruxelles dès 2022), voire avant (SaintJosse dès 2016). Mais, là encore, l’utilisation du terme « socialisation » est quelque peu ambiguë et laisse entendre que le logement est devenu « social », alors que ce sont les loyers pratiqués qui le sont, et ce uniquement tant que des locataires inscrits sur la liste d’attente de la SLRB occupent le logement. Ne minimisons toutefois pas la volonté de certaines communes de généraliser et de pérenniser à terme l’application des conditions du logement social à l’ensemble de leur parc immobilier.
D’autres logements qui ont bénéficié d’importantes aides publiques ne sont pas ou plus régulés non plus. C’est notamment le cas des logements moyens commercialisés par Citydev dont la période d’occupation contractuelle de dix ans (vingt ans depuis 2013) est écoulée [8]. Cela représente environ 3 200 logements qui ne sont plus conventionnés (et pouvant donc être revendus ou loués à prix libre et sans aucune restriction) sur un total de 4 400 logements commercialisés entre 1990 et 2022.
Puis il y a également le cas inverse. Toute une série de logements qui remplissent un rôle social/sociétal important n’entrent pas dans la catégorisation des LFS. Le milieu associatif et caritatif, en particulier, met à disposition des personnes et des ménages en situation de (grande) précarité des logements adaptés à leurs besoins et souvent aussi un accompagnement administratif, juridique ou technique en matière de logement. Ces foyers, maisons d’accueil, logements de transit et autres formes de logement « solidaire » participent à l’effort d’hébergement des publics qui se trouvent exclus du marché locatif privé par la faiblesse de leurs revenus et/ou leurs caractéristiques socio-économiques et/ou leur trajectoire de vie. Ils méritent dès lors d’être pleinement reconnus comme des logements ayant une fonction sociale essentielle [9], même si – et ce n’est pas le plus important – leur nature spécifique ne permet pas de les classer dans les statistiques des LFS.
Parmi les logements qui échappent également, pour des raisons plus évidentes, au qualificatif « à finalité sociale », on retrouve ce que l’on désigne couramment comme les « logements sociaux de fait ». Leur rôle « social » découle notamment de deux caractéristiques, d’ailleurs quelque peu contradictoires :
L’existence, peu documentée et difficilement quantifiable, de ces formes de mal-logement, questionne. D’un côté, ces logements constituent une solution (certes contrainte plutôt que choisie) pour des ménages en situation de vulnérabilité résidentielle. Ils remplissent ainsi un rôle crucial en comblant les lacunes du reste de l’offre résidentielle. D’un autre côté, ils sont l’expression de conditions de vie indignes et de carences manifestes dans la défense des intérêts et dans la prise en charge publique des populations fragiles économiquement et socialement. « On peut d’ailleurs voir dans ce marché privé de la précarité résidentielle une manifestation de l’impuissance ou de l’immobilisme d’un État qui peine à rendre effectif le droit au logement [10] . »
Le constat que le terme « social » est utilisé de manière générique et indéfinie dans la nomenclature officielle des LFS, d’une part, et que certains acteurs qui assurent des fonctions sociales essentielles en matière de logement échappent à cette nomenclature, d’autre part, nous invite à réfléchir à la véritable nature du logement qualifié de « social ».
Nous choisissons délibérément de nous écarter ici d’une définition « administrative » ou « conventionnelle » du logement social pour mettre en avant les valeurs fondamentales qui le sous-tendent à notre sens. Ainsi, nous souhaitons mettre en lumière une forme d’habitat qui est « sociale », « solidaire », « non discriminatoire » et « démocratique » tant dans son accès que dans son fonctionnement. Notre intention est de proposer une définition volontariste et réaliste, ancrée dans la pratique.
L’idée sous-jacente est de se référer à une définition nouvelle ou alternative du segment véritablement social du marché du logement puis de voir quels LFS correspondent à ces critères essentiels. Les arguments en faveur d’un logement social redéfini et revalorisé ont été développés dans l’introduction de ce dossier Lire p. 2-5 . Il s’agit de logements combinant les quatre critères suivants : répondre aux besoins des habitants, garder un caractère public, impliquer leurs occupants dans leur gestion, et être non discriminatoires Lire Défendre le logement social p. 2-5 .
À première vue, tout le monde semble en tirer profit.
Parcourons les typologies de LFS Voir l’encadré p.10 afin de voir dans quelle mesure leurs différentes formes répondent aux caractéristiques du logement social telles qu’elles ont été énoncées dans l’introduction. Plutôt que de passer en revue en détail tous les types de LFS, nous souhaitons nous concentrer sur certains qui sont numériquement importants, font l’objet d’une couverture médiatique et sont sujets à débat public.
La formule est désormais bien connue : les AIS sont des associations agréées et subsidiées par la Région de Bruxelles-Capitale qui gèrent la mise en location de logements principalement privés à des ménages à faibles revenus, via des contrats de gestion avec les propriétaires. En échange de nombreux avantages – tels que la gestion locative, des revenus locatifs garantis et indexés, un entretien du bien, une aide à la rénovation et des avantages fiscaux [11] – les propriétaires acceptent un loyer modéré, généralement de 20 à 30 % [12]] inférieur à la moyenne du marché. Et chaque logement pris en gestion par une AIS est reconnu officiellement comme étant « à finalité sociale », contribuant ainsi à soulager quelque peu la tension sur le marché du logement social. À première vue, tout le monde semble en tirer profit.
Cependant, si cette politique de socialisation du logement privé est tout à fait louable, sa dimension véritablement sociale est à relativiser.
D’une part, parce que gérer une AIS signifie s’exposer à d’importants défis budgétaires, dont la gestion des arriérés locatifs, c’est-à-dire les loyers impayés par certains locataires qui sont à charge de l’AIS. Pour garantir leur propre survie financière, les AIS sont amenées à éviter de loger des ménages en défaut de paiement de loyer. L’examen des expulsions judiciaires de locataires ayant manqué à leurs obligations contractuelles [13] montre qu’à l’échelle de la Région bruxelloise les AIS font proportionnellement plus souvent recours aux expulsions. Moyen de pression tout d’abord, puis en dernier recours outil pour libérer l’appartement. Contrairement au logement social proprement dit, il n’existe pas systématiquement d’instance intermédiaire de médiation (délégué social…) qui pourrait régler le problème. Le risque étant bien sûr que les AIS sélectionnent parmi les candidats locataires celles et ceux qui, selon leurs propres critères, présenteraient le moins de risque de faire défaut (exception faite des personnes soutenues par une autre association comme dans le cas du programme Housing First).
Mais à relativiser aussi, d’autre part, du fait d’un mariage suspect entre finalité sociale et économique. En effet, depuis l’institutionnalisation des AIS en 1998, le dispositif a beaucoup évolué. Initialement, il séduisait principalement les petits propriétaires qui y voyaient une opportunité pour rénover et louer leurs biens. Cependant, avec la popularisation rapide de la location via AIS, surtout après une réforme majeure du cadre légal en 2002, la politique gouvernementale a continué à mettre en place des mesures et incitations pour soutenir la croissance du secteur. Ce sont plus particulièrement les avantages fiscaux offerts depuis 2017 [14] qui ont définitivement élevé les logements AIS en produit de placement immobilier intéressant [15], dans le cadre d’un système « sécurisé » pour le bailleur, comme le dit Patrick Willems, Secrétaire général du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (SNPC) [16]. La venue en force des investisseurs, promoteurs et courtiers immobiliers a considérablement augmenté le nombre d’appartements neufs directement mis en gestion auprès d’une AIS. Par exemple, la société Trevi, spécialisée en courtage immobilier résidentiel, a lancé en 2018 un produit labellisé « Trevi Valuable Invest » qui consiste à la vente sur plan de logements avec la formule AIS à des investisseurs. Eric Verlinden, ex-CEO de Trevi, confirme bien que « les avantages fiscaux liés à la mise en location via une AIS permettent à l’investisseur de s’y retrouver en termes de rendement [17] ». Cela pose évidemment la question de savoir s’il est dans l’esprit du logement social de satisfaire les attentes des investisseurs. La finalité sociale du logement a en tout cas l’air d’avoir été troquée ou du moins subordonnée à une finalité de rendement auprès de certains nouveaux acteurs, investisseurs et promoteurs, qui détiennent une part certes minoritaire, mais grandissante, du parc immobilier géré par les AIS. Ce détournement de l’objectif de départ ne peut être reproché aux différentes AIS. Il est inhérent au système et aux mesures incitatives dont il a fait l’objet. Mais le succès auprès des investisseurs questionne évidemment, et ce sur au moins deux aspects :
Si les AIS permettent certes de donner accès à une partie du parc locatif qui jusqu’alors ne logeait pas de personnes dans les conditions d’accès du logement social, elles sont un outil, d’une part, sans garantie de pérennité, puisqu’à l’issue du mandat le marché privé reprend ses droits, et, d’autre part, coûteux dès lors que c’est in fine le pouvoir public qui met la main au portefeuille pour subventionner l’accès social à un logement qui reste dans les mains du privé.
Si l’idée de répondre aux besoins en logements des classes intermédiaires ne manque pas nécessairement de légitimité, son application dans le cadre des projets Citydev pose question sur différents plans.
Tout d’abord, après vingt ans (dix ans avant 2013) d’occupation contractuelle par le ménage acquéreur, le logement retourne sur le marché privé sans qu’aucun mécanisme de récupération des aides fournies initialement ou de la plusvalue immobilière ne soit prévu. Ainsi, l’aide initialement destinée aux ménages « de classe moyenne », se transforme en un transfert net des ressources publiques vers le secteur privé. Et le logement créé par les pouvoirs publics en vue de « solutionner » quelque peu la crise du logement ne servira plus cette fonction.
Ensuite, Citydev est l’acteur chargé de construire du logement par les pouvoirs publics qui se révèle le plus efficace en termes de production. Compte tenu de la pénurie en logements accessibles aux catégories sociales les plus précaires, cette réalité a de quoi choquer. De plus, l’obligation de résider dans un logement pendant vingt ans ne s’avère pas réaliste pour une partie de la population, étant donné que les ménages sont susceptibles de changer de taille et les individus de projet de vie.
Les avantages fiscaux offerts depuis 2017 ont définitivement élevé les logements AIS en produits de placement immobilier intéressants.
Ces apparentes contradictions pourraient en fait s’expliquer par le fait que la mission de Citydev ne vise pas nécessairement à contribuer au développement d’un parc de logements abordables, mais plutôt à la rénovation urbaine par le biais de l’installation de ménages de classe moyenne dans des quartiers à « revitaliser ». Cette approche de mixité sociale (et fonctionnelle), imposée d’en haut, conduit à la construction de projets fermés sur eux-mêmes, finalement peu articulés aux besoins des habitant·es déjà présents, et aux politiques sociales des quartiers.
En 2013, la Région bruxelloise a adopté une ordonnance visant à faire contribuer le secteur privé à la production de logements abordables. Le principe est simple : tout projet immobilier privé de grande envergure [18] doit s’acquitter de charges, qui peuvent être réglées en espèces ou en nature. Depuis 2013, parmi les options « en nature » envisageables, il est possible de créer des logements conventionnés et/ou encadrés, y compris du logement social. Ainsi, le principe de produire des logements qui peuvent être intégrés dans le parc immobilier géré par une société immobilière de logement social (SISP) moyennant des charges d’urbanisme est acquis.
Cependant, même si l’ordonnance stipulait que ces charges devraient prioritairement être affectées à la réalisation de « logements encadrés ou conventionnés au motif que l’augmentation de l’offre de logements accessibles aux ménages à faibles et moyens revenus est considérée comme une priorité régionale », les charges d’urbanisme n’ont engendré qu’une quantité très limitée de logements conventionnés et/ou encadrés, et encore moins de logements sociaux [19]. Les raisons en sont multiples : le choix pour le promoteur entre différentes options de paiement « en nature », la préférence des communes d’investir les paiements « en espèces » dans l’aménagement d’un espace public ou dans un équipement collectif, la réticence possible pour une SISP de prendre en charge la gestion de logements sociaux individuels au sein de grands ensembles immobiliers privés en copropriété… Au départ, de bonnes intentions étaient présentes, mais les résultats concrets sont fort limités.
Au départ, de bonnes intentions étaient présentes, mais les résultats concrets sont fort limités.
Régionalisé depuis 1989, le Fonds du logement (FdL) était historiquement une association privée qui avait (et a toujours) pour vocation d’aider les familles avec enfants à faibles revenus à se loger dignement à Bruxelles. Nous soulignons ici les deux principaux moyens d’action du fonds.
D’une part, le Fonds du logement gère un parc locatif ancien, diversifié et assez bien réparti sur le territoire de la Région. Celui-ci est occupé par des ménages à revenus faibles et moyens, notamment de grandes familles. Ce logement se rapproche fortement du logement social mis à disposition par les SISP.
D’autre part, et il s’agit de son approche principale, le fond soutient « […] l’accès au logement par le biais de la propriété [20] ». Cet objectif prioritaire se déploie à travers deux outils : la construction et la vente de logements neufs ainsi que l’octroi de prêts hypothécaires [21] et de prêts à la rénovation.
Si le public qui bénéficie réellement des prêts du FdL semble plus proche des classes populaires que des classes intermédiaires, les mêmes remarques que celles faites concernant Citydev s’appliquent. L’aide publique se révèle non pérenne et l’investissement consenti par la collectivité se transforme tôt ou tard en capital privé tandis que les logements construits ou acquis repartent in fine sur le marché résidentiel classique.
Croire dans le logement social c’est penser que ses manquements actuels ne sont pas acceptables. C’est souhaiter non seulement plus, mais également mieux.
Suivant notre idéal démocratique et social, il apparaît évident que parmi les LFS seuls le logement dit social, le parc locatif du FdL et le logement solidaire [22] sont en mesure de nous satisfaire, et que l’action publique en matière de logement devrait tout entière y concentrer ses forces et ses ressources. Nous souhaitons pourtant apporter ici quelques nuances. Car, audelà de la définition, ce sont bien les principes qui comptent : c’est avant tout une question de non-discrimination, d’inversion du rapport marchand, de salubrité et de démocratie à long terme qu’il s’agit de mettre au cœur du logement social. Les mots ne sont importants que parce que les concepts sont détournés.
À ce titre, on ne peut d’ailleurs taire le fait qu’une part importante du logement social ne répond pas à tous ces critères. Soit qu’il est vétuste, soit qu’il est terriblement mal en point, soit que ses habitant·es y sont traités comme des enfants ou, dans le pire des cas, y sont dénigrés Voir Les voix du terrain, p. 15-22 . L’idéal du logement social n’est donc même pas incarné par sa forme actuelle, à tout le moins dans la majorité du parc.
Pourtant ces idéaux ont la peau dure et le champ des possibles est infini. Croire dans le logement social c’est penser que ses manquements actuels ne sont pas acceptables. C’est souhaiter non seulement plus, mais également mieux, et c’est heureusement observer ce qui est déjà occupé à se construire. C’est observer qu’aujourd’hui à Bruxelles et ailleurs on continue à créer, à essayer, à améliorer, à poursuivre, on continue à mettre à disposition des logements dignes, sains, abordables, antispéculatifs et démocratiques. C’est plaider qu’il faut repenser le logement social et l’action publique en matière de logement, non pas en poursuivant le moins-disant, non pas en retirant tout espoir dans la gestion collective, non pas en nous dépêchant vers des « solutions » temporaires et individuelles [23] ; mais en tenant les idéaux au cœur des pratiques de production et de gestion du parc social.
N’est-il pas temps de mettre un terme à ces opérations de « revitalisation » et cesser de persévérer dans des représentations anciennes selon lesquelles « les classes intermédiaires seraient le remède magique à des problèmes sociaux structurels » ? N’est-il pas temps de cesser de dilapider le foncier public par cette fuite en avant qu’est l’aide à l’accès à la propriété privée ?
Créer massivement du logement social revient tout d’abord à poursuivre la politique publique de construction et de rénovation du parc locatif social. C’est un fait qui s’impose. Répondre aux besoins numériques de logements et assurer le contrôle foncier (et financier) d’une proportion significative du parc immobilier sont indispensables. Mais on ne peut pas se contenter de cela : un important travail de reconstruction et d’ouverture de l’idée du logement social doit s’opérer.
La voie vers d’autres modèles de production et de gestion est ouverte, une voie qui fait du vivre-ensemble une réalité [24] et non pas un terme vague et creux. Il est indispensable de donner une place aux habitant·es, une place réelle et active, basée sur des relations sociales et des pouvoirs décisionnels, avec l’aide d’acteurs de terrain (à l’échelle du quartier, de l’habitation, de l’immeuble).
Rêver de ces logements sociaux 4.0 ne fait pas de nous des utopistes, mais au contraire des réalistes. En effet, une réalité immense de personnes en galère échappent déjà à tous nos critères administratifs. Au fond, nous sommes obligés de repenser le logement social. Car aujourd’hui des habitant·es en migration sont en souffrance, car aujourd’hui des jeunes tentent de faire des études et souffrent de leurs conditions de vie, car aujourd’hui des femmes seules avec enfants essaient de trouver des solutions d’entraide. Ces vies sont déjà là, elles sont déjà dans les conditions d’accès au logement social.
Plaider pour plus de logement social et pour qu’il soit autre, c’est au fond plaider pour qu’il soit répondu au besoin de chacun·e de se sentir en sécurité durablement, autrement que par l’accès à tout prix à la propriété privée. Plaider pour tout cela, c’est observer ce que crée le CLTB et d’autres, c’est voir des associations se démener avec des bouts de ficelle pour proposer des logements à des publics en souffrance. C’est entendre que certain·es rêvent de formes immobilières anti-spéculatives (coopératives…), c’est constater que les politiques d’aide à l’accès à la propriété ne permettent pas de rendre durablement les logements accessibles.
En bout de course, c’est croire qu’il est possible de gérer nos sols et nos habitations autrement que par les lois du marché, et rêver qu’un jour le logement social ne soit plus nécessaire. Mais c’est pragmatiquement penser aussi que le marché du logement ne pourra être moins violent demain que si les outils anti-spéculatifs du logement social sont massivement mis en œuvre dès aujourd’hui.
N’est-il pas temps de cesser de dilapider le foncier public par cette fuite en avant qu’est l’aide à l’accès à la propriété privée ?
[1] Comme en attestent les travaux de l’IBSA, le RBDH, etc, pratiquement aucun logement social supplémentaire n’a été créé dans les années 2000.
[2] DPR pour les intimes. Il s’agit du document sur lequel se met d’accord la majorité lors de sa formation juste après les élections.
[3] Monitoring des projets de logements publics n°4, 2020, p.23.
[4] On était à 37 200 unités en 1991 (cairn.info) et 40 347 en 2021 d’après les chiffres de la SLRB.
[5] D’après les estimations du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH).
[6] Monitoring des projets de logements publics n°5, p. 26.
[7] Le principe est simple : proposer aux locataires de logements modérés communaux – qui sont également inscrits sur la liste d’attente de la SLRB pour l’obtention d’un logement social – de bénéficier d’un loyer social : un loyer calculé réellement sur base des revenus du ménage, comme s’ils étaient dans un logement social (communiqué, cabinet Nawal Ben Hamou).
[8] Cf. définition des logements Citydev, p. 13.
[9] À noter que 47 associations œuvrant à l’insertion par le logement (AIPL) bénéficient actuellement d’un agrément et d’une subvention de fonctionnement octroyés par Bruxelles Logement. Mais toutes ces associations n’œuvrent pas nécessairement dans un but strictement social : la dimension durable ou communautaire du projet peut être prioritaire. Certaines ne sont même pas actives dans la production de logements.
[10] M. BERGERAND dans https://metropolitiques.eu/L-eternel-retour-du-parc-social-de-fait.html
[11] La commune de Saint-Gilles ajoute à cela, depuis 2019, une prime annuelle d’encouragement aux propriétaires confiant leur logement à une AIS.
[12] D’après la Fédération des AIS [https://www.fedais.be/faq-proprietaire
[13] P. GODART, E. SW YNGEDOUW, M. VAN CRIEKINGEN et B. VAN HEUR, « Les expulsions de logement à Bruxelles : combien, qui et où ? », Brussels Studies, 2023 [http://journals.openedition.org/brussels/6434].
[14] Exonération du précompte immobilier et réduction de la TVA à 12 % en cas d’engagement sur quinze ans pour toute acquisition d’un logement neuf ou pour tous travaux de rénovation menés dans un logement de moins de dix ans.
[15] Lire à ce sujet les publications du RBDH au sujet des AIS : http://rbdh-bbrow.be
[16] https://trends.levif.be/immo/est-ceinteressant-de-louer-un-bien-via-une-agenceimmobiliere-sociale-ais
[17] https://www.lecho.be/monargent/immobilier/ jusqu-a-3-7-de-rendement-en-location-ais/ 10110643.html
[18] Cela concerne notamment les projets de logements de plus de 1 000 m², les projets de bureaux de plus de 500 m² et les projets de commerces de plus de 2 000 m². Notons également que certains Plans particuliers d’aménagement du sol (PPAS) et permis de lotir peuvent exiger la création de logements régulés mais, à notre connaissance, cela concerne exclusivement des logements moyens conventionnés, tels que ceux produits dans le cadre des projets Tour et Taxis et Pachéco (ex-Cité administrative).
[19] Si aucun bilan global de la production nette de logements encadrés et/ou conventionnés via des charges d’urbanisme n’a été fait à ce jour, la mention très ponctuelle de tels projets dans Monitoring des projets de logements publics à Bruxelles et les Observatoires des permis logement sousentend une certaine ineffectivité de l’outil.
[20] https://fonds.brussels/fr/a-propos/notre-organisation
[21] Une moyenne de 880 crédits ont été réalisés par an entre 2015 et 2022. Par ailleurs, l’argent mis à la disposition des ménages est levé sur les marchés privés.
[22] Cf. notre définition au sein de cet article.
[23] Le projet de « 15 000 solutions » a le mérite d’exister pour les personnes qui en bénéficieraient, mais il nous enferme potentiellement dans le temporaire et passe bien souvent par des transferts nets d’argent public vers le privé.
[24] Comme le fait aujourd’hui le projet Calico du CLTB par exemple.
[25] Voir https://www.cltb.be