Claire Scohier – 22 décembre 2014
En 2011, Atenor rachetait le terrain de l’ancienne entreprise chimique Univar, terrain enclavé entre le boulevard Industriel et le canal à hauteur du bassin de Biestebroeck. Une terre de 5,4 hectares nécessitant une vaste opération de dépollution. A l’époque, le site est affecté en zone d’industrie urbaine (ZIU), mais depuis l’entrée en vigueur du PRAS démographique en 2013, il est passé en zone d’entreprise en milieu urbain (ZEMU), ce qui autorise d’y mixer de la fonction résidentielle et de l’activité productive moyennant le respect de certaines conditions. Il s’agit là du premier projet immobilier d’ampleur sur ces zones nouvellement réaffectées qui passe à l’enquête publique.
L’architecte-promoteur De Bloos y avait rêvé d’une Marina, Atenor d’un nouveau quartier organisé autour d’un bassin. Les contraintes liées à la dépollution et à la mauvaise accessibilité en transports en commun du site ont sans doute contraint le promoteur à restreindre ses ambitions initiales. La dernière mouture du projet consiste en la mise en place d’un nouveau quartier en grande partie résidentiel, en plein bassin industriel, se composant de 116 logements, d’une maison de repos de 120 lits, de commerces (4 000 m²), de services intégrés aux entreprises (9 000 m²), d’un parking à l’air libre de 176 places et de deux parkings couverts pour un total de 199 places. Il déroge à de nombreuses dispositions du règlement régional d’urbanisme (RRU) et n’est soumis qu’à un simple rapport d’incidences, malgré son total de 375 places de parkings.
Sur la gouvernance et l’articulation du projet à la planification régionale
Le projet City Docks risque de faire jurisprudence dès lors qu’il constitue le premier projet immobilier d’une certaine ampleur en zone d’entreprise en milieu urbain (ZEMU). Pour ces zones, le gouvernement soulignait dans son exposé des motifs l’importance de développer un schéma directeur ou un master plan afin de disposer de lignes directrices globales pour le réaménagement de ces territoires, lesquelles devraient ensuite être traduites dans un outil réglementaire comme un PPAS. Il se fait qu’un tel Master Plan a été adopté par la Commune d’Anderlecht début 2014.
Le Master Plan considère que la rive droite du bassin doit préserver toute sa vocation économique et portuaire, que le boulevard Industriel doit conserver sa vocation d’entrée de ville pour les véhicules et que les fonctions économiques y seront privilégiées en pouvant être desservies directement depuis le boulevard. Il importe donc que le présent projet s’inscrive dans les lignes directrices de celui-ci. Par ailleurs, un PPAS est aujourd’hui en cours d’élaboration. Une saine gouvernance voudrait que les permis d’urbanisme et d’environnement pour des projets immobiliers d’ampleur soient postposés dans l’attente de l’adoption d’un tel texte réglementaire. Dans son avis sur le PRAS démographique pour cette zone, la Commission Régionale de Développement avait d’ailleurs rappelé qu’il était « important de préserver des zones industrielles et portuaires autour du bassin de Biestebroeck afin d’y favoriser le développement d’entreprises connectées à la voie d’eau » et insister sur « la nécessité de développer une vision globale de ces îlots, via un plan d’ensemble et/ou un PPAS ». Du reste, la Région bruxelloise est toujours dans l’attente d’un plan régional de développement durable et la capacité de maîtrise des pouvoirs publics sur la zone est limitée dès lors qu’ils ne disposent de pratiquement aucun foncier à cet endroit (excepté les quais qui appartiennent au Port de Bruxelles). Ils détiennent donc peu de marges de manœuvre pour peser sur le devenir de la zone dont le prix du foncier a déjà augmenté, et ce, d’autant que le gouvernement n’a pas anticipé celui-ci par la mise sur pied d’un mécanisme de captation des plus-values.
Les îlots en Rive droite du bassin de Biestebroeck doivent garder une vocation économique
Les terrains de cette zone se divisent actuellement en grandes parcelles, ce qui est essentiel pour certaines entreprises qui n’acceptent de s’installer à Bruxelles que si elles disposent d’un terrain suffisant afin de disposer d’une marge de sécurité par rapport à l’avenir. Elles se prémunissent ainsi contre un besoin de devoir déménager en cas d’agrandissement de leurs besoins en espaces. La conversion en ZEMU nécessitera une division de ces parcelles pour créer des voiries liées à la desserte de la fonction de logement. La division et la réaffectation de ces parcelles pour éviter une approche au coup par coup nécessite un projet de lotissement déterminant le meilleur aménagement possible pour l’ensemble de la parcelle.
Le présent projet ne concerne que 21 300 m² d’une parcelle de 52 000 m². Se pose notamment la pertinence des accès de circulation aux bâtiments projetés par Atenor, laquelle ne peut se penser sans réfléchir aux accès des parcelles suivantes à urbaniser d’autant que la zone connaît déjà la circulation très dense d’une voirie métropolitaine, mal desservie par les transports en commun pour lesquels aucune desserte supplémentaire n’est prévue à court terme. Le rapport d’incidences sur le PRAS démographique soulignait d’ailleurs le risque d’enclavement des logements qui viendraient prendre place à cet endroit. Et qu’en dire lorsqu’il s’agit d’une maison de repos !
L’aménagement pensé au coup par coup par Atenor vient d’évidence en contradiction avec le Master Plan qui prévoit que le front logement devrait être favorisé côté canal et non côté boulevard Industriel. Le Master Plan prévoit en outre comme répartition pour l’ensemble de la zone en rive droite 1 000 logements dont plus de 200 sont déjà prévus par Atenor, et 50 000 m² d’activités productives. Or, le projet d’Atenor ne prévoit aucune activité productive mais seulement du service intégré aux entreprises dit business to business, autrement dit de l’activité de bureaux.
Nul doute que le projet fera aussi les frais d’être un pionnier dans l’idée de mixité fonctionnelle entre les fonctions logement et de maisons de repos dans une zone où le cumul de l’activité économique et d’une circulation poids lourd dense crée d’importantes nuisances sonores au-delà de 70 dB. Quelle que soit la qualité d’isolation des fenêtres, on obligera ces habitants à vivre fenêtres fermées. Selon l’étude acoustique de D2S, tous les bâtiments sont en zone rouge. Dans cette ordre d’idée, le RIE du PRAS démographique déconseillait de placer du logement du côté du boulevard dans la mesure où les exigences acoustiques de type 6 sont peu adaptées à la gestion du bruit d’installations et de voisinage de futurs logements. Les exigences drastiques permettant d’atteindre une certaine compatibilité avec le logement risqueraient de faire fuir les entreprises notamment si on leur interdisait des mouvements de circulation le week-end et la nuit.
Une mauvaise accessibilité compensée par un nombre de parkings exigeant une étude d’incidences
L’aire géographique prise en considération par le rapport d’incidences du projet est limitée aux voiries adjacentes. Le site est desservi par une seule ligne de bus, il n’y a pas de station de métro, de ligne de tram, et la gare du Midi est à plus de 1,5 kilomètres. Vu la mauvaise accessibilité du site en transport en commun (zone C), il n’est pas étonnant que le projet soit assorti de 375 places de parkings. Or, en vertu du COBAT, tout projet prévoyant plus de 199 places de parkings doit être soumis à une étude d’incidences. Le fait que certains parkings soient en surface et d’autres en sous-sol ne permet pas au demandeur de considérer que le nombre total de places de parkings liées au projet est inférieur à 200 places. Les flux de circulation et l’impact sur l’environnement est pour partie identique que les places soient en sous-sol ou en surface. Et de fait, la mauvaise accessibilité du site en transport en commun oblige à de nombreuses dérogations au RRU rendant d’autant plus nécessaires la réalisation d’une étude d’incidences au lieu d’un simple rapport d’incidences.
En effet, le projet déroge aux :
Le projet déroge également au projet de PPAS « Rive Droite » dans ses parties non abrogées par le PRAS démographique. Le demandeur motive la dérogation par le fait que le boulevard serait devenu urbain et anticipe sur une possible évolution future non confirmée par le Master Plan qui prévoit l’accessibilité du transport lourd ancré sur le boulevard Industriel. Selon lui, le boulevard Industriel maintient sa fonction première d’axe de distribution. De part son importance comme axe de transit, les entrées et sorties des véhicules directes sur l’axe sont limitées par la création de dessertes parallèles au boulevard Industriel. Le projet ne respecte pas ce prescrit. En effet, le boulevard Industriel constitue l’axe majeur de pénétration en ville et doit donc, à ce titre, conserver sa capacité, ce qui suppose que les dessertes des immeubles soient organisées par des allées et des contre-allées aménagées sur les parcelles. À défaut, les manœuvres pour atteindre et sortir des emplacements de parkings risquent d’accroître la congestion d’un boulevard accueillant déjà 2 000 evp/h à l’heure de pointe du matin et du soir. Sans compter que l’aménagement d’un rond-point d’accès au Pont Marchand pourrait encore accroître le passage de véhicules par la rue de la Petite Île. Le rapport se contente de considérer que la voirie pourra absorber cette surcharge sans plus de motivation.
Les multiples demandes de dérogation s’expliquent par le fait que le terrain n’est pas adapté à sa nouvelle fonction d’accueil de logements. Il s’agit d’un « projet pilote » sur une ZEMU qui mérite d’autant plus d’attentions qu’il servira de précédent. Accepter une multitude de dérogations (démontrant par ailleurs l’inadéquation de ce terrain pour accueillir la fonction logement : insuffisance du réseau d’égout, pollution des sols, manque d’accessibilité) va conduire à un urbanisme de dérogations massives dans ces zones adaptées, a contrario, à l’accueil d’activités productives. C’est d’ailleurs la forte pollution du sol qui oblige le demandeur à réaliser autant de parkings à l’air libre dès lors qu’il est dans l’impossibilité de réaliser un étage souterrain supplémentaire.
Un réseau d’égouttage insuffisant
Apparemment, les eaux seront évacuées vers les égouts de la rue du Développement et de la rue de la Petite Île. Il faudrait toutefois s’assurer d’un réseau d’égouttage suffisant dès lors que le RIE sur le PRAS démographique soulignait le fait que le site disposait d’un réseau d’égouttage déjà insuffisant en l’état avec pour conséquence que les eaux usées de certaines entreprises sont directement rejetées dans le canal. La création de logements va encore accroître fortement les exigences liées au réseau d’égouttage avec des coûts très importants pour les pouvoirs publics afin de viabiliser des terrains privés. On garde tous en mémoire que les eaux usées de la tour Up-Site, du même promoteur, se déversaient directement dans la Senne.
Un non-respect des conditions minimums d’habitabilité
Le rapport d’incidences lui-même reconnaît l’isolement dans lequel seront placées les personnes résidant à cet endroit. Le demandeur est obligé de tabler sur l’existence de futurs projets pour garantir un niveau d’habitabilité suffisant. En l’état, les futurs résidents vivront enclavés entre un boulevard quasi auto-routier, des parcelles industrielles, une vue sur les parkings de Léonidas et un terrain vague (la partie du terrain d’Atenor non construite) ne garantissant pas le contrôle social minimum que l’on peut attendre d’un endroit résidentiel. Les personnes seront en outre captives des quelques commerces prévus et des quelques espaces verts résiduaires envisagés. Les personnes âgées de la maison de repos risquent de subir de plus belle une situation d’isolement dès lors que seules les personnes motorisées pourront leur rendre visite. En soirée, les entreprises se vident et la zone est déserte. Et ce n’est pas la maison de repos qui va aider à l’exercice du contrôle social en soirée. Elles supporteront la pollution importante et les micro-particules liées à la forte densité de circulation d’un axe de transit pour les poids lourds ainsi que des nuisances sonores dépassant les seuils admissibles. Leur immeuble sera planté dans un parking de 176 véhicules à ciel ouvert. Et le tout à 300 m d’un site Seveso !
En conclusion, IEB exige le respect des conditions suivantes :