« Cities of Making » [1] est un projet de recherche européen d’une durée de deux ans et demi qui étudie l’industrie urbaine dans le contexte de trois villes européennes : Bruxelles, Londres et Rotterdam.
Chacune de ces villes a eu un passé industriel important puis a connu un déclin et une délocalisation de cette activité. Les emplois dans le secteur manufacturier ont cédé la place à des emplois dans le secteur des services. Ces villes se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins avec un secteur manufacturier très affaibli.
L’Europe reste toutefois une région manufacturière de premier plan – sept des vingt premiers pays manufacturiers du monde sont situés sur le continent [2] – et le secteur manufacturier européen représente encore actuellement 32 millions d’emplois. En ce sens, la Commission européenne dans le document « Pour une Renaissance industrielle européenne » (2014) encourage la réintroduction de la production de biens et de services en Europe par le biais de politiques et d’actions spécifiques visant à reconstruire une base industrielle plus solide. [3] En outre, plusieurs pays évaluent les opportunités liées au rapatriement éventuel des entreprises manufacturières, reconsidérant les possibilités de croissance dans le cadre notamment des principes d’économie circulaire. Compte tenu des impacts environnementaux, de l’augmentation de la production de déchets, de la dépendance croissante de l’économie européenne vis-à-vis d’autres pays et des périodes de crise socio-économique de plus en plus fréquentes, il est clair que de nouvelles stratégies pour un développement plus écologique et social sont nécessaires. L’économie circulaire s’impose donc comme un modèle économique de production et de consommation capable de dépasser les limites de l’économie linéaire [4] face aux nouveaux objectifs européens [5], en utilisant le métabolisme territorial et l’écologie industrielle comme stratégies pour guider la transition. [6]
Dans ce contexte, Cities of Making se met un objectif ambitieux et complexe, parfois mal compris. D’une part, la recherche vise à contribuer à une définition plus précise de la manufacture urbaine, basée non pas tant sur des macro-catégories ou des classifications statistiques d’activités économiques, comme les codes NACE, mais sur une compréhension des réalités urbaines spécifiques de chaque ville étudiée, à partir de zones prototypes et études de cas analysés d’un point de vue spatial, socio-économique, du degré d’innovation et de l’organisation politique.
À Bruxelles, par exemple, les zones de Buda, Cureghem et Drogenbos-Stalle ont été choisies pour leurs différentes caractéristiques morphologiques, pour leurs différents degrés de mixité urbaine, mais aussi pour des questions propres à chacune d’entre elles. Quel est le rôle futur des grandes zones frontalières monofonctionnelles et quelles sont les conséquences de leurs éventuelles transformations en zones mixtes ? Y a-t-il une intégration possible des (petites) activités manufacturières pour les travailleurs peu qualifiés dans les zones densément peuplées et soumises à une forte pression économique ? Peut-on parler d’un modèle bruxellois équilibré de mixité urbaine historique et qui puisse être appliqué à d’autres territoires ?
Après avoir identifié les problèmes, les opportunités et les modèles spécifiques aux contextes examinés à Londres, Rotterdam et Bruxelles, le projet de recherche vise à mettre en place des tables de travail autour desquelles les institutions, les acteurs locaux et les associations, les entreprises, les parties prenantes et les représentants de la société civile peuvent se regrouper pour discuter des résultats et des solutions préliminaires, en travaillant concrètement sur des scénarios possibles et des projets réalisables.
Si, d’un côté, il reste fondamental pour le (petit) groupe de travail d’établir des parallèles entre les trois villes en question afin de tenter d’esquisser des similitudes et des solutions exportables vers d’autres contextes européens, d’un autre côté, il est de notre devoir de souligner le degré de complexité des contextes étudiés et la partialité des résultats futurs. La partialité, cependant, n’est pas synonyme de non-pertinence. Nous pensons que la tentative d’allier une approche qualitative à une analyse quantitative et leur application à des cas choisis sur la base de leur valeur représentative de situations emblématiques peut servir de levier non seulement pour des discussions dans le domaine scientifique mais aussi, et surtout, pour des réflexions opérationnelles adressées aux décideurs politiques, aux entreprises et aux acteurs locaux.
Dans le cas de Bruxelles, les efforts déployés ces dernières années de plusieurs parts en vue d’une meilleure gestion territoriale et d’une optimisation de la gouvernance pour surmonter les difficultés structurelles telles que la fragmentation des pouvoirs, la division linguistique et les barrières administratives, la polarisation sociale et la pauvreté urbaine, le chômage et l’absence d’un système de formation efficace sont évidents même si pas suffisants.
En ce sens, Cities of Making ne souhaite pas proposer la dernière solution à la complexe liste des questions mentionnées ci-dessus, mais plutôt un outil de réflexion et un bras opérationnel et complémentaire aux travaux en cours par d’autres groupes et institutions qui travaillent à divers titres sur les aspects des villes productives : l’Atelier Productive BXL, les réflexions de l’équipe du maître architecte ou de celle faisant le suivi du Plan régional d’économie circulaire, l’Observatoire des activités productives… À travers cette étude, l’objectif n’est pas de fournir une formule mathématique sur l’avenir de l’industrie dans la ville, ni de créer une liste fermée d’activités productives compatibles avec le contexte urbain, mais plutôt de développer des outils et un modus operandi qui peuvent répondre de manière pragmatique aux besoins socio-économiques et environnementaux contemporains.
[2] C. Rhodes, Manufacturing : international comparison London, House of Commons Library, TSO, 2018.
[3] M. Cerruti But, C. Mattioli, R. Sega, I. Vassallo, « Territori nella reindustrializzazione », in Territorio 81/2017, pp. 65-65.
[4] S. Kampelmann, De Muynck, Les implications d’une circularisation des métabolismes territoriaux - une revue de la littérature, prossima pubblicazione, 2017.
[5] Ellen MacArthur Foundation, Towards the circular economy : Economic and business rationale for accelerated transition, vol. 1, 2013.
[6] A. Athanassiadis, B. Merckx, F. Paolini, L. Noel (2015), Métabolisme de la Région de Bruxelles-Capitale : Identification des flux, acteurs et activités économiques sur le territoire et pistes de réflexion pour l’optimisation de ressources, Rapport final.