Lors du premier confinement, alors que les milieux associatifs alertaient sur le risque d’exacerbation des inégalités sociales dans notre société, nos forces de police semblaient faire de l’application de certaines mesures sanitaires une priorité dans leurs actions de terrain. En dépit du bon sens et des réalités de chacun·e. En temps de crise, souligner ces incohérences et la violence de ces interventions, c’est risquer de s’exposer à une sanction, voire à un passage devant un juge.
Lors du premier confinement, alors que les milieux associatifs alertaient sur le risque d’exacerbation des inégalités sociales dans notre société, nos forces de police semblaient faire de l’application de certaines mesures sanitaires une priorité dans leurs actions de terrain. En dépit du bon sens et des réalités de chacun·e. En temps de crise, souligner ces incohérences et la violence de ces interventions, c’est risquer de s’exposer à une sanction, voire à un passage devant un juge.
Le 17 avril dernier, à l’heure où le gouvernement annonçait la réouverture des pépinières et des magasins de bricolage « pour rendre la prolongation du confinement supportable pour tous », j’assistais à une impressionnante intervention de police dans le parc de la Porte de Hal.
Ils étaient une bonne vingtaine avec leurs chiens à déloger les personnes sans abri installées sur les bancs publics, sous prétexte que l’on devait impérativement « rester en mouvement » pour éviter la propagation du virus. On voyait les personnes visées se lever machinalement pour aller s’asseoir en bordure de route quelques mètres plus loin. C’était absurde et humiliant. Fallait-il leur rappeler que nous n’étions pas tou·tes égaux·ales face au confinement ? Était-ce bien sensé et justifié de déployer autant de moyens pour chasser celles et ceux qui n’avaient souvent pas d’autres lieux que les parcs et les places publiques pour se confiner ?
Les voyant discuter avec un homme qui rechignait à bouger, je me suis approchée d’une des policières, mon fils de 4 ans dans une main, mon sac de courses dans l’autre, pour comprendre le sens de leur intervention. Cette dame n’a visiblement pas apprécié ma question, m’a répondu sèchement que cela ne me regardait pas. J’ai rapidement cessé de discuter avec elle, comprenant que cela ne servirait à rien, mais je suis restée en retrait pour observer la scène. L’un de ses collègues m’a alors ordonné, d’un ton menaçant, de circuler et de rentrer chez moi, considérant que je n’avais « rien à faire dehors ». N’ayant pas obtempéré à son injonction, il a procédé aussitôt au contrôle de mon identité. J’ai fini par quitter les lieux, sous le regard ahuri des passant·es qui avaient assisté à la scène. Consternée, mais l’esprit tranquille, car j’estimais n’avoir rien à me reprocher.
Mi-juillet, je reçois pourtant un courrier de la Ville de Bruxelles qui m’informe qu’une amende administrative de 75 € m’a été infligée, suite au PV de police dressé à mon encontre en avril dernier. Faute d’avoir entendu ma version des faits (ledit courrier m’invitant à le faire ne m’étant jamais parvenu), le fonctionnaire sanctionnateur a confirmé la sanction pour « non-respect d’une injonction de police ». J’ai perdu l’occasion de me défendre devant les instances communales et, en contestant cette décision (véritable « parcours de la combattante » pour la non-initiée que je suis), l’affaire passe automatiquement au tribunal de police.
« C’est à cause de gens comme vous que des interventions dégénèrent. »
Je décide d’assurer seule ma défense le jour de l’audience. Pas question pour moi, outre le temps et l’énergie mobilisés, de devoir assumer en plus des frais d’avocat pour des faits aussi insignifiants que ceux qui m’amènent ici. Face à moi, l’avocat de la partie adverse qui représente la Ville de Bruxelles. Il me remet ses conclusions au moment d’entrer dans la salle d’audience. Selon lui, mon appel est irrecevable car je n’y formule pas de demandes claires et qu’il ne respecte pas l’article 1034 ter du Code judiciaire. Je perçois d’emblée que son approche vise à souligner des vices de forme, mais il n’y a rien dans sa défense qui porte sur les faits reprochés. Je comprends vite que je suis dans leur univers et que je n’en maîtrise ni les codes ni les pratiques. Face au juge, je suis considérée d’emblée comme coupable, cataloguée – de manière simpliste et simplifiée – comme antiflic et anti-mesures Covid. En réalité, je ne suis pas là pour donner ma version des faits mais pour me défendre de celle de ce policier à qui, par principe, on semble donner tout crédit et légitimité d’action. Pas question ici de défendre une position citoyenne : selon ce juge, c’est à cause de « personnes comme moi » que des interventions dégénèrent chaque semaine. À plusieurs reprises, il défend le « difficile travail de la police dans ce contexte de pandémie et le non-respect des mesures sanitaires par les citoyens ». Le ton est condescendant, culpabilisant et mes propos sont sans cesse déformés. Je me sens flouée, avec l’impression d’assister à une mise en scène, dont l’issue finale est en réalité connue d’avance par tous ici.
Un mois plus tard, je reçois le jugement. Mon appel a bien été jugé « recevable », mais « non fondé » par le juge qui – sans surprise – a tranché en faveur de la version policière en confirmant la sanction. Avec une majoration de 230 € (incluant une indemnité de procédure en faveur de la partie adverse ainsi que des frais de droits de mise au rôle) pour l’avoir contestée ! De quoi dissuader clairement celles et ceux qui veulent faire entendre leur version… Si le document reprend longuement l’argumentaire selon lequel je n’avais pas à intervenir dans une « paisible » opération de police, ce dernier s’appuiera principalement sur le non-respect des règles sanitaires en place au moment du confinement, à savoir : ma position statique (alors que j’étais en observation) et le fait de ne pas me trouver dans le parc le plus proche de mon domicile au moment des faits. Des arguments qui ne sont même pas repris dans le PV de police initial et qui n’ont jamais été énoncés le jour de l’audience.
La case « Covid » serait-elle devenue le nouveau « pot pourri » de la justice belge ? Une manière d’éviter tout questionnement sur la légitimité de certains contrôles d’identité et sur la légalité et la proportionnalité des sanctions infligées en pagaille depuis des mois dans notre pays ?