La Région bruxelloise est un territoire attractif. Comme la ville est à la fois un bassin d’emploi important et la capitale de nombreuses entités politiques, elle attire chaque jour des milliers de travailleurs. La congestion des voiries qui en résulte a un impact sur la collectivité. D’aucuns évaluent son coût à 375 millions d’euros [1]. Cependant, on ne peut pas résumer ses conséquences à leur simple dimension économique. Les multiples embouteillages engendrent, en effet, chaque jour des nuisances sonores, de la pollution atmosphérique et de la frustration pour les riverains et les automobilistes. Ce constat amène les différents acteurs à proposer des réformes. Ces dernières années ont ainsi été marquées par l’apparition d’une zone de basse émission, par l’élaboration d’un nouveau plan stratégique de mobilité pour la ville et par différents projets d’infrastructures (RER, Métro 3, Élargissement du ring, « Brabantnet »). Ce foisonnement d’initiatives a été complété le 15 décembre 2017 par un projet de loi instaurant l’allocation mobilité en Belgique. Elle permettrait, selon ses rédacteurs, d’échanger une voiture de société contre du numéraire afin de proposer aux travailleurs, une alternative durable répondant à la fois aux défis environnementaux et aux problèmes actuels de mobilité [2]. Pour nous, cette nouvelle disposition réglementaire est une opportunité de revenir sur l’avantage en nature.
L’allocation historicisée
Le succès des voitures de société en Belgique n’est pas un fait naturel. Afin de mieux appréhender les raisons incitant le gouvernement à élaborer une alternative à ce dispositif, il est essentiel de définir ce qu’est une voiture de société et de montrer comment, au cours du temps, le phénomène va prendre de l’ampleur. Une voiture de société peut donc être conçue comme « une voiture mise à la disposition d’un travailleur par sa société ou son employeur et qui peut être utilisée pour des besoins privés. Sont donc exclus de cette définition le véhicule personnel d’un indépendant (à titre principal, complémentaire ou aidant) ou la voiture de service qu’un employeur met à la disposition de son personnel pour des déplacements exclusivement professionnels. Deux catégories de bénéficiaires sont donc concernés dans le cadre de cette définition : les salariés (450 000 voitures en 2016) et les dirigeants d’entreprise (+/- 200 000 voitures en 2016) ; ces derniers ayant un statut d’indépendant. » [3].
L’origine historique du dispositif est plus difficile à déterminer. Ces fondements sont d’ailleurs antérieurs à l’émergence de l’automobile comme bien de consommation. En effet, dès 1919, le législateur acte que tout avantage en nature perçu par un travailleur doit être considéré comme une rémunération et est imposé comme tel [4]. L’administration va donc se saisir de ce principe et décide d’interpréter l’avantage en nature de manière très large. Si le mode de calcul était parfois adapté, l’innovation technologique va considérablement complexifier l’opération. L’usage d’une voiture de société, par exemple, exigeait souvent des négociations avec les fonctionnaires de l’État et une incertitude quant aux montants dus par les contribuables.
De ce fait, deux arrêtés royaux, en 1980 et 1992, vont clarifier la situation. Le premier élargit le principe d’avantage en nature en « avantage toute nature ». Par ailleurs, il précise une méthode pour évaluer l’avantage procuré par une voiture de société : une indemnité kilométrique forfaitaire multipliée par le nombre de kilomètres parcourus à des fins privées tout en déduisant les éventuels frais de carburant. L’imposition des revenus s’appliquera ensuite sur le montant obtenu. Le second, l’arrêté de 1992, fixe le minimum absolu pour le kilométrage privé que peut déclarer un travailleur [5]. Si les nouvelles législations ont pour avantage d’introduire une plus grande clarté sur le calcul du montant de la taxe, elle officialise, par ailleurs, une fiscalité différenciée en fonction de la nature des revenus du travail. Si la rémunération est exprimée par un salaire, elle s’acquittera des taxes et des cotisations sociales usuelles. A contrario, si elle est attribuée pour certains usages définis par des conditions strictes [6], elle bénéficie d’un régime fiscal favorable.
Cette distinction est établie intentionnellement. Les années 80 sont, de fait, une période de transformation pour l’économie mondiale. La fin des trente glorieuses, l’émergence d’un chômage structurel et la crise économique tendent à transformer le rôle de l’État au sein de l’économie nationale. En effet, durant les années de croissance, l’État était le garant du partage des gains de productivité entre le travail et le capital [7]. Les années de crise, quant à elles, voient l’émergence d’un État chargé de protéger la compétitivité des entreprises belges [8]. Les « avantages toute nature » sont donc un instrument permettant de contourner la fiscalité progressive des revenus du travail [9]. À ce titre, la voiture de société est un mécanisme performant pour baisser les contributions des plus hauts revenus. Les premières cotisations sociales sur ce dispositif n’apparaîtront d’ailleurs qu’en 1997 et, entre-temps, la « voiture salaire » en Belgique est devenue une réalité.
Si les arrêtés royaux précédemment cités précisent une méthode de calcul de l’impôt pour les voitures de société, ceux-ci ne sont pas exempts d’interprétation. Ainsi, la législation de 1992 précisait le nombre de kilomètres minimal qu’un privé devait déclarer. Cependant, les entreprises ont considéré ce minimum absolu (5 000 km) comme un plafond forfaitaire [10]. Cette vision était loin de satisfaire l’administration fiscale puisque, de son coté, elle considérait que les kilométrages privés devaient être envisagés comme l’ensemble des déplacements réalisés à des fins personnelles, en ce compris la somme des kilométrage réalisés quotidiennement entre son domicile et son lieu de travail. Derrière cette mésentente, les enjeux sont important. En effet, le kilométrage privé est une variable importante pour évaluer le montant de la taxe sur l’avantage toute nature. Par exemple, si un employé déclarait en 2003 qu’il avait parcourue 5000 km, le fisc considérait alors que l’avantage obtenu était de 1573€, et calculait donc l’imposition sur base de ce montant. Par contre, sur une base de 17 000 km, l’avantage aurait été à 5350€. En se basant sur cet exemple, l’État perdait annuellement 1800 € en revenu fiscal. Dés lors, en déclarant systématiquement le minimum légal, les entreprises ont transformé une variable de la formule en constante, et ont diminué mécaniquement les sommes perçues par l’ État. L’administration fiscale s’est donc saisie du problème et lance, entre 2002 et 2003, une série d’enquêtes afin d’évaluer objectivement l’avantage procuré par l’utilisation de ces véhicules. Son intention est de les taxer à leur juste mesure. Cette initiative va provoquer des réactions importantes et une circulaire administrative réglera le problème en 2004. Le fait est hautement inhabituel et, pourtant, la circulaire a été signée par le ministre de tutelle de l’époque, Didier Reynders. Elle coupe court à toute interprétation. Si le trajet entre le travail et le domicile est inférieur à 25 km, le forfait sera calculé sur une base de 5 000 km, si il est supérieur, le forfait équivaudra à 7 500 km [11].Cette circulaire a donc réduit sensiblement la taxation des voitures de société en Belgique puisqu’elle établit un plafond maximal. De plus, elle accorde, de facto, une amnistie fiscale à toutes les entreprises qui ont antérieurement contrevenu à la législation. Les impacts de la circulaire sont donc signifiants et, pourtant, il ne s’agit que d’une simple directive administrative. Ils n’émanent donc pas d’une loi !
Il faudra, donc, attendre décembre 2011 pour que le gouvernement Di Rupo décide de réagir. Il adapte la législation afin de renforcer la taxation existante. Pour ce faire, une nouvelle méthode est élaborée et deux nouvelles variables sont choisies. Le calcul sera donc le suivant : 6/7 de la valeur catalogue du véhicule multipliés par un taux calculé en fonction de ses émissions en CO2. L’objectif de la mesure est d’augmenter la fiscalité sur le dispositif tout en encourageant les entreprises à choisir des véhicules moins polluants. Malheureusement, si l’intention est louable, elle va se heurter à l’actualité. Le Dieselgate va, en effet, mettre en évidence les écarts existants entre les émissions d’un véhicule en circulation et les moyennes théoriques de CO2 calculées en laboratoire. Transport&Environnement, une fédération d’ONG européenne, estime, d’ailleurs, que ces écarts s’élèvent à 40% en raison des différents mécanismes d’optimisation mis en place par les constructeurs [12].Le décalage qu’il existe entre les mesures en laboratoire et les émissions réelles du véhicules introduit donc un biais dans le calcul de l’impôt. Si les montants ne correspondent pas à ce que législateur considérait comme juste à l’époque, la loi a toujours cours aujourd’hui.
Ces quinze dernières années ont donc été marquées par des ajustements sur la fiscalité de l’avantage en nature. Si ceux-ci ne voulaient pas explicitement encourager le phénomène, l’utilisation de critères légaux inadaptés à la régulation ou la sous-évaluation du kilométrage parcouru à des fins privées ont conduit le nombre de voitures de société à croître rapidement. Entre 2006 et 2015, leur nombre est passé de 272 000 à 425 000 véhicules pour les employés (+56%) [13]. Les dirigeants d’entreprise bénéficient également de cette tendance mais, comme ils ne sont pas assujettis aux cotisations sociales, l’augmentation est difficilement quantifiable. D’un point vue global, en se basant sur certaines estimations, on peut affirmer que le parc total de voitures de société s’élève, en 2015, à 625 000 véhicules, que 13,5% des travailleurs en bénéficient et qu’elles représentent 11% du parc total de voitures au sein du pays [14]. Le recours massif à ce mécanisme d’optimisation salariale tend donc à avoir des conséquences sur le secteur de la mobilité et de l’environnement.
L’allocation problématisée
On peut illustrer ce constat en comparant le comportement des conducteurs de voitures de société et ceux qui n’en profitent pas. Les ménages bénéficiant de ce type de mesure parcourent en moyenne 58 km en plus par semaine pour aller travailler. Ils ont d’ailleurs tendance à privilégier ce moyen de transport au détriment des autres. En outre, ils utilisent également leurs voitures à des fins privés sur de plus longues distances (+8,2 km par jour) tout en ayant « plus de voitures, des voitures plus grandes, plus récentes et de valeurs plus élevées ». [15]. Et comment leur reprocher cet usage différencié ? Puisque ces véhicules bénéficient de conditions favorables, les utilisateurs ne sont aucunement incités à aller habiter à proximité de leurs emplois. Ils bénéficient, par ailleurs, de subventions de l’État lorsqu’ils partent en week-end. Malheureusement, cette différence de comportement va induire de la congestion routière et des émissions polluantes. Ces retombées concernent, d’ailleurs, prioritairement les espaces urbains puisque les voitures de société se concentrent au sein des grands ensembles métropolitains du pays [16].
Il ne faudrait cependant pas résumer les impacts du régime des voitures de société à ces conséquences directes sur la mobilité et l’environnement. L’ampleur du phénomène conduit, en effet, une niche fiscale à devenir une ligne importante sur le budget de l’État. Les estimations du coût global de l’avantage en nature varient fortement en fonction des sources. Ainsi, le Bureau Fédéral du Plan estime que le dispositif fait perdre 1,5 milliard d’euros au seul impôt sur le revenu [17]. En incluant les cotisations sociales, Brussels Studies arrive à un montant de 2 milliards d’euros par an. De son coté, Copenhague Economics estime que les voitures de société coûtent 4 milliards par an à la société belge si on prend en compte l’ensemble des coûts indirects que le dispositif engendre : l’entretien des routes, les embouteillages, les accidents, la pollution et les soins de santé [18]. Afin de mieux appréhender l’ampleur de ces montants, il est intéressant de les mettre en perspective avec d’autres postes de dépense de l’État en matière de mobilité. Les dotations annuelles de l’État à la SNCB, le prestataire national de service ferroviaire, s’élèvent à 1,7618 milliard en 2016 [19]. Autrement dit, l’avantage en nature coûte plus cher à la société belge que l’ensemble des montants alloués à une entreprise chargée de transport public [20]. Les montants excessifs d’une subvention attribuée à un moyen de transport individuel peuvent donc mettre en suspens le développement d’alternatives à la voiture. Cette réflexion prend d’ailleurs tout son sens lorsque l’on sait que le montant nécessaire à l’achèvement du RER ne s’élève qu’à 1,05 milliard d’euros [21].
L’allocation solutionnée
Ce régime fiscal, très avantageux, des voitures de société, a été remarqué par diverses institutions internationales. En 2015, l’OCDE s’attaque à cette spécificité belge et suggère que l’on diminue les subsides de l’État afin d’améliorer la qualité de l’air au sein du pays. Du côté du gouvernement, divers scénarios sont sur la table et chaque parti propose sa propre solution. Pour la NVA, on ne peut toucher à ce régime qu’en cas de baisse de l’impôt sur le travail. Le CD&V propose la mise en place d’un budget mobilité. La voiture de société pourrait être échangée contre un montant pouvant être attribué à différents moyens de transport (vélo, train, voiture, etc.). Le MR et l’Open VLD, quant à eux, proposent que les bénéficiaires puissent échanger l’avantage en nature contre une somme d’argent versée mensuellement : le fameux « cash for cars » [22].
Cette dernière solution va prévaloir lors des négociations budgétaires de l’année 2016 et le gouvernement va rédiger une proposition de loi en ce sens. La nouvelle législation instaure donc une nouvelle allocation mobilité. Elle doit être une alternative concurrentielle au dispositif actuel tout en étant neutre pour chaque acteur en présence : l’État, l’employeur ou le travailleur [23]. Les employés peuvent donc en bénéficier de manière volontaire sans qu’aucun des acteurs n’en tire d’avantages particuliers puisque l’allocation bénéficie du même statut fiscal favorable. Cette allocation mobilité est calculée en multipliant 6/7 de la valeur catalogue du véhicule par un pourcentage fixe (20% ou 24% si le conducteur bénéficie d’une carte essence). Le gouvernement décide donc de ne traiter qu’une partie du problème puisqu’il essaye de limiter les subventions accordées à un équipement tout en maintenant un mécanisme d’optimisation salariale.
Cette solution partielle va donc être analysée par le Conseil d’État en novembre 2017. Ses conclusions sur l’avant-projet de loi sont pour le moins cinglantes. Il considère ainsi que la loi ne répond pas aux principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination ! En effet, puisqu’une somme d’argent est accordée aux bénéficiaires du nouveau dispositif sans que son usage soit limité et conditionné, le Conseil considère qu’il n’y a pas de différence substantielle entre cette allocation et un salaire. Dès lors, les différences de traitement fiscal accordées à la voiture de société ne se justifient plus. L’allocation devrait donc être traitée comme une rémunération brute et imposée en conséquence [24]. Par ailleurs, le Conseil estime que l’indemnité n’est pas un moyen adéquat pour atteindre l’objectif poursuivi par la loi : une solution à la congestion automobile. D’une part, parce que le mécanisme est susceptible de convaincre uniquement les travailleurs bénéficiant actuellement d’une liaison rapide en transport en commun et, d’autre part, en raison de possibles applications répétées de la nouvelle législation. Un travailleur peut tout à fait bénéficier de nouvelles dispositions initiées par « cash for car », acheter une voiture privée à ses frais tout en bénéficiant à nouveau d’une voiture de société dans le cas d’une promotion ultérieure [25]. Pourtant la loi est adoptée en mars 2018 par la Chambre.
En juillet 2018, l’échec est déjà retentissant. Seuls 23 travailleurs ont décidé d’échanger leur voiture de société pour la nouvelle allocation [26] ! Le témoignage de l’un des bénéficiaire montre, par ailleurs, l’inefficacité de la mesure. Il a échangé sa voiture de société contre une indemnité mensuelle de 1 050 euros par mois. Avec celle-ci, il a immédiatement pris un contrat de leasing couvrant l’usage d’une voiture et de son carburant, tout en bénéficiant de quatre cents euros supplémentaires de revenus mensuels [27]. En septembre 2018, afin de sauver ce qui peut l’être, le gouvernement rédige un nouveau projet de loi et supprime certaines mesures anti-abus présentes antérieurement. Ainsi, il décide d’élargir l’accessibilité du dispositif en supprimant certaines conditions auxquelles le bénéficiaire devait souscrire. Tout travailleur pourrait dorénavant bénéficier de l’allocation mobilité s’il est éligible au nom de la politique de l’employeur. Le fait donc d’avoir une voiture de société ne constituerait plus un préalable. De plus, la promotion ou le changement de fonction pourra être considéré comme élément suffisant pour bénéficier de « cash for car ». La formulation est tellement large que d’aucuns prédisent déjà que la plupart des augmentations salariales se fera au travers de ces moyens. Le tout engendrerait des pertes considérables en matière de cotisations sociales [28].
L’allocation désocialisée
Le gouvernement justifie donc son projet de loi au nom d’impératifs liés à la mobilité et à l’environnement. Ce faisant, n’oublie-t-il pas les enjeux du financement de la sécurité sociale ? Actuellement, on considère qu’elle est financée à hauteur de 65% par les cotisations sociales. Elles sont donc essentielles au budget de l’État-Providence. L’allocation mobilité conforte pourtant les réductions d’impôts et de cotisations sociales offertes par les voitures de société. De fait il est dorénavant possible de réaliser cet exercice sans détenir de véhicule. Le dispositif affaiblit donc, de facto, la redistribution horizontale des revenus au sein du système de protection sociale. Ce sentiment ne doit malheureusement pas se résumer à la loi qui nous occupe ici. Le régime des voitures de société est par essence un mécanisme inégalitaire. Ainsi 73% des voitures de société sont détenues par les 20% des Belges ayant les revenus les plus importants. Le dernier décile des revenus concentre à lui seul 51% des véhicules de société en Belgique [29]. Au vu du coût important de l’avantage en nature, on peut dire qu’un mécanisme établi pour éviter un impôt progressif est devenu une subvention « régressive » : un dispositif essentiellement financé par les travailleurs à destination des ménages les plus nantis.
Un nom pour un autre
Un écrit se structure autour d’intitulés et de divers développements. Pourtant, les titres introduisant ce travail sont inappropriés. L’objectif est de mettre en évidence le fait que le terme « allocation mobilité » est une appellation fallacieuse. Certes, la législation touche à un moyen de transport. De fait, les problèmes environnementaux liés à l’avantage en nature nécessitent une intervention urgente. Cependant, le nouveau dispositif ne répond en rien à la crise actuelle. Au travers de son nom, le gouvernement semble vouloir dépolitiser la question de la voiture de société. Il oublie de préciser que c’est un mécanisme d’optimisation salariale ayant pour fonction d’éluder l’impôt. Pourtant, l’actualité récente montre qu’il est nécessaire de nommer les phénomènes adéquatement. Le mois de novembre 2018 a, en effet, été marqué par les blocages de différentes raffineries par les « gilets jaunes ». Leurs revendications sur le carburant ont poussé nombre de commentateurs à opposer écologie et justice sociale. Cependant, leurs mécontentements semblaient davantage portés sur la hausse des assises du diesel instituée par le gouvernement Michel lors du « Tax Shift ». L’objectif de la réforme était alors de diminuer le prélèvement sur le travail en augmentant notamment la taxation sur l’énergie et certains biens de consommation. Le glissement fiscal voulu par l’État et le maintien du régime des voitures de société semble donc être légitimé par le même motif : la baisse du coût du travail afin de favoriser la compétitivité des entreprises. La confusion qui s’est produite au sein du débat public en novembre dernier réside donc aussi dans l’ambiguïté des termes choisis. L’allocation n’est mobile que par son nom et l’utilisation d’un champ sémantique environnemental relève de l’instrumentalisation.
Le régime des voitures de société, l’allocation mobilité et le Tax Shift interrogent, chacun à leur manière, la fiscalité belge. Le premier est une niche élaborée afin d’éviter une taxation sur le travail. Il a pour conséquence de subventionner un moyen de transport individuel bénéficiant majoritairement aux plus aisés. Le second instaure indûment deux régimes de taxation distincts sur le salaire afin d’offrir une alternative à l’avantage en nature. Dorénavant, notre revenu pourra aussi s’appeler allocation et contribuera moins aux dépenses d’intérêt collectif. Le troisième augmente, notamment, la TVA et les assises afin de diminuer les prélèvements sur le travail. En renforçant la taxation indirecte, l’impôt tend à devenir plus régressif puisque tout citoyen est appelé à payer le même montant indépendamment de ses revenus. Alors, peut-être, la taxation sur le travail est trop élevée en Belgique mais il est possible de réformer la fiscalité en préservant les principes d’équité sociale, de progressivité de l’impôt et de redistribution des revenus. Au delà du débat sur la fiscalité, il reste le problème de la voiture de société. Il faut constater que les mesures prises par le gouvernement ne remettent pas fondamentalement en question l’avantage de toute nature. Un nombre croissant de véhicules va donc continuer d’être utilisé pour de mauvaises raisons et engendreront, chaque jour, de multiples embouteillages, des nuisances sonores, de la pollution atmosphérique et de la frustration pour les riverains et les automobilistes...
[1] CAMPEOL V., ROBERT E. « Le livre blanc de la mobilité – 50 idées pour faire bouger Bruxelles », Brussels Enterprises Comerce and Industry (BECI), 2013, p.16.
[2] Projet de loi concernant l’instauration d’une allocation de mobilité, exposé des motifs, Doc., Ch., 2017 – 2018, 28338/001, p.4.
[3] MAY X., « L’épineuse question du nombre de voiture de société en Belgique », Brussel Studies [en ligne], Fact sheet.
[5] KPMG, op. cit.
[6] Chèque repas, écochèques, chèques culture/sport, voiture de société, etc.
[7] P. REMAN, P. POCHET, « Transformations du système belge de sécurité sociale » in P. VIELLE, P. POCHET, I. CASSIERS (dir), L’état social actif – Vers un changement de paradigme ?, Bruxelles, PIE- Peter Lang, 2005, p. 123-125.
[8] Ibidem, p.137.
[9] Il est pertinent de remettre cette mesure dans son contexte. Entre 1980 et 1983, le gouvernement Martens V dévalue le Franc de 8,5%, impose trois sauts d’index consécutifs, promulgue le plan Maribel (diminution importante des cotisations patronales) et diminue drastiquement les dépenses publiques. Par ailleurs, il adopte des nouvelles lois sur la compétitivité en 1983 et 1989 qui remettent en cause la déclaration sur la productivité de 1954 et 1959.
[10] LEGRAND G., « Voiture de société – Vos impôts multiplié par 9 », Trends Tendances, 27 novembre 2003.
[11] VAN DYCK J., « Nouvelles limites pour les voitures de société : l’ONSS suit le fisc », Le fiscologue, n°924, 20 février 2004.
[12] JACQUE P. et VAN EECKHOUT L., « Volkswagen : 4 questions sur les normes de pollution et les tests sur les véhicules diesel », Le Monde, 23 septembre 2015.
[13] MAY X., op. cit.
[14] Ibidem.
[15] LAINE B., VAN STEENBERGEN A., « The fiscal threatment of company cars in Belgium : effects on car demand, travel behaviour and external costs », working papper 3-16, Féderal Planning Bureau, février 2016, p. 2.
[16] MAY X., op. cit.
[17] LAINE B., VAN STEENBERGEN A., « Tax expenditure and the cost of labour taxation – An application to company car taxation », working papper 7-17, Féderal Planning Bureau, juin 2017, p. 5.
[18] W. G ., « Coût pour l’État, taxation, histoire,… tout comprendre du phénomène des voitures de société en Belgique »[en ligne], La Libre Belgique, 18 octobre 2017.
[19] 1 130,3 millions pour les dotations d’exploitation et 631,5 pour redevance d’infrastructure à Infrabel in Rapport d’activité 2016 de la SNCB.
[20] Nous n’abordons ici que la dotation accordée à la SNCB. Les dotations accordées à Infrabel et à la SNCB s’élèveront à 13,699 milliards d’euro entre 2016 et 2020.
[22] Mathieu B., « Les voitures de société n’ont pas encore dit leur dernier mot » [en ligne], L’Écho, 26 mai 2016.
[23] Projet de loi concernant l’instauration d’une allocation de mobilité, op. cit., p.5.
[24] Projet de loi concernant l’instauration d’une allocation de mobilité, Avis du Conseil d’État, Doc., Ch., 2017 – 2018, 62.233/1/3, p.23.
[25] Ibidem, p.21.
[26] Belga, « Personne ne veut échanger sa voiture de société contre du cash » (en ligne), La Libre Belgique, 20 juillet 2018.
[27] SCHMITZ B., VANDENBULCKE P., « Cash for car, une mesure fédérale qui fait flop ? Certains ont déjà repris une voiture » (en ligne), RTBF, 10 septembre 2018.
[28] B. J-P., « Le gouvernement veut assouplir le “cash for car” » (en ligne), L’Écho, 4 septembre 2018.
[29] Base de données du modèle SIRe du spf finance in MAY. X., « Analyse du régime actuel des voitures de société », Les Midis de l’IRIB, présentation du 17 octobre 2017, slide n°13.