Le conclave budgétaire de cette année a été compliqué. Il faut dire que la dette bruxelloise a doublé sous cette législature. Les perspectives ne s’annoncent d’ailleurs pas meilleures puisqu’à politique inchangée, la dette pourrait tripler d’ici 2028. Pour essayer de la contenir, le ministre du Budget a donc imposé une méthode choc : diminuer linéairement tous les comptes de cinq pour cent. L’austérité partout donc, mais pas de la même manière pour tout le monde. Car plus les dépenses sont importantes dans un domaine, plus les efforts à consentir seront conséquents. Or, dans une région qui consacre une part importante de ses dépenses à la mobilité, la qualité des services de la STIB risquait d’être fortement impactée. Afin d’éviter cet écueil, le personnel opérationnel de l’opérateur de transport a finalement été exempté d’efforts. Mais il faut bien admettre un changement d’ambiance au sein de l’équipe gouvernementale. Il peut être résumé par la prise de parole de Rudi Vervoort en ce mois d’octobre. Le Ministre Président affirmait alors qu’en matière de mobilité, il faudrait faire des choix. Cela, après cinq années à nous répéter qu’il ne fallait pas opposer métro et tram, que les dépenses engagées étaient des investissements stratégiques, bref que tout était sous contrôle !
Feindre aujourd’hui la surprise d’une déroute financière en faisant porter le chapeau uniquement aux circonstances (du Covid à l’inflation), ne peut dissimuler que, depuis 2020, la Région a déjà posé un choix clair : consacrer un demi-milliard d’euros annuellement à la rénovation des tunnels autoroutiers et à la future ligne de métro. Ces sommes ont été volontairement sorties du budget bruxellois pour coller aux réglementations européennes, et c’est bien ces dépenses qui, aujourd’hui, produisent des effets délétères. Ainsi, le nouveau budget acte le non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois [1], réduit de 8 % les subsides accordés à la société civile [2] et charge les administrations d’accomplir les mêmes missions avec moins de moyens. Et en matière de mobilité, les prix du transport public augmenteront de 7 % [3] avant d’être indexés chaque année !
Sur le principe, investir dans le service public est essentiel. Mais encore faut-il faire des choix viable à long terme. Et alors que le gouvernement avait placé les transports en commun au cœur de cette législature, son dernier acte a été de lui diminuer ses crédits. Plus globalement, on assiste à une politique schizophrénique où on institue la gratuité pour certains tout en augmentant le coût pour la majorité. La cause de ces incohérences est claire, il s’agit du pharaonique projet de métro. Et personne ne veut la remettre en cause : de l’extrême gauche à la droite conservatrice, tout le monde veut nous faire croire qu’il est le meilleur défenseur du projet.
Pourtant, les problèmes ne font que commencer. Alors que le métro ne devrait pas être fini avant 2035, et déjà, il a déjà mis la Région à genoux. Ne voulant pas abandonner leur lubie, des politiciens de premier plan, de la majorité comme de l’opposition, ont proposé une série de solutions « innovantes ». Du partenariat public privé à la Société du Grand Bruxelles, elles ont toutes en commun de vouloir associer le capital privé à la politique du transport public. Au lieu d’être nostalgique des années 1960, lorsque la STIB était une société d’économie mixte, il serait salvateur que ces mandataires se souviennent d’un acte fondateur de la Région : en 1990, la STIB est dissoute pour être immédiatement recrée. La mission de service public devient alors centrale et l’ordonnance même qui régit le service de transport en commun proclame un droit à la mobilité pour tous. Ce droit, nouveau et vague, est immédiatement associé à une recherche d’efficacité. Car, à l’époque, on a conscience que les moyens de la Région sont limités et que le « tout au métro » n’est plus possible.
Ce conclave budgétaire s’apparente donc bien à un choix. Loin du simple ajustement, le gouvernement a décidé de couper dans ses dépenses courantes. Ce choix implique l’austérité, des conséquences sur l’emploi et la démocratie urbaine. Pire, les investissements consentis remettent en question la nature même du financement d’un service public. De ça, nos mandataires en sont responsables. Car à force d’administrer la STIB au gré de leurs intérêts électoraux, la machine va inéluctablement finir par se gripper.
[1] En tout état de cause, on sait que les frais de personnel vont diminuer de 3 % au niveau de la Région. Le ministre du Budget a détaillé les solutions pour y parvenir avant les accords budgétaires d’octobre : un moratoire sur les engagements et le non remplacement d’un fonctionnaire sur trois. Voir P. DEGLUME, « Sven Gatz : “Ce n’est pas en ignorant le problème budgétaire qu’il s’évaporera” », L’Écho, 30.9.2023.
[2] P. DEGLUME, « Le gouvernement bruxellois réduit (un peu) son déficit », L’Écho, 15.10.2023
[3] P. DEGLUME, « Une indexation de 6,9 % des tarifs de la STIB en 2024 », L’Écho, 24.10.2023.