Jérôme Matagne – 8 décembre 2015
Le long du canal, là où le visage de la Région se modifie plus vite qu’ailleurs, ce sont les promoteurs immobiliers qui dictent les choix en matière de logement à l’administration et aux responsables politiques. Démonstration par le projet immobilier Canal Wharf.
Les abords du canal subissent une transformation accélérée. Tous azimuts, les anciennes industries et les quartiers populaires font place à des pôles d’activités destinés aux classes moyennes (supérieures) et à des logements de standing. C’est notamment le cas du bassin Beco. Rive gauche, la mue a été amorcée il y a déjà dix ans, avec la rénovation du site de Tour et Taxis. Autour des entrepôts déjà rénovés et de la Gare Maritime, de nombreux immeubles de bureau et de logement sont prévus ou déjà construits. Devant Tour et Taxis, le long de l’avenue du Port, les entreprises de construction Mpro et Luypaert ont été invitées à céder une partie de leurs terrains pour consacrer les berges du canal à un espace vert. L’autre rive, à droite, n’est pas épargnée. La tour UpSite et ses 41 étages d’appartements de très haut standing ont servi de référence et de locomotive. Les autorités accompagnent le mouvement en concluant un accord avec Citroën pour racheter les bâtiments historiques de la marque automobile dans le but de les aménager en un nouveau musée d’art contemporain et de symboliser une « nouvelle centralité urbaine » [1].
Le cadre normatif est aussi large que précis
Tous ces récents développements immobiliers, ainsi que ceux à venir, sont évidemment encadrés par les autorités communales et régionales par le biais de plusieurs outils réglementaires, programmatiques ou planologiques.
D’une part, il existe plusieurs plans, codes et règlements qui organisent tout l’urbanisme, depuis le projet régional global jusqu’aux caractéristiques précises d’un bâtiment ou d’une voirie : Plan Régional de Développement Durable, Plan Régional de Mobilité (Iris II), Plan Canal, Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire (CoBAT) et bien d’autres, dont notamment le Règlement Régional d’Urbanisme (RRU) qui fixe les prescriptions urbanistiques (en matière de gabarit, de volume, d’esthétique, de solidité des constructions,…).
D’autre part, précisément sur la rive droite du bassin Beco, il existe un Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) servant à déterminer précisément les affectations admissibles de la zone : le PPAS Willebroeck. Adopté en 2008, il ambitionnait de recréer un axe urbain Est-Ouest de qualité. Il prévoit de recréer un espace vert sur le bassin Vergote et de créer une passerelle au-dessus du canal pour relier le boulevard Bolivar à Tour et Taxis. Il prévoit surtout de reconvertir le tissu industriel le long du canal en ensemble mixte (bureau, logement, entreprises de production de biens matériels) et de favoriser la construction de logements le long de la voie d’eau.
On constate donc qu’il existe un cadre fixant les grands principes et les plus petits détails des développements urbains. Lors du dépôt d’une demande de permis d’urbanisme, tout porteur de projet doit spécifier les dérogations éventuelles qu’il sollicite à ce cadre légal. L’intérêt de ces dérogations est examiné par un Échevin ainsi que par différents représentants d’administrations communales et régionales, au cours d’une Commission de concertation. Enfin, sur base des remarques de la Commission, c’est le gouvernement régional qui détient le pouvoir final d’accorder ou de refuser les dérogations et de délivrer le permis. Le gouvernement a donc tout loisir de se montrer conciliant avec les dérogations, tout comme il pourrait imposer des obligations spécifiques, en fonction des circonstances, du type de demande ou de la localisation. Toutefois, le cas du projet Canal Wharf nous démontre que si un promoteur immobilier prend le parti de se borner au cadre normatif, il y conserve les coudées franches.
Un petit projet pour un grand promoteur
Canal Wharf, c’est un complexe de quatre immeubles de logement totalisant 141 appartements répartis autour d’un intérieur d’îlot verdurisé. Ce complexe va être érigé sur le Quai de Willebroeck, entre UpSite et Citroën, en lieu et place d’un ancien bâtiment de bureau de trois étages de type industriel. Le projet est porté par AG Real Estate qui est le plus grand groupe immobilier belge et la filiale immobilière de l’assureur AG, lui-même premier groupe d’assurance en Belgique. À en croire leur site internet, les Assurances Générales, créées en 1824 ont « toujours investi en immobilier dans le cadre de la diversification de [leurs] actifs au titre de couverture de [leurs] réserves mathématiques d’assurance » [2]. Cet historique lui a donné un poids considérable sur le marché puisque AG Real Estate détient un portefeuille immobilier de 600 000 m² dans la capitale, sans compter sa filiale Interparking ! On ne peut qu’imaginer l’influence potentielle d’un tel acteur sur les hommes politiques locaux...
À terme, quatre immeubles de huit étages devraient apparaître sur la parcelle, abritant des appartements de standing [3]. « À terme », car dans un premier temps, AG Real Estate n’a déposé une demande de permis que pour deux buildings. Cette pratique consistant à segmenter artificiellement les demandes de permis est appelée « saucissonnage ». Plusieurs éléments peuvent expliquer ce saucissonnage. La raison la plus courante est la volonté du promoteur de contourner les règlements en se soustrayant aux obligations imposées aux projets d’envergure, et particulièrement à l’obligation de réaliser une Étude d’Incidences Environnementales. Toutefois, un saucissonnage peut avoir une justification légitime, comme par exemple la difficulté de construire de grands projets dans la durée restreinte d’un permis d’urbanisme. Dans le cas de Canal Wharf, le promoteur n’a pris la peine d’avancer aucun argument technique pour segmenter sa demande de permis. Toutefois, pour faire bonne figure, il a quand même tenu à faire valoir un avantage : « l’intérêt d’une urbanisation progressive de la parcelle (...) permet au regard des riverains et du public en général ’d’apprivoiser’ cette nouvelle forme urbaine contemporaine en s’appropriant peu à peu le paysage ainsi modifié par les deux phases successives. En effet, en première phase le jardin intérieur sera mis en valeur pour les personnes qui emprunteront le quai des péniches alors qu’en seconde phase ce seront davantage les façades des bâtiments supplémentaires qui seront mises en valeur » [4]. Voilà un bon argument objectif qui ôte tout doute sur la probité du promoteur...
Saucissonner un projet pour le rendre plus acceptable
Pour illustrer le jeu de dupes du saucissonnage, à titre d’exemple parmi d’autres, on peut relever le dimensionnement du parking souterrain : il s’agit d’un grand classique. En vertu du Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire, un parking de plus de 199 emplacements est soumis à une Étude d’Incidences Environnementales (et non à un simple Rapport d’Incidences). Une telle étude est contraignante car elle impose une analyse sérieuse des besoins et des impacts – notamment en matière de mobilité – et risque fort de conclure au sur-dimensionnement des parkings. La première phase du projet Canal Wharf se contente de 132 emplacements de parking et passe sous silence un éventuel autre parking à construire lors de la seconde phase du projet. Pas de problème, c’est moins de 200 places : rien à dire. Or, en fouillant un peu, on découvre que le système d’extraction d’air de ce parking est totalement surdimensionné [5] et on peut donc légitimement penser qu’il est prévu pour assurer la ventilation de l’ensemble des sous-sols prévus pour les quatre bâtiments. Ici, le promoteur veut éviter l’Étude d’Incidences Environnementales imposée aux grands projets mais quand même profiter des économies d’échelle que ces grands projets permettent ! Interpellé à ce sujet, il se défend de toute mauvaise intention et prend prétexte de différences dans les méthodes de calcul ; cela reste louche…
Cette technique du saucissonnage rend difficile l’analyse d’une demande de permis puisque des données fondamentales sont manquantes et qu’on ne dispose pas d’une vue d’ensemble du projet. Cyniquement, le porteur de projet ne cache pas qu’une seconde phase est prête mais il tait un grand nombre d’informations (nombre de logements, nombre de parkings, axonométrie,…) et ne présente les aspects globaux que quand cela sert sa cause… Confrontés à ce détournement manifeste de l’esprit des lois et règlements, il est impossible que les membres de la commission de concertation soient dupes. Ils restent pourtant muets – et donc complices. Formellement, le demandeur respecte les normes : les autorités ne jugent donc pas pertinent d’intervenir.
Canal Wharf se permet d’autres libertés avec le cadre réglementaire, notamment en matière d’intégration urbaine et de cheminement piéton. En adoptant le PPAS Willebroeck, la Ville de Bruxelles et la Région voulaient remédier à la faible perméabilité des îlots et aux barrières que forment les grands entrepôts. Le plan insiste donc sur la nécessité de veiller à « créer des liens au droit des nouveaux passages transversaux reliant le quai de Willebroeck au quai des Péniches » [6] et à « la continuité des cheminements piétons » [7]. Exactement dans le même esprit, le Plan Canal rappelle l’importance des passages et des traversées piétonnes à créer dans les futurs îlots. Or, si les quatre immeubles composant Canal Wharf permettront bien un cheminement piéton à travers l’intérieur d’îlot verdurisé, il est prévu que le passage en soit fermé par une grille en soirée. Le promoteur considère manifestement qu’il ne doit se conformer au PPAS que douze heures par jour. En outre, rien ne permet de garantir que ce passage sera bel et bien laissé ouvert aux passants dans le futur, même en journée.
Afin de minimiser cette entrave au cadre réglementaire, le promoteur prétend que les traversées seront bel et bien facilitées grâce à la création d’une nouvelle voirie en bordure du terrain à bâtir. Véritable trouvaille des architectes, cette voirie contiguë au projet offre deux avantages majeurs au promoteur. D’une part, elle permet de se défausser des principes du Plan Canal et du PPAS en matière de cheminement piéton, certes de manière un peu légère et irrespectueuse de la bonne intégration urbanistique. D’autre part, cette voirie permet de séparer formellement les nouveaux buildings de la Ferme des Boues, actuellement mitoyenne de la parcelle. La présence d’une voirie semble suffire pour ne pas devoir tenir compte du lien avec ce site patrimonial classé, ni en matière patrimoniale, ni en termes de continuité de gabarit (alors que la Ferme des Boues est deux fois moins élevée que les immeubles à construire).
La loi et l’esprit de la loi sont deux choses différentes
À l’analyse, on voit bien que le promoteur se permet une interprétation arrangeante des divers plans et des règlements. On peut le comprendre puisque la Région et la Commune se montrent fort accommodantes... Forcément, l’autorité n’intervient pas non plus lorsque le promoteur respecte strictement le cadre mais opte pour un développement qui ne vise que ses seuls intérêts financiers au mépris de l’intérêt général. C’est le cas en matière de répartition des types de logements.
Les deux immeubles qui constituent la première phase totalisent 141 logements qui sont répartis inéquitablement : 70 studios et 32 appartements d’une chambre mais seulement 16 appartements de deux chambres et 23 de trois chambres. Il y a aura trois fois plus de logements pour des ménages de une à deux personnes que de logements familiaux. Cette répartition ne correspond à aucune réalité sociale ni au besoin criant des Bruxellois. Au contraire, c’est précisément les biens de grande taille qui manquent en région bruxelloise. En outre, le promoteur vise le standing, voire le très haut standing, puisque – selon nos informations – les prix de vente débuteront à 3 000 euros du m², soit dans le haut de la fourchette régionale et largement au-dessus des prix du quartier. Encore une fois, alors que près d’un tiers des ménages bruxellois rentrent dans les conditions d’octroi d’un logement social, l’offre de Canal Wharf n’apporte aucune réponse à la crise du logement. Hélas, il semble que ni la Région ni la Ville ne désirent contraindre, ni même orienter, la volonté du promoteur.
Les responsables politiques préfèrent laisser-faire...
Cette absence d’interventionnisme de la part des responsables politiques se manifeste explicitement en matière de gestion des facilités de stationnement automobile. En vertu du RRU, cette première phase du complexe pourrait bénéficier de 141 places de parking, soit un emplacement par logement, ainsi qu’un certain nombre de parkings supplémentaires pour les bureaux et l’établissement du rez-de-chaussée. Mais le promoteur n’en réclame que 132 [8], soit moins que la norme : son permis est donc délivré sans conditions. Or, ces 132 places constituent pourtant déjà une aberration, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les immeubles seront érigés dans l’endroit le mieux desservi de la Région en matière de transport public [9]. D’ailleurs, ils sont situés en plein centre-ville, où la plupart des déplacements se font facilement à pied. Rappelons que, selon les dernières statistiques officielles, le premier mode de déplacement dans l’ensemble de la région est la marche à pied, avec plus de 4 déplacements sur 10, et que cette proportion augmente à l’approche du centre-ville. Ensuite, le Plan de Mobilité régional impose une restriction drastique du nombre de déplacements automobiles. D’ailleurs, le RRU, est en cours de révision car ses normes en matière d’équipement sont devenues obsolètes.
Le promoteur est bien conscient de l’évolution du contexte en matière de mobilité et du fait que ses 132 places, bien qu’inférieures à la norme réglementaire actuelle, mériteraient d’être retoquées. C’est pourquoi, dans sa demande, il insiste lourdement sur le caractère volontariste et soi-disant vertueux de sa demande. Ses prévisions en matière de modes de déplacement et d’impact sur la mobilité sont bien développées et basées sur les statistiques officielles de l’Observatoire régional de la mobilité [10], cité explicitement comme référence. Or, une simple vérification de cette source permet de comprendre que les chiffres avancés par le promoteur sont complètements extravagants. Le promoteur évoque 50 % de déplacements automobiles quand l’Observatoire indique 32 %. Le promoteur cite 0,9 voiture par ménage quand l’Observatoire affirme 0,65. La Région, la Ville de Bruxelles, et les responsables politiques concernés ont été dûment alertés de cette tromperie et du caractère fallacieux des estimations des besoins en matière déplacement automobile. Toutefois, cette partie de la demande de permis et du rapport d’incidences n’a pas fait l’objet de la moindre remarque officielle.
… donc les promoteurs font n’importe quoi !
Pour prendre réellement en compte les nouvelles donnes en matière de protection de l’environnement, ainsi que s’inscrire dans la lignée des plans communaux et régionaux de mobilité, il aurait pourtant fallu diminuer drastiquement le nombre d’emplacements de parkings autorisés. Une autorité politique visionnaire ou courageuse aurait même pu profiter de la rénovation de ces abords du centre-ville pour « marquer le coup » et y initier une dynamique de développement et de mobilité durables. Hélas, nous en sommes loin : le permis est simplement délivré tel quel, puisque le demandeur a respecté les normes formelles...
À ce stade de l’analyse, le lecteur aura compris le propos. Confrontés à une demande de permis d’urbanisme qui semble s’inscrire dans un cadre légal, les responsables politiques et administratifs abandonnent complètement leurs prérogatives d’orienter ou même d’infléchir le développement urbain. Ils se contentent d’accepter ou de refuser les dérogations demandées par le promoteur et ne font acte d’aucune pro-activité. À cet égard, le manquement le plus remarquable est que les autorités n’ont exigé aucune forme de charges d’urbanisme [11], comme elles en ont pourtant la possibilité. Ces charges d’urbanisme peuvent être imposées à un promoteur afin de contrebalancer les effets négatifs d’un projet sur son environnement et de compenser les conséquences budgétaires qu’un projet ferait peser sur la collectivité. Elles peuvent être assumées de différentes manières : soit en la réalisation, la transformation ou la rénovation à titre gratuit de voiries, d’espaces verts, de bâtiments publics et d’équipements publics ; soit en la réalisation, la transformation ou la rénovation de logements encadrés ou conventionnés ; soit en versement d’une somme d’argent destinée à la réalisation d’actes et travaux par l’autorité délivrante elle-même ; soit encore en une combinaison de ces trois formes. Dans le cas de la construction de Canal Wharf, l’autorité préfère ne pas user de cette prérogative et ne réclame pas les charges d’urbanisme qui permettraient de soulager les finances publiques et de répondre aux besoins des riverains.
Dans le même ordre d’idées, ni la Commune ni la Région n’ont cherché à imposer au promoteur le recours au canal pour l’acheminement des matériaux de construction ou pour l’évacuation des gravats et terres excavées. L’endroit se prête pourtant idéalement à l’utilisation de la voie d’eau et d’autres constructions voisines, comme Docks Brussels et UpSite, en ont d’ailleurs fait un usage pertinent. Rien ne permet rationnellement d’expliquer que la Région et la Commune préfèrent laisser des centaines de camions-bennes remplis de déchets parcourir les boulevards proches du centre-ville alors que quelques péniches pourraient exécuter le même travail en provoquant beaucoup moins d’encombrements routiers et d’émissions polluantes. Le seul déterminant est la volonté du promoteur et c’est son intérêt privé qui prime sur l’intérêt général.
De vieilles normes pour un nouveau quartier
Une note plus subjective pourrait être consacrée aux choix esthétiques et architecturaux privilégiés par les promoteurs et induits par les autorités. On peut trouver bien des raisons de critiquer les phénomènes de gentrification de Berlin, Londres, Copenhague ou Rotterdam, par exemple. Mais on ne peut nier l’originalité architecturale qui caractérise les immeubles de leurs « nouveaux quartiers ». Les tours destinées aux bureaux ou aux logements de standing y prennent toutes les formes et se parent de toutes les couleurs. A Bruxelles, quand on impulse une « nouvelle centralité urbaine » grâce à l’érection d’un « bâtiment phare », c’est un immeuble cubique et terne. La tour UpSite et ses 41 étages, voisine de Canal Wharf, n’est pas cubique, certes, mais elle n’est que carrée. Et grise. Canal Wharf ne brillera pas davantage par son audace architecturale. L’esthétique de ce nouveau quartier ne surprendra ni les Bruxellois, ni les visiteurs, mais ressemblera étrangement au Bruxelles qu’on connaît déjà. D’une part, le promoteur de Canal Wharf n’a cherché à obtenir aucune exception au RRU en matière de gabarit ou d’esthétique. D’autre part, et c’est plus étonnant, ni la Commune ni la Région n’a encouragé le promoteur à poser un « geste architectural » qui ne laisserait pas indifférent dans un quartier censé être emblématique. Si la Commune et la Région veulent attirer une classe moyenne supérieure, comme elles le prétendent, elles n’usent cependant pas entièrement des mêmes outils que d’autres villes européennes aux ambitions similaires. Force est de constater que c’est donc encore avec les vieilles règles qu’on veut faire les nouveaux quartiers...
Les investisseurs privés ne font pas exclusivement ce qu’ils veulent, certes, puisque les principes urbanistiques sont fixés par les autorités et qu’un cadre légal précis existe. Toutefois, on constate que si un promoteur respecte formellement les prescrits, il bénéficie d’une grande latitude pour mener ses projets à bien. D’une part, ni la Commune ni la Région n’applique toutes les dispositions légales qui pourraient contraindre la volonté des promoteurs. D’autre part, ni la Région ni la Commune ne fait usage d’un pouvoir d’appréciation dont elles ont pourtant la prérogative. Ces deux volets du pouvoir régalien leur permettrait pourtant de guider précisément le développement urbain et de s’assurer que les multiples projets privés correspondent bel et bien à la vision stratégique de la Région et aux besoins de ses habitants.
Rassurons-nous, il y a pire ailleurs...
Cette analyse éclaire d’un jour nouveau la dénomination du fameux complexe : Canal Wharf. Si « wharf » signifie simplement « jetée, embarcadère » en langue anglaise, il fait inévitablement résonance avec le quartier de « Canary Wharf » de Londres. Canary Wharf est une ancienne zone portuaire et industrielle de Londres qui a été transformée en immense quartier d’affaires sous l’impulsion de Margaret Thatcher. La particularité de ce quartier est qu’il a été intégralement revendu aux promoteurs, transformant de facto l’espace public en espace privé. C’est donc aux propriétaires que reviennent l’entièreté de la gestion « publique », depuis les choix urbanistiques jusqu’au contrôle de l’ordre public. Ce sont les propriétaires privés qui déterminent les règles de vie en communauté, et la démocratie n’y est plus qu’un accessoire optionnel...
[1] Prononcé par Rudi Vervoort lors de son discours à la conférence de presse « Territoire du canal Horizon +10 » : http://rudivervoort.be.
[3] Le rez-de-chaussée n’est pas dévolu au logement mais au bureau ou à l’Horeca. Les 2 premiers bâtiments devraient accueillir respectivement 366 m² d’Horeca le long du canal et 380 m² de bureaux sur le quai de Willebroeck.
[4] Aster consulting, « Rapport d’incidences final du 3 décembre 2014 », page 53.
[5] Les 2 ventilateurs d’une capacité de 120 000 m³ par heure sont plus que deux fois supérieurs à la pratique courante, comme par hasard...
[7] Ibidem.
[8] Paradoxalement, une dérogation est nécessaire pour que le nombre de parking ne soit pas au moins équivalent au nombre de logement.
[9] À 600 mètres de la gare du Nord, 450 mètres du métro, 300 mètres du tram et 15 mètres du bus.
[11] Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 2 mai 2013 adoptant la modification partielle du plan régional d’affectation du sol arrêté le 3 mai 2001.